Ouvriers et écolos sauvent la Chapelle-Darblay, l’usine de papier 100% recyclé

- © NnoMan Cadoret/Reporterre
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Luttes DéchetsPlus d’une centaine de personnes se sont rassemblées ce mercredi près du ministère de l’Économie, lui demandant de sauver la Chapelle-Darblay, dernière papeterie française à produire du papier 100 % recyclé. Après plus de sept heures d’occupation, elles ont obtenu un engagement ferme de la ministre déléguée à maintenir les activités de la papeterie.
Paris, reportage
« Pour qu’industrie rime avec écologie, sauvons la Chapelle-Darblay. » Ce mercredi 28 avril, peu après 8 heures, près de 120 personnes ont occupé une partie du port de la Rapée, à proximité du ministère de l’Économie. Ils répondaient à l’appel du collectif Plus jamais ça !, composé d’organisations syndicales, associatives et environnementales, qui luttent pour « reconstruire un futur écologique, féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral ».
« Nous demandons à l’État d’empêcher le démantèlement de la seule usine française à produire du papier journal 100 % recyclé », a expliqué Julie [*], militante à Greenpeace, à propos de la papeterie en péril de la Chapelle-Darblay, située à Grand-Couronne, en Seine-Maritime. S’il ne trouve pas de repreneur d’ici le 15 juin, ce site pionnier de l’économie circulaire sera fermé par son propriétaire finlandais, le groupe UPM, qui l’a acheté en 2019. L’usine est arrêtée depuis la mi-juin 2020 ; 215 emplois directs ont depuis été supprimés et près de 1 000 emplois indirects dans la filière française du recyclage sont menacés, selon la CGT.

« Un immense sentiment de gâchis »
Les activistes ont déclenché des fumigènes roses et jeté à l’eau des mannequins, symbolisant les 215 ouvriers dont les emplois ont été supprimés. « Derrière chaque emploi, il y a des vies et des familles », a raconté à Reporterre Julien Sénécal, secrétaire CGT et « enfant de la Chapelle ». Son grand-père et son père ont travaillé dans cette usine avant lui.
« Ce n’était pas qu’un boulot, c’étaient nos liens sociaux. Après avoir récupéré nos affaires dans nos casiers, qui va pouvoir retrouver un emploi, avec la pandémie de Covid-19 et la crise sociale », a-t-il déclaré, en ressentant un « immense sentiment de gâchis ».
À ses côtés, son collègue Arnaud Dauxerre, représentant sans étiquette du collège cadres au comité social et économique (CSE), a déploré « la perte d’une usine où nous portions haut les valeurs écologiques que le gouvernement dit porter. Ce serait absurde de l’abandonner ».

La papeterie de Grand-Couronne était l’un des deux seuls débouchés français (avec la papeterie Norske Skog de Golbey, dans les Vosges) pour désencrer les vieux papiers — les journaux, les magazines, les brochures et les imprimés publicitaires. L’usine récupérait annuellement 350 000 tonnes de déchets en papier, principalement issus d’Île-de-France, soit l’équivalent du geste de tri de 24 millions de personnes.
« À partir de ce papier usagé, un nouveau était produit ; les résidus de la production permettaient de fabriquer de l’électricité décarbonée, puis les eaux usées étaient nettoyées dans la station d’épuration du site », précisait le collectif Plus jamais ça ! dans une tribune publiée sur Reporterre le 27 avril.
« Le gouvernement parle de sauver la planète, mais se couche devant une multinationale »
« Il ne faut pas tourner la page de la Chapelle-Darblay, ici tous les ingrédients sont réunis, on se demande pourquoi on a encore besoin de lutter pour sauvegarder une telle industrie, ça paraît si évident ! » a déclaré au micro Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France.
« Le gouvernement parle de sauver la planète, mais se couche devant une multinationale qui veut fermer une usine de recyclage pour délocaliser la production en Amérique latine et aggraver la déforestation », a dénoncé Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Vers 9 h 20, les CRS ont commencé à nasser une cinquantaine d’activistes situés en haut du quai.
« Il faut sauver cette usine qui fait de la transition écologique. »
« Messieurs Macron, Le Maire, nous en avons marre de vos belles paroles. Il faut sauver cette usine qui fait de la transition écologique, et vous en avez les moyens », a exhorté Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France. La préfecture de Seine-Maritime, la mairie, la région Normandie et trente-sept élus avaient déjà adressé le 10 mars dernier une lettre à Emmanuel Macron pour lui demander de sauver l’usine. Parmi les signataires : Anne Hidalgo et Édouard Philippe.
Selon le collectif Plus jamais ça !, l’État pourrait inscrire ce projet de sauvetage dans son plan de relance pour assurer une reprise immédiate du site, ou encore préempter l’usine.

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a reçu les revendications des activistes. « On ne partira pas avant d’avoir une garantie écrite que le site sera sauvegardé dans son intégralité », a assuré Aurélie Trouvé, pendant que des CRS tentaient de ramasser les mannequins symbolisant les ouvriers en détresse.
Juste avant la date limite du 31 mars pour le dépôt de candidature à la reprise de la « Chapelle », cinq repreneurs potentiels se sont manifestés, selon UPM. « Il faut maintenir l’outil industriel de Grand-Couronne le temps qu’elles se concrétisent, voire que d’autres acteurs du recyclage se manifestent pour en faire un écopôle industriel du recyclage, a dit Arnaud Dauxerre. En ce moment, on parle beaucoup d’isolation thermique : on pourrait aussi produire de grandes quantités de ouate de cellulose [un matériau de construction isolant très prisé en écoconstruction]. L’écrin est prêt ! »

Vers 10 h 30, les manifestants ont reçu une proposition de rendez-vous le jour même, à 11 h 30, par le cabinet de Bruno Le Maire, actuellement à Bruxelles pour présenter le plan de relance français. Le ministre de l’Économie ne pouvant pas être présent en visioconférence, la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher les a accueillis. Celle-ci a d’abord demandé à recevoir uniquement les représentants des salariés, ce qu’ils ont refusé. « Nous n’accepterons pas tant que nous ne serons pas reçus tous ensemble. Nous sommes organisés et déterminés à tenir longtemps », ont-ils déclaré.
« Je regrette que la main tendue ce matin ait été refusée » selon ses conditions, a réagi sur Twitter Agnès Pannier-Runacher ; un tweet balayé d’un revers de main par Attac France : « Quelle main tendue ? Vous refusez de recevoir l’ensemble de notre délégation. »
Les représentants des salariés et Philippe Martinez ont finalement été reçus dans l’après-midi par Agnès Pannier-Runacher, qui a évoqué « une discussion constructive ». Après plus de sept heures d’occupation, ils ont obtenu un engagement ferme de la ministre déléguée à maintenir les activités de la papeterie. Le 10 mai, le collectif Plus jamais ça ! connaîtra le projet d’un repreneur, qui devra être validé par les salariés.
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