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Politique

Nicolas Hulot démissionne : ce qu’il a dit

Le mardi 28 août sur France Inter, le ministre de la Transition écologique et solidaire a annoncé qu’il quittait le gouvernement une année après y être entré.

Le mardi 28 août sur France Inter, le ministre de la Transition écologique et solidaire a annoncé qu’il quittait le gouvernement un peu plus d’une année après y être entré.

Je vais prendre pour la première fois la décision la plus difficile de ma vie. Je ne veux plus me mentir. Je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux-là. Et donc je prends la décision de quitter le gouvernement.

Voir et écouter ici les déclarations de Nicolas Hulot mardi matin

Nicolas Hulot a parlé d’une décision « douloureuse », demandant à ce « que personne n’en tire profit parce que la responsabilité, elle est collégiale, elle est collective, elle est sociétale. J’espère que cette décision, qui est lourde, qui me bouleverse, ne profitera pas à des joutes ou des récupérations politiciennes. »

« J’ai une immense amitié pour ce gouvernement auprès duquel je m’excuse de faire une mauvaise manière. Mais sur un enjeu aussi important, je me surprends tous les jours à me résigner, tous les jours à m’accommoder des petits pas. Alors que la situation universelle au moment où la planète devient une étuve mérite qu’on se retrouve et que l’on change de paradigme. »

Le désormais ex-ministre a ensuite évoqué le « véritable dilemme » auquel il a été confronté : « Entre soit m’accommoder des petits pas, en sachant que si je m’en vais je crains que ce soit pire. Ou, soit rester en craignant que par ma présence, nous nous mettions en France ou en Europe, dans une situation d’être à la hauteur sur le pire défi que l’humanité ait jamais rencontré. » Autrement dit, M. Hulot craignait que sa présence au gouvernement laisse croire que la France serait à la hauteur des enjeux écologiques. « Je décide de prendre cette décision qui est une décision d’honnêteté et de responsabilité », a-t-il conclu.

« Je souhaite que personne ne récupère et ne fustige le gouvernement parce qu’à l’observation, c’est l’ensemble de la société — et je peux m’y mettre également — qui portons nos contradictions, a-t-il insisté. Peut-être n’ai-je pas su convaincre, peut-être je n’ai pas les codes. Mais je sais très bien que si je repars pour un an, cela ne changera pas l’issue. »

Une décision que M. Hulot aurait prise prise le lundi 27 août au soir, mais « mûrie cet été » : « J’espérais justement qu’à la rentrée, fort des longues discussions que j’ai eu avec le Premier ministre, le Président, il y aurait un affichage clair. Sur le fait que c’est l’ensemble du gouvernement. L’Industrie, l’Économie, le Budget, le Transport c’est déjà le cas, l’Agriculture, et bien d’autres, qui allaient être avec moi à mes côtés pour porter, incarner, inventer, cette société écologique. Je sais que seul je n’y arriverai pas. J’ai un peu d’influence, je n’ai pas de pouvoir. Je n’ai pas les moyens. »

Le déclic a été la réunion de ce lundi 27 août entre Emmanuel Macron et les chasseurs : « Cela va paraître anecdotique, mais pour moi c’était symptomatique et c’est probablement un élément qui a achevé de me convaincre que ça ne fonctionne pas comme ça devrait fonctionner. On avait une réunion sur la chasse avec une réforme qui peut être importante pour les chasseurs mais surtout la biodiversité. Mais j’ai découvert la présence d’un lobbyiste [Thierry Coste] qui n’était pas invité à cette réunion. C’est symptomatique de la présence des lobbys dans les cercles du pouvoir. Il faut à un moment poser ce problème sur la table. » « Les lobbies n’ont rien à faire dans les cercles du pouvoir. Il faut à moment ou un autre poser ce sujet sur la table parce que c’est un problème de démocratie. Qui a le pouvoir ? Qui gouverne ? »

Au delà de ce « détail », Nicolas Hulot reconnaît une « accumulation de déceptions » : « Mais c’est surtout que je n’y crois plus. Pas en l’état, pas en ce mode de fonctionnement, pas tant que l’opposition ne sera pas capable de se hisser au dessus des querelles habituelles pour se retrouver sur un enjeu supérieur. »

Nicolas Hulot, mardi 28 août, dans les locaux de France Inter.

« À la sortie de l’été où la Californie brûle, où la Grèce brûle, où après nous-même une année terrible, à Saint-Martin, mais y compris en métropole », Nicolas Hulot pensait que la prise de conscience de l’urgence d’agir aurait avancé. Mais, poursuit-il, « petit à petit, on s’accommode de la gravité et on se fait complice de la tragédie qui est en cours de gestation. Je n’ai pas forcément de solutions. J’ai obtenu un certain nombre d’avancées. Mais quand on n’a plus la foi… »

Quant aux raisons profondes qui l’ont motivé, il a précisé : « Ce n’est pas l’énergie qui me manque. Mais je n’ai pas réussi à créer par exemple une complicité de vision avec le ministre de l’Agriculture alors que nous avons une opportunité absolument exceptionnelle de transformer le modèle agricole. On se fixe des objectifs mais on n’en n’a pas les moyens parce qu’avec les contraintes budgétaires on sait très bien à l’avance que les objectifs qu’on se fixe on ne pourra pas les réaliser. »

M. Hulot explique n’avoir prévenu ni Emmanuel Macron ni Édouard Philippe de sa décision : « Si je les avait prévenus avant, ils m’en auraient peut-être une fois encore dissuadé. Mais c’est une décision entre moi et moi. Je ne veux pas me mentir. Je ne veux pas me donner ce sentiment encore une fois que si je repars, c’est parce que j’y crois. »

Et, malgré sa « profonde admiration » pour le Président et le Premier ministre, l’ex-ministre reconnait que « sur les sujets que je porte, on n’a pas la même grille de lecture. On n’a pas compris que c’est le modèle dominant qui est la cause. Est-ce qu’on le remet en cause ? »

Si Nicolas Hulot s’est effectivement prononcé contre les traités de libre-échange, il ne pouvait pas non plus ignorer la position libérale d’Emmanuel Macron, comme l’a rappelé la journaliste Léa Salamé sur France Inter. « Mais on peut évoluer, s’apporter les uns les autres. Je ne critique personne. J’espère que mon départ provoquera une profonde introspection de notre société sur la réalité du monde. »

Il a notamment évoqué les migrants, qui quittent leur pays « aussi pour des questions climatiques », a-t-il souligné. « L’Europe ne gagnera que si l’Afrique gagne. Où est passée la taxe sur les transactions financières ? » S’est-il interrogé.

« Mais je ne suis pas là pour faire la liste, » s’est-il repris. « Je dis simplement que la société, que vous-même les journalistes, nous devons remettre les priorités dans le bon ordre. Ce sujet conditionne tous les autres, je le dis en boucle », a-t-il assené.

Il a ensuite enchaîné sur le nucléaire, « cette folie inutile économiquement, techniquement, dans lequel on s’entête. » Encore un sujet sur lequel il estime ne pas avoir réussi à « convaincre ». « Je pense que ce que les gens attendent d’un ministre c’est que s’il n’est pas à la hauteur, s’il n’est pas assez fin, il doit en tirer les leçons. Je les tire ce matin », a-t-il ajouté.

Léa Salamé et Nicolas Demorand, les journalistes de France Inter, l’ont également fait réagir à la réponse de Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, qui était interrogé en parallèle sur BFM et déclarait que c’était « le lot d’un ministre de ne pas gagner tous ses arbitrages. »

« Vous croyez que la situation climatique s’accommode des petits pas ? » A répondu Nicolas Hulot. « Cela fait 40 ans qu’on s’en accommode et la situation est en train de nous échapper. »

Au cours de l’entretien, qui a duré plus de 45 minutes sur France Inter, Nicolas Hulot est revenu sur son bilan, sur la difficulté de mettre à l’agenda politique l’urgence écologique, sur son souhait de se mettre à distance de la scène politique à présent. Voici quelques unes de ces déclarations :

  • « Oui, ces douze derniers mois ont été une souffrance. Sauf à basculer, à devenir cynique, avoir une forme d’indifférence sur les échecs. Je me suis surpris par lassitude à certains moments à baisser les bras, à baisser mon seuil d’exigence. Je me suis dit, c’est le moment d’arrêter. »
  • Malgré des discussions « franches et amicales » avec Emmanuel Macron et Édouard Philippe, « la situation n’était pas claire et je ne voulais pas repartir dans le flou. J’ai une telle conscience aiguë de la gravité de la situation ; quand j’ai regardé ce qui s’est passé cet été, on a perdu la main, on a basculé dans les conséquences du changement climatique. (…) Sur tous les sujets que je porte, pas un député, pas un sénateur pour me défendre. J’avance tout seul. Je ne veux pas donner l’illusion d’être à la hauteur. »
  • Pour le moment, « la politique, c’est terminé. Je ne veux pas nuire plus au gouvernement. Je chercherai à influer pour l’écologie mais je vais m’astreindre à prendre des distances et observer un certain silence. »

Pour conclure, l’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire est revenu sur cette décision « cruelle mais responsable » :

C’est la décision la plus intime, la plus difficile, la plus cruelle mais la plus responsable que je devais prendre. Ou alors ça voulait dire que tout ce que je dis depuis des années sur la gravité de la situation, je n’y crois pas. Mon acte n’est pas un acte de résignation mais de mobilisation, et j’espère qu’il va entraîner un sursaut.

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