« Non à l’usine à gaz » : la lutte contre les méthaniseurs s’intensifie

Vue d'une unité de méthanisation des effluents d'élevage à Mayrac dans le Lot en France - Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/GrandBout
Vue d'une unité de méthanisation des effluents d'élevage à Mayrac dans le Lot en France - Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/GrandBout
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Énergie AgricultureUn peu partout en France, la résistance face aux projets de méthaniseurs prend de l’ampleur. En Essonne, citoyens et élus tentent de stopper la mise en route d’un projet.
Pussay (Essonne), reportage
L’ambiance est joyeuse, presque festive, lors du rassemblement organisé par le Collectif d’alerte sur la méthanisation dans le Sud-Essonne (Camse), dans une salle à Pussay. Pourtant, l’inquiétude qui pousse cette cinquantaine de citoyens à se réunir en cette mi-février est de plus en plus vive.
À quelques kilomètres, à Angerville, un méthaniseur de la SAS Methagase s’est implanté il y a un an. Porté par huit céréaliers désireux de diversifier leurs activités, le méthaniseur ne devait pas dépasser les 10 000 tonnes d’intrants par an (fumier ou lisier, ou encore des déchets de l’industrie agroalimentaire, comme des légumes ou céréales). Alors que les travaux sont en cours, les porteurs du projet ont demandé une régularisation de leur exploitation, cette fois-ci pour une capacité de 21 000 tonnes d’intrants, soit le double de la quantité prévue au départ. Si le gaz produit est stocké à Angerville, seize communes du sud de l’Essonne et du Loiret sont concernées par le stockage ou par les épandages de digestats.
Pour les habitants concernés, les craintes se multiplient. À la sortie du méthaniseur, il y a le gaz, mais aussi ce fameux digestat, « un fertilisant dans lequel se retrouvent tous les éléments nutritifs, de l’azote au phosphore », selon Thierry Guerin, l’un des agriculteurs porteurs du projet. Une lagune — creusée pour son stockage — se situerait néanmoins à proximité d’une école, une autre à proximité d’une source, et aucune d’entre elles ne prévoit d’être recouverte, laissant présager des émanations de gaz. « Le digestat rejette de l’ammoniac et du sulfure d’hydrogène, ce n’est pas pour rien que c’est classé ICPE [1] », rappelle Mireille Massing, à l’origine du collectif Camse avec d’autres riverains.

Petit à petit, parents d’élèves, élus et scientifiques ont rejoint la mobilisation. « Nous demandons un moratoire et une enquête publique, le temps d’avoir plus de clarté, notamment sur la nature des intrants. Nous ne voulons pas que la source Sainte-Apolline ou que les terres agricoles soient davantage polluées », poursuit Mireille Massing.
Un manque d’information déconcertant
Dans un dossier de quatorze pages que Reporterre a consulté, l’avocate Corinne Lepage précise les « carences » du projet concernant les dégâts qui pourraient être causés à l’environnement et le manque de clarté sur la nature des intrants. En effet, le dossier de demande d’enregistrement pour ICPE de la société Methagase indique que « la liste des déchets entrants est susceptible d’évoluer en fonction des opportunités du territoire ». Quelles opportunités ? Rien ne semble donc garantir la nature des intrants, même si les agriculteurs précisent qu’il n’y aura « ni produits carnés, ni résidus lactiques, ni intrants chimiques ».
Pour alimenter un méthaniseur, la loi autorise jusqu’à 15 % de cultures principales et jusqu’à 75 % de cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). À Angerville, « 63 % des intrants seront des Cive », affirme Florent Sebban, représentant des parents d’élèves, mais aussi maraîcher à Pussay. 19 % viendront des pulpes de betteraves, précise-t-il.
Problème, les cultures énergétiques pour les méthaniseurs ont tendance à assécher le sol : « Les agriculteurs n’ont pas le droit d’arroser ni de fertiliser leurs cultures intermédiaires. Sauf que l’orge et le seigle [des Cive] prennent dans le sol les nutriments et l’eau dont ils ont besoin pour croître », observe Florent Sebban. Les Cive peuvent également dans certains cas contraindre les paysans à décaler leur calendrier de cultures. « Les paysans sèment l’orge qui sera transformée en biogaz en novembre et décalent les semis de la culture d’après. Normalement, le maïs se sème début avril et pas à la mi-juin. Or, le maïs a besoin d’eau, si on le sème deux mois en retard, cela l’expose davantage aux canicules. » Ce que l’agriculteur Thierry Guérin réfute : « La surface des Cive est faible : nous y consacrons 15 % de notre surface totale l’hiver, et 15 % en été et cela n’affecte pas nos ensemencements. »
Une entreprise biberonnée par l’État
Si ces pratiques font l’objet de plus en plus de critiques, elles sont pourtant largement subventionnées par l’État. À Pussay, plusieurs élus sont présents : « Il y a de plus en plus de subventions publiques qui s’élèvent à des centaines de milliers d’euros en Île-de-France », constate Vianney Orjebin, conseiller régional en Île-de-France.
Le méthaniseur d’Angerville a par exemple bénéficié de 850 000 euros de subventions. « Nous ne sommes pas contre la méthanisation en soi, le problème c’est quand les projets opposent les cultures énergétiques aux cultures alimentaires. Il y a un véritable accaparement des terres qui empêche les petits exploitants de s’installer », poursuit l’élu régional.

Le maire de Chalo-Saint-Mars, une commune voisine qui s’est opposée au projet, est également présent. Il regrette notamment que ces terres agricoles, qui avaient été identifiées par plusieurs petits maraîchers pour alimenter une cuisine centrale bio, aient finalement été vendues pour le projet de méthaniseur : « C’est regrettable qu’on détourne l’alimentation et la ressource en eau, seulement au profit de quelques-uns. »
Une lutte qui s’élargit
Mais à mesure que les méthaniseurs se construisent, la résistance s’organise. « Il y a quatre ou cinq ans, les riverains étaient dans une logique individualiste. Ils voulaient bien de l’énergie renouvelable, mais pas à côté de chez eux à cause des odeurs, des risques d’explosion et de la dévaluation immobilière », raconte Daniel Chateigner, coordinateur du Collectif scientifique national méthanisation raisonnable (CSNM) et professeur de physique à l’Université de Caen-Normandie. Depuis, une « résistance avertie » s’est constituée, désormais forte d’un solide réseau d’entraide : « Aujourd’hui, les citoyens ont pris conscience que les industriels prennent le pas sur les agriculteurs. Ils ne se battent plus pour eux, mais pour les générations futures. »
D’après les chiffres du CSNM, il existerait 319 associations et collectifs en lutte contre des projets de méthaniseurs. Des riverains qui se plaignent aussi par peur des risques d’accident, d’après Daniel Chateigner : « Nous avons enregistré 364 accidents depuis que nous avons commencé à les comptabiliser durant les années 1990. Et cette hausse ne semble pas liée aux nombres de méthaniseurs, puisque le nombre d’accidents augmente plus vite. »
Dans les environs d’Angerville, les citoyens continuent de se mobiliser malgré les tensions. « Avant la réunion publique des porteurs du projet, un des opposants a été bousculé ; un autre s’est fait arracher des tracts ; des signatures de la pétition ont été volées dans une boulangerie… Nous n’avons pas l’habitude de cette violence, ici », témoigne Florent. « Ça devient tabou. Je ne veux plus attiser le feu, j’ai peur que ça me tombe dessus », poursuit une autre habitante qui souhaite garder l’anonymat. La mobilisation se poursuit toutefois, avec l’espoir d’ouvrir le débat. Une manifestation est prévue au mois de mars.