Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Climat

Loi économie circulaire : des mesures marginales qui n’enrayent pas la crise écologique

La loi sur l’économie circulaire, en cours d’examen, est censée incarner « l’accélération écologique du quinquennat ». Peu ambitieuse, elle déçoit nombre d’associations écologistes, qui taclent : « le gouvernement n’a pas conscience de l’ampleur des changements qu’il faut apporter à notre modèle économique » pour enrayer la crise climatique.

Au cours de l’examen de la loi économie circulaire, la secrétaire d’État Brune Poirson a annoncé, fièrement, l’interdiction des emballages plastiques à usage unique d’ici… 2040. « C’est un signal très fort et concret que la France envoie au reste du monde », se gargarisait-elle sur Twitter.

Le gouvernement voit dans cette loi un « tournant majeur » qui incarnerait « l’accélération écologique du quinquennat ». Sur les réseaux sociaux, certains ont eu beau jeu de rappeler qu’en 2040, la mer pourrait contenir plus de déchets plastiques que de poissons ou que nous ingérons cinq grammes de plastique par semaine soit l’équivalent du poids d’une carte bleue. La situation est urgente mais la secrétaire d’État persiste dans son calendrier extensible. « La transition se doit d’être radicale et non brutale, a-t-elle déclarée sur France 5. Cet enjeu est trop important pour faire les choses sans réfléchir et sans méthode. »

Le projet de loi économie circulaire, dont la première lecture à l’Assemblée nationale s’achève vendredi 20 décembre, a le mérite de mettre en avant la vision de l’écologie défendue par la Macronie : une écologie libérale aux ambitions lointaines, consensuelle et focalisée sur les comportements individuels.

« La transition se doit d’être radicale et non brutale », selon Brune Poirson.

En commission Développement durable, l’ancienne ministre de l’Environnement, Delphine Batho, a ainsi condamné la philosophie du texte de loi, axé sur « l’économie verte » et le « découplage entre la croissance et la consommation de matières ». « Ce découplage n’existe pas. Si nous voulons aller au devant d’un certain nombre de chocs et d’effondrements, nous devons au contraire organiser une décroissance volontaire », affirmait-elle.

Beaucoup doutent que les mesures proposées dans le texte de loi puissent enclencher un véritable changement de modèle. Le titre I se concentre sur « l’information du consommateur » pour améliorer « la transparence » et « éclairer le choix des individus ». Les parlementaires veulent « généraliser l’affichage des consignes de tri », « indiquer la présence de perturbateurs endocriniens dans les produits ». Le gouvernement a proposé aussi la création d’un indice de réparabilité obligatoire sous la forme d’une note allant de 1 à 10 et les députés ont voté l’allongement et le renouvellement de la garantie légale de conformité. Pour les outils électroniques, les fabricants devront informer leurs clients sur la durée durant laquelle les mises à jour logicielles permettent un usage normal des appareils. Les députés souhaitent aussi améliorer la disponibilité de pièces détachées pour certains équipements électroménagers, électroniques et de télécommunications.

Interrogée par Reporterre, Véronique Riotton, la députée LREM rapporteure du texte, explique le sens de ces mesures : « C’est une loi faite pour tous. Elle participe à l’éveil des consciences. Grâce à elle, chacun peut se saisir d’une mesure concrète pour changer ses comportements dans la vie de tous les jours. C’est ça, l’accélération écologique. »

L’insistance portée sur la transparence est révélatrice. « Le gouvernement croit qu’il suffit de diffuser l’information pour que marché s’autoverdisse, estime la philosophe Jeanne Guien. C’est une forme d’enfumage. La marque d’une vision ultra libérale ».

« Le texte reste trop souvent cantonné à l’incitation, continue Laura Châtel, de l’association Zero Waste. On risque de passer à côté de mesures fortes et contraignantes vis-à-vis des entreprises. » Même son de cloche chez la députée La France Insoumise Mathilde Panot : « L’écologie du gouvernement refuse la conflictualité et ne veut pas brusquer les industriels. L’État n’assume pas son rôle régulateur. » Au cours du débat, Véronique Riotton a ainsi affirmé que « l’indice de réparabilité incitera le marché à faire le ménage tout seul ».

« Nous allons nous débarrasser de tous les plastiques superflus, les pailles, les touillettes, les confettis »

Sur la pollution plastique, le projet de loi a tout de même pris plusieurs dispositions. Au-delà de l’objectif fixé à 2040 pour l’interdiction des emballages plastiques à usage unique, le gouvernement a cranté son action : en 2021, les films plastiques pour les fruits et légumes dans les supermarchés seront supprimés. Seront aussi interdits les produits fabriqués à base de plastique « oxodégradable » tout comme la distribution gratuite de bouteilles en plastique dans les établissements recevant du public.

En 2022, la vente de médicament en vrac à l’unité sera autorisée pour lutter contre le gaspillage et le suremballage. Les jouets en plastique distribués gratuitement dans le cadre des menus pour enfants seront également interdits. Enfin, en 2023, la loi prévoit d’obliger les fast-food à utiliser de la vaisselle réutilisable pour les repas et les boissons consommés sur place.

L’interdiction des ballons, des touillettes, etc. est jugée « un peu anecdotique » par certaines associations.

« C’est un bouleversement dans notre quotidien, s’est enthousiasmée Brune Poirson lors des débats parlementaires. Nous allons nous débarrasser de tous les plastiques superflus : les pailles, les touillettes, les ballons de baudruche, les confettis, les sachets de thé, les couvercles d’emballage, les cotons-tiges, les boites de polystyrène […] Pour changer ces habitudes de consommation, il nous faudra une génération […] C’est un projet de société. »

La position des associations écologistes est moins enthousiaste. « Ce sont, certes, de bonnes initiatives mais elles restent anecdotiques », analyse Laura Châtel. « C’est un signal positif mais timide, pense également Margarita Verboud de France nature environnement. Le gouvernement aurait dû adopter des quotas minimum d’emballages réutilisables à commercialiser pour que les principaux responsables de la surconsommation de plastique soient contraints d’investir dans de véritables alternatives. »

« Le projet de loi ne s’attaque pas à la racine du problème »

La focalisation sur le plastique tend aussi à masquer les autres sources de déchets. Sur lesquelles il y a peu d’avancées. « Il est plus facile d’imaginer un monde sans emballages jetables que de réduire les produits mis sur le marché », souligne Alma Dufour. La chargée de campagne de l’ONG les Amis de la Terre se dit dépitée. Presque aucune de ses propositions n’ont été adoptées.

« Rien n’a été fait pour réduire la surproduction dans le secteur textile, alors qu’il s’agit du quatrième émetteur de gaz à effet de serre mondial, regrette-t-elle, ni pour limiter l’impact du e-commerce. Aucun moratoire sur l’extension des zones commerciales, aucune réflexion sur les niveaux de consommation, les importations, le trafic aérien de marchandises... »

Le gouvernement a évacué le sujet. En témoigne le sort réservé à l’amendement déposé par François-Michel Lambert, Matthieu Orphelin, Sandrine Josso du groupe Liberté et Territoires. Il demandait à l’État de réduire la vente de produits neufs à partir de 2022. Il a été balayé d’un revers de la main, à minuit, jeudi 12 décembre, sans aucun débat, alors qu’un quart d’heure venait d’être consacré à l’interdiction des lâchers de ballons de baudruche.

« Le projet ne s’attaque pas à la racine du problème, estime Alma Dufour. Le gouvernement n’a pas conscience de l’ampleur des changements qu’il faut apporter à notre modèle économique dans les dix ans qu’il nous reste pour éviter l’emballement climatique. »

« Rien n’a été fait pour limiter l’impact du e-commerce », déplore A. Dufour, des Amis de la Terre.

Le projet de loi ne porte en effet que sur l’aval de la filière. Il insiste sur le recyclage, c’est-à-dire traite les conséquences sans s’interroger sur les causes. Le texte propose, par exemple, d’interdire la destruction des invendus non alimentaires. Les produits seront désormais soit recyclés soit donnés à des associations caritatives. Une bonne chose qui fait néanmoins l’impasse sur l’origine de cette situation : le productivisme qui inonde le marché et attise des besoins artificiels. « Surtout que les invendus ne seront pas forcément donnés, le lobby du luxe a fait pression pour qu’ils puissent être recyclés. C’est une forme atténuée de destruction », déplore Alma Dufour.

« Le gouvernement ne veut pas menacer les intérêts des publicitaires »

Le projet de loi n’aborde qu’à la marge les moteurs du consumérisme et notamment la publicité. « Je n’attendais pas grand-chose de ce gouvernement mais il arrive quand même à me décevoir », dit Thomas Bourgenot, du collectif Résistance à l’agression publicitaire. Le texte de loi interdit simplement les cadeaux publicitaires dans les boites aux lettres, les publicités qui font de fausses promotions type Black Friday et celles qui prônent le mésusage. « Personnellement, je n’ai jamais reçu de cadeaux publicitaires dans ma boite aux lettres. Il y a très peu de pubs qui encouragent directement l’obsolescence programmée. On légifère sur des sujets marginaux qui ne dérangent personne », s’agace Thomas Bourgenot.

Résistance à l’agression publicitaire proposait au contraire d’interdire les publicités sur les voitures polluantes, les vols aériens internes, les bouteilles d’eau en plastique jetable. Soit « tous les produits dont la consommation de masse est particulièrement nocive pour l’environnement ». Le collectif souhaitait également interdire les écrans publicitaires numériques ultra énergivores.

Sur ce sujet, un amendement de repli a été déposé par Delphine Batho. Il permet aux maires d’interdire la publicité numérique dans les gares, les métros et les voies de circulation par simple arrêté. L’amendement a été adopté malgré l’avis défavorable du gouvernement.


LE PROJET DE CONSIGNE RELANCÉ

En septembre 2019, lors de l’examen de la loi économie circulaire au Sénat, le débat avait également été monopolisé par le projet de consigne du gouvernement. Reporterre avait montré comment cette consigne était un cadeau offert aux industriels. Elle n’avait pas pour but le réemploi des emballages mais simplement leur recyclage : une manière de donner une image écolo à la bouteille en plastique jetable et de privatiser la gestion des déchets. Le Sénat avait donc retiré cette mesure.

À l’Assemblée nationale, un amendement l’a réintroduit mercredi 18 décembre. Il accorde un délai de trois ans aux collectivités territoriales pour améliorer le recyclage des bouteilles en plastique en vue d’atteindre l’objectif fixé par la Commission européenne de 77 % en 2025 et de 90 % d’ici à 2029 (contre 57 % en France aujourd’hui). Si ces objectifs ne sont pas atteints, le gouvernement pourra « imposer la mise en œuvre d’un dispositif de consigne, après en avoir évalué l’impact environnemental, économique et financier », et après une simple « concertation » avec les organismes et collectivités chargés de la collecte et du traitement des déchets.

Les associations écologistes sont sceptiques. Elles prônent avant tout le retour d’une consigne des bouteilles en verre pour le réemploi. Et celle-ci est marginalisée dans le dispositif qui insiste avant tout sur le recyclage.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende