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Petit à petit, les jouets d’occasion font leur nid

Ressourceries, sites internet dédiés, dépôts-ventes, boutiques Emmaüs, associations…les façons de rénover les jouets se multiplient et satisfont une demande croissance. Il reste à surmonter des mentalités droguées au « neuf », le lobbying des fabricants et l’inertie des autorités.

  • Paris, reportage

Un énorme ours en peluche accueille les clients de la boutique, son museau enfoui dans une barbe de père Noël. Au rayon déguisement, une grand-mère hésite entre un costume de lapin et un habit de pirate. Sur un présentoir, des poupons tirés aux quatre épingles observent de leur regard bleu plastique des camions de pompiers rutilants. Les étiquettes, fabriquées avec des cartes de jeu, indiquent des prix 50 à 70 % moins élevés qu’en grande surface. Dans cette boutique de l’association Rejoué, dans le 14e arrondissement de Paris, on ne trouve que des jouets d’occasion. Et à quatre jours de Noël, les allées ne désemplissent pas.

Penchée sur les boîtes de jeux de société, Fabienne cherche des cadeaux pour ses neveux et nièces : « Je viens ici pour la première fois, dit-elle, car cette année, plutôt que d’acheter du neuf, on a décidé d’offrir des jouets de seconde main. » Si elle y trouve un intérêt économique, sa motivation est avant tout écologique : « Dans cette société de surconsommation, on jette tout si vite... Et les enfants se désintéressent rapidement des jouets, alors mieux vaut réutiliser. »

La boutique de l’association Rejoué.

Les chiffres lui donnent raison : selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), chaque année en France, 100.339 tonnes de jouets sont jetés, après une durée moyenne d’utilisation de huit mois. Las, l’immense majorité finit dans un incinérateur, comme l’explique Xavier Lesage, chargé de communication de l’association Rejoué : « Il y a beaucoup de plastiques différents, donc très difficilement recyclables, et il existe pour le moment très peu d’organismes de réemploi. » Outre les ressourceries, les sites internet dédiés, les dépôts-ventes ou les boutiques Emmaüs, neuf associations, dont Rejoué, se sont aujourd’hui spécialisées dans la revalorisation des jouets en France. Elles récupérent environ 200 tonnes de ces joujoux bannis de nos placards. Elles les trient, les lavent, les complètent s’il leur manque une pièce… puis les revendent dans des magasins solidaires. Qui sont tous pris d’assaut.

« Les gens ont encore peur de passer pour des radins s’ils offrent de l’occasion » 

« Il y a une forte demande, constate Xavier Lesage. Surtout, les profils des acheteurs se diversifient. » Car si l’achat d’occasion a longtemps été considéré comme réservé à des personnes à faibles revenus, il séduit à présent les classes moyennes sensibles aux enjeux environnementaux. Dans la boutique parisienne, Sandrine s’affaire à reconstruire un palais en briques de Lego roses et blanches. Salariée chez Natixis, elle fait un peu de bénévolat pour l’association Rejoué, et envisage d’y faire ses emplettes : « Avant, ça ne se faisait pas d’offrir de l’occasion, mais à présent, la revalorisation est devenue ‘tendance’ », dit-elle.

Salariée chez Natixis, Sandrine fait un peu de bénévolat pour l’association Rejoué

Tous les acteurs du réemploi constatent ce boum du marché de l’occasion, et les jouets ne font pas exception. « La fréquentation croît, le dépôt augmente et la vente aussi, sur tous les objets et meubles, observe Sébastien Pichot, membre de la Ressourcerie du pont au Vigan, dans le Gard. Nos poubelles débordent, ça commence à se voir, les médias en parlent, et les gens se sensibilisent. » Il y a douze ans, Guillaume Lemery a créé Okkazéo, une plateforme en ligne de vente de jeux de société de seconde main. Depuis, son site enregistre une croissance ininterrompue du nombre de visites — environ 2,5 millions de pages vues en un mois, 105.000 annonces publiées en 2019 — qu’il attribue au boum du marché des jeux de société, mais également à un réflexe « anti-gaspi » des joueurs : « On n’a pas besoin d’avoir un jeu qui dort sur une étagère, autant qu’il aille servir ailleurs, ça fait de la place et des heureux », dit-il.

Pourtant, des freins psychologiques persistent. « Les gens ont encore peur de passer pour des radins s’ils offrent de l’occasion », témoigne Marine Foulou, responsable du défi Rien de neuf à Zero Waste France. « Il y a ce cliché de la peluche crapouilleuse, renchérit Xavier Lesage, l’idée que les jouets issus du réemploi sont sales, ou trop abîmés. » Des préjugés renforcés par la publicité, « qui crée sans cesse des besoins et l’envie de la nouveauté », dénonce Sébastien Pichot. Pour surmonter ces obstacles, les organismes de la revalorisation n’ont lésiné ni sur les moyens ni sur la créativité.

Les livres aussi ont droit à une seconde vie chez Rejoué.

À Rejoué, 45 salariés en chantier d’insertion nettoient minutieusement, voire manuellement, les jouets qui arrivent, afin qu’ils brillent comme un sou neuf. « Pour une petite cuisinière qu’on vendra 15 €, on va passer deux à trois heures à la récurer », précise Xavier Lesage. Les objets cassés ou abîmés sont triés pour être recyclés, car l’association ne fait pas de réparation, « pour l’aspect sécuritaire ». Les puzzles sont réalisés et les constructions en legos montées, afin de vérifier qu’il ne manque aucune pièce. « Notre but est de sortir du marché de l’occasion, et de montrer qu’on peut faire du réemploi de qualité », dit encore le chargé de communication. Au magasin de Rejoué, Sophie tient la caisse depuis quatre ans, et apporte la plus grande attention à « la mise en scène des rayons » : « On valorise l’acte d’achat, pour que les gens se disent qu’ils viennent dans une boutique de jouets, pas dans une brocante. »

Sophie tient la caisse depuis quatre ans et apporte la plus grande attention à « la mise en scène des rayons ».

Dans le cadre du défi Rien de neuf, Zero Waste propose des petites cartes à joindre aux cadeaux d’occasion, cartes qui expliquent la démarche « Je contribue à préserver les ressources naturelles, je ne participe pas à la surconsommation, j’ai été choisi avec amour et créativité », peut-on y lire. « On mise sur la pédagogie, dit Marine Foulon. On veut mettre une valeur écolo et de temps à ces cadeaux, car un objet d’occasion est souvent plus personnalisé et demande du temps pour être déniché. »

Se battre auprès des autorités pour se faire reconnaître 

En plus de convaincre les consommateurs, les structures de réemploi solidaire doivent se battre auprès des autorités pour se faire reconnaître. « On crée des filières locales pour transformer et réutiliser les objets plutôt que de les jeter, on crée des emplois, souvent en insertion, et des commerces de proximité, détaille Sébastien Pichot. Malgré tout ça, le réemploi solidaire est très peu aidé, car on a voulu nous faire croire que le recyclage était la solution avec la valorisation énergétique, autrement dit, faire cramer nos déchets pour faire de l’électricité… mais c’est faux. » Peu d’aides et beaucoup d’épines dans les souliers de ces pères Noël écolos. « Le lobby des fabricants de jouets essaie de nous mettre des bâtons dans les roues, et de restreindre les jouets qu’on peut rénover et nos possibilités de vente aux acteurs publics, comme les écoles ou les bibliothèques », regrette Xavier Lesage.

À Rejoué, 45 salariés en chantier d’insertion nettoient minutieusement, voire manuellement, les jouets qui arrivent, afin qu’ils brillent comme un sou neuf.

Les spécialistes du réemploi de jouets se mobilisent donc, dans le cadre des débats parlementaires sur la loi anti-gaspillage, pour la création d’une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) dédiée aux jeux : « Comme pour les appareils électroniques, une écocontribution intégrée au prix des jouets neufs permettra de financer les structures chargées du retraitement de ces produits, notamment leur réemploi et recyclage », explique Rejoué dans un communiqué. Le projet de loi, adopté jeudi 19 décembre en première lecture, a repoussé la mise en place de cette écotaxe à 2022.


DES JOUETS REVALORISÉS EN DÉPÔT-VENTE

Depuis 40 ans, la boutique Bambin Troc propose des jouets d’occasion sur le fonctionnement du dépôt-vente, une autre manière de les revaloriser. Les jouets y sont revendus environ à moitié prix. Exceptionnellement, à Noël, Pascale, la propriétaire, achète des jouets en bois neufs en Allemagne, « en respectant des critères de construction éthique ». Depuis une année, la clientèle de Bambin Troc a augmenté, « suivant le boum de la seconde main et la prise de conscience écologique », selon Pascale.

  • Regarder notre reportage photographique à la boutique Bambin Troc

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