Oui pub : vers la fin des catalogues dans les boîtes aux lettres ?

Pubs dans une boîte aux lettres. - Flickr/CC BY 2.0/35mmMan
Pubs dans une boîte aux lettres. - Flickr/CC BY 2.0/35mmMan
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Pollutions QuotidienCette expérimentation est menée dans onze territoires, non sans tensions et questionnements. Le principe : apposer un autocollant sur sa boîte aux lettres pour dire qu’on veut bien recevoir des prospectus.
26 kg… c’est le poids de prospectus que chaque foyer a reçu en 2020 dans sa boîte aux lettres. Et encore s’agissait-il d’une année particulière, en raison du Covid-19. En 2019, 30 kg avaient été distribués, d’après l’Agence de la transition écologique (Ademe).
Jusque-là, seules les boîtes aux lettres affichant le logo « Stop pub » étaient épargnées — en théorie — par ces catalogues de publicités et autres prospectus de promos. Or, depuis le 1ᵉʳ septembre, les habitants des métropoles de Grenoble, Nancy ou encore Agen ne reçoivent plus ces kilos de papier… sauf s’ils ont apposé un autocollant explicite « Oui pub » sur leur boîte. Onze territoires expérimentent ce dispositif, à la fois en zones urbaine et rurale. Trois autres devraient les rejoindre d’ici le 1ᵉʳ février 2023 : Troyes, la Corse et le centre Drôme-Ardèche. Au total, plus de 2,6 millions d’habitants sont concernés.
La Convention citoyenne pour le climat plaidait pour l’arrêt pur et simple de la distribution de la publicité dans les boîtes, au nom de la sobriété. Finalement, la loi Climat et Résilience a acté la mise en place d’une expérimentation sur trois ans, qui pourrait donc être généralisée à toute la France en 2025. Un dispositif critiqué pour son manque d’ambition par certaines associations écolos, comme Zéro Waste France.
Grenoble fait partie des villes qui se sont empressées de candidater : « Pour nous, c’était presque une évidence de participer, dit Christophe Ferrari, président de la métropole. Il nous paraît légitime de lutter contre cette pollution quand on sait que les deux tiers de ces prospectus, à peine reçus, partent à la poubelle. »
Des négociations parfois compliquées
C’était aussi une évidence pour le Smictom du pays de Fougères (Ille-et-Vilaine), le Syndicat mixte de collecte et tri des ordures ménagères. Mais il vient pourtant de se retirer du dispositif de test : « Lors des réunions avec nos partenaires locaux, nous avons pris conscience que ce serait très difficile à mettre en place dans les délais impartis, explique Élise Cruypenynck, chargée de communication du syndicat. Les négociations avec les commerçants locaux se sont révélées compliquées. » Jean-Michel Galle, qui a participé aux discussions, le confirme. « Nous avons tous conscience que la fin du papier pour la publicité est inéluctable, souligne le président de la délégation de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) des Marches de Bretagne, mais les délais n’étaient pas tenables. Les catalogues pour la fin d’année étaient déjà commandés depuis longtemps et les frais engagés. »
Il argue également de l’importance de ces prospectus tant pour les clients que pour les commerçants : « Dans les villes, il existe d’autres moyens de diffuser les campagnes de promos, mais dans le monde rural, ces catalogues sont un réel moyen pour les consommateurs d’augmenter leur pouvoir d’achat. Quant aux commerçants, notamment les petites enseignes et les indépendants, ces campagnes avec tractage peuvent représenter jusqu’à 40 % de leur chiffre d’affaires sur un an. »
Il prend l’exemple du magasin But local qui a tenté de stopper la distribution de son catalogue pendant une semaine. Résultat : 30 à 40 % de clients en moins le samedi suivant, assure Jean-Michel Galle. « Nous ne sommes pas contre le Oui pub, mais il faut mettre en place un calendrier raisonnable, le temps que les commerçants puissent s’adapter et se constituer des fichiers. »
Un autocollant stigmatisant ?
Le Syndicat de la distribution directe (SDD), qui réunit les deux leaders du marché de la distribution d’imprimés, Adrexo et Mediapost, soulève pour sa part les conséquences sociales d’une telle mesure. « Le taux d’adoption du Oui pub doit être assez fort pour que le modèle économique soit viable, explique Éric Paumier, président de la SDD et directeur général d’Adrexo. Il faudrait qu’au moins 30 % de personnes adoptent le Oui pub pour cela. Nous pourrons toujours distribuer ces prospectus, mais le coût deviendra prohibitif pour les annonceurs dans les zones où il est peu présent. Ils n’auront plus intérêt à y recourir. » Éric Paumier craint par ailleurs que cet autocollant soit peu adopté par peur d’une stigmatisation : « Les gens pourraient craindre d’être étiquetés soit comme anti-écolos, soit comme des pauvres dépendant des promos. »
Les tenants de la publicité papier s’interrogent aussi sur le réel gain environnemental de la mesure. Qu’est-ce qui est le plus polluant : les catalogues papier ou la communication numérique (mail, SMS, etc.) ? Pour Éric Paumier, « les études divergent à ce sujet. Profitons de cette période de tests pour réaliser une vraie analyse sur le coût environnemental de la publicité papier et de la publicité digitale ».
La loi prévoit justement que le gouvernement remette au Parlement début 2025 un rapport d’évaluation du dispositif Oui pub intégrant « une étude comparée de l’impact environnemental des campagnes publicitaires par voie de distribution d’imprimés et de celles effectuées par voie numérique ».
« Il n’y aura pas moins de publicité, mais une autre publicité »
« En l’absence de prospectus, il n’y aura pas moins de publicité, mais une autre publicité, prévient Jan le Moux, directeur économie circulaire et politiques produits du Copacel, l’Union française des industries du papier, du carton et de la cellulose. Plusieurs grandes enseignes ont d’ailleurs déjà annoncé renforcer leurs budgets publicitaires numériques en substitution du papier. »
Il cite une analyse de cycle de vie confiée par la Poste à Quantis, cabinet d’experts indépendant, afin de mesurer l’impact des supports papier et numérique. Cette étude a notamment comparé l’impact d’un catalogue de grande distribution promotionnel en couleurs de trente-six pages distribué en boîte aux lettres et celui d’une application mobile utilisée à partir de l’envoi d’une campagne par courriel intégrant une vidéo. « Le papier est plus favorable que le numérique pour 15 indicateurs environnementaux sur 16, sauf sur l’utilisation des sols », conclut l’étude. Le sujet n’a pas fini de faire couler de l’encre…