Peinture, lunettes... En Bretagne, les coquilles d’huître se recyclent

Les ostréiculteurs morbihannais peuvent, depuis quelques années, stocker leurs coquilles vides et participer à leur recyclage. - © Antoine Irrien / Reporterre
Les ostréiculteurs morbihannais peuvent, depuis quelques années, stocker leurs coquilles vides et participer à leur recyclage. - © Antoine Irrien / Reporterre
Durée de lecture : 6 minutes
Eau et rivières ÉconomieDans le sud de la Bretagne, les coquilles vides trouvent une utilité. Elles sont intégrées dans une économie circulaire, de la mer aux bandes routières, à destination de secteurs industriels qui en font de la peinture, des lunettes ou encore des œuvres d’art.
Trinité-sur-Mer (Morbihan), reportage
Le cri des mouettes ne se fait plus entendre. Le brouhaha des machines de Kermancy a pris le dessus. Engouffrés dans l’anse de Kervilor, à la Trinité-sur-Mer, à l’embouchure de la rivière de Crac’h, des femmes et des hommes s’affairent. Jour après jour, l’Excalibur ramène à quai de belles huîtres plates et creuses. Au volant de son engin, un homme paré d’une cotte jaune à bretelles décharge petit à petit les caisses foisonnantes du bivalve si précieux jusqu’à la chaîne de tri. Dans l’exploitation des Tanguy, on le travaille depuis bientôt 50 ans. C’est entre les fêtes que la saison bat son plein. « On est dans le jus », lance Mickaël, qui a pris la relève de son père, Ludovic. Accoudé au comptoir de son espace de dégustation, l’ostréiculteur reçoit des coups de fils de restaurateurs et autres clients. Un peu plus loin, près d’un bâtiment, les coquilles vident forment un tas.

« L’ostréiculture, c’est aussi beaucoup de déchets, indique le producteur. La baie de Quiberon est ouverte. Les huîtres vivent et grandissent à même le sol, et pas dans des poches. On a donc beaucoup plus de déchets coquillés qu’un sac peut contenir. » S’ajoutent à cela les déchets des parcs, les huîtres mortes, ou celles victimes de prédateurs naturels. En Bretagne, chaque année, elles sont quelques milliers de tonnes à se retrouver abandonnées.

À Kermancy, les éleveurs remontent les bivalves à la drague, une armature rigide traînée sur le fond. « Quand on drague, on trouve aussi de vieilles coquilles. Mais attention, nous ne sommes pas là pour bousiller les sols. » Le quarantenaire observe du coin de l’œil la pyramide d’huîtres vides qui se forme sur son exploitation.
« Ce n’est plus un déchet, mais une ressource locale »
Les coquilles vides prennent ensuite la route, à bord des camions de l’association Perlistrenn. À sa tête, Pascal Mangin, qui a travaillé pendant plus de 30 ans dans la gestion des déchets. « Il y avait quelque chose à faire, dit-il. Je m’en suis rendu compte avec tous ces coquillages morts qui jonchent les plages. » En 2014, l’actuel retraité frappe à la porte du Comité régional de la conchyliculture (CRC) Bretagne sud. « L’objectif, c’est d’offrir un service aux ostréiculteurs pour qu’ils puissent se débarrasser des déchets coquillés. C’est à eux de trouver un endroit pour stocker. Ils attendent jusqu’au moment où il y a de quoi remplir un ou plusieurs camions de 25 à 30 tonnes. Puis ils m’appellent, et je viens récupérer la matière. »

Du bouche-à-oreille, en passant par le porte-à-porte, Pascal Mangin s’est servi du réseau du comité. Au volant de son camion, au contact des éleveurs, il a réussi à installer une logistique, en ciblant en premier lieu les plus grosses exploitations. « Il reste encore des choses à faire pour que les petites fermes puissent s’adapter à la collecte. » En fonction des saisons, l’économie circulaire qu’il a réussi à lancer fédère aujourd’hui entre 50 et 100 ostréiculteurs morbihannais. « En moyenne, 1 000 tonnes de coquilles sont récupérées par an. Ce n’est plus un déchet, mais une ressource locale. » Un projet qui s’est vite retrouvé à la table du conseil régional, qui a décidé de soutenir la filière à hauteur de 49 000 €.
Une transformation radicale
Une fois à l’intérieur d’une remorque, l’huître continue sa route, direction la commune de Cléguer, au nord de Lorient. Dans la zone artisanale de Kervellerin, une petite usine aux procédés 100 % naturels valorise à sa manière les déchets coquillés que Perlistrenn décharge en plusieurs tas, d’octobre à février. La TPE prend en charge l’intégralité du service, et sous-traite les véhicules.

Martine Le Lu, docteure en pharmacie, dirige cette petite unité composée de sept ouvriers qui nettoient, trient, broient, et concassent les résidus de coquille, avant qu’ils ne soient transformés en poudre. C’est elle, bien avant Perlistrenn, qui a sillonné les fermes ostréicoles, afin d’échanger avec les éleveurs autour du recyclage. « Il faut cinq étapes pour que la carapace du bivalve donne une matière sablonneuse sans ajout d’excipient », explique la cheffe d’entreprise, dont les pas font craquer quelques coquillages. Cosmétiques, lunettes, plastiques biodégradables, divers objets issus de l’impression 3D, la marque Ostrecal, créée en 2006, est à l’origine de nombreuses créations qui ornent les armoires en verre des couloirs de l’entreprise. Des artistes, à l’image de la Rennaise Lucile Viaud, s’en servent même pour réaliser leurs œuvres.

La designeuse valorise des coquillages, dont l’ormeau, pour en faire un verre marin, recyclable à l’infini. Une matière qu’elle a nommée « Glaz », comme les couleurs changeantes de la mer bretonne.
Une suite plutôt logique pour l’usine de Kervellerin, où le père de la famille Le Lu a démarré dans les engrais et fertilisants naturels à destination de l’agriculture biologique, notamment à partir d’algues. « Pour la coquille, c’était différent. Il fallait concevoir une machine spéciale pour la trier, la nettoyer et la broyer. » Une fois construite, la petite entreprise a noué un partenariat avec une filiale du groupe Bouygues afin d’utiliser la matière calcaire pour en faire du marquage routier au début des années 2000. On retrouve Ostrecal sur des centaines de kilomètres de goudron dans le Morbihan et en région parisienne. « La peinture est l’un des premiers secteurs à avoir pris conscience des atouts de l’huître », reprend Martine Le Lu, qui tire sa force d’un savoir-faire unique.

L’usine de Kervellerin produit différents types de matières à base de déchets coquillés. Chacune d’entre elles est utilisée différemment. Aujourd’hui, les sacs de 500 kilos de poudres blanches débordent des sacs. Ils sont entreposés à l’entrée du bâtiment principal, non loin des machines, prêts à être livrés aux industriels de la région qui souhaitent s’en servir pour l’élaboration de produits finis.

Plusieurs sociétés en font l’usage, à l’image de la Finistérienne Cool Roof, qui a inventé une peinture réflective climatique pour les toits. « Je suis heureuse de la forme qu’a pris ce circuit court. Mobiliser les ostréiculteurs a été un travail énorme. Il a fallu qu’ils sautent le pas, qu’on les sensibilise au recyclage. Je veux tirer l’huître vers le haut, donner une bonne image à la profession. Ici se joue l’image du Morbihan, de la Bretagne toute entière. »