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Déchets

Si rien ne change, il y aura plus de plastique dans les océans que de poissons

Un continent de plastique flotte sur les océans. Des chercheurs ont découvert qu’il se dégrade sous les effets du soleil et du roulis des vagues en nanoparticules capables de transpercer « les membranes cellulaires et même les noyaux de cellules ». Pourtant, la production de plastique pourrait doubler dans les vingt prochaines années.

« Cette pollution est sournoise. La plupart du temps depuis le pont du bateau, on ne perçoit pas les microparticules de plastique. Elles apparaissent comme des confettis quand la mer est très plate. Mais si la mer est agitée, on passe complètement à côté. » Voilà ce que décrit Patrick Deixonne, navigateur et fondateur de l’Expédition 7e continent qui lutte contre la pollution marine. Après un mois de navigation dans le nord de l’océan Atlantique, l’association Expédition 7e continent a transmis des échantillons de microplastiques au CNRS de Bordeaux. Après des mois de recherches et de mise au point d’outils capables de mesurer l’infiniment petit, les résultats tombent. L’étude, publiée dans la revue Environmental Science : Nano, nous apprend que la réalité est bien pire que ce que nous pensions. Sous les rayons du soleil et dans le roulis des vagues, nos emballages, bouteilles ou sacs plastiques « se dégraderaient en nanoparticules, 30.000 fois plus petites que l’épaisseur d’un cheveu », selon les chercheurs.

Des milliers de milliards de nanoplastiques flottent ainsi dans les gyres océaniques, ces immenses tourbillons marins formés en cinq points du globe : Atlantique Nord, Atlantique Sud, océan Indien, Pacifique Nord, Pacifique Sud.

Un gyre océanique est un immense siphon formé par les courants marins sous l’effet de la rotation de la Terre. Les océans en comptent cinq.

Ces nanobouts de détritus représentent-ils un danger pour la santé et l’environnement ? « Plus les particules sont petites, plus elles se diffusent et transpercent les membranes cellulaires et même les noyaux de cellules », explique Julien Gigault, chercheur en chimie au CNRS, qui a analysé les échantillons de l’Expédition. Les nanoplastiques pénètrent l’organisme des poissons et des planctons. « Imaginons maintenant que tous les polluants du monde soient accrochés à ces nanoparticules, ajoute-t-il. C’est en cours d’analyse, mais nous pensons que les métaux lourds, additifs et compléments organiques sont transportés par ces nanoparticules. » Celles-ci, du fait de leur petitesse et de leur déploiement, deviennent donc des vecteurs de pollution.

Des microparticules de plastique triées en laboratoire.

Un autre laboratoire vient de démontrer cette toxicité pour le système de reproduction des espèces marines. L’étude du Lemar, le Laboratoire des sciences de l’environnement marin, publiée au mois de février, prouve que les microplastiques menacent les huitres et autres mollusques filtreurs des mers.

Si rien ne change, les océans contiendront plus de plastique que de poissons (en poids) en 2050

Autre rapport édifiant de ce début d’année, peu relayé dans les médias, celui du Forum économique mondial et de la fondation Ellen MacArthur. « 150 millions de tonnes de plastiques » stagneraient aujourd’hui dans les eaux océaniques et « au moins huit millions de tonnes y seraient déversées chaque année », soit l’équivalent d’une benne à ordure par minute. La production mondiale de plastique, multipliée par 20 en cinquante ans, pourrait doubler dans les vingt prochaines années. Même constat pour les déchets. « Si rien ne change, les océans contiendront plus de plastique que de poissons (en poids) d’ici 2050 », affirme le communiqué officiel.

Plus de masses de plastiques que de poissons en 2050 ? Si ce document — une synthèse d’études scientifiques déjà existantes — manque d’exactitude, il a le mérite d’alerter l’ensemble des pollueurs de la planète et des pouvoirs publics réunis au mois de janvier dernier au sommet de Davos, en Suisse.

Le navire de l’Expédition 7e continent.

Fait troublant du rapport, de nombreux pollueurs soutiennent ces données édifiantes. Aux côtés de leaders du recyclage, la présence discrète d’un leader mondial de l’industrie chimique, Dow Chemicals, ou de la branche emballage du géant des sodas, Coca Cola Femsa. Ceci a de quoi brouiller les ondes de la radio développement durable. L’indépendance de ce rapport doit-il pour autant être remis en cause ? Les industriels aurait-ils commencé leur révolution verte ?

Un élément de réponse nous parvient par voie de communiqué de presse : « La fondation Total se mobilise aux côtés d’Expedition 7e Continent. » Le géant pétrolier va financer les recherches à venir à hauteur de 385.000 euros répartis sur deux ans. Cette annonce ne concerne pas les premières recherches réalisées par le CNRS de Bordeaux sur les nanoplastiques et « ne remet pas en cause l’indépendance de la recherche », insiste Patrick Deixonne. « Un partenaire comme la fondation Total est pour nous un maillon essentiel. Il est devenu clair que nous devons coopérer avec le monde institutionnel, industriel et politique. »

L’État a encore son mot à dire 

Total, leader historique de la production de pétrole, fabrique aussi des polymères, comme le polyéthylène, le polypropylène, et le polystyrène, trois types de plastiques qu’il revend ensuite aux producteurs d’emballages. « On se soucie d’être une partie de la pollution, mais on ne peut pas être tenus comme uniques responsables », dit à Reporterre Catherine Ferrant, déléguée générale de la fondation. Quid de cette opération séduction ? « J’aime employer cette comparaison, répond Mme Ferrant : Vous êtes dans le métro, un SDF vient vous voir. Vous lui donnez de l’argent, parce que dans votre geste généreux, il y aura toute une série de motivations. Vous donnez parce que vous accomplissez une démarche d’empathie, parce que votre voisin vous regarde et puis, vous vous dites aussi que le SDF vous fait peur et qu’un jour vous pourriez être à sa place. » Nouvel indice à la fin de notre conversation : « Traditionnellement, Total représente ce qui fait peur aux Français, mais derrière cet écran total, il y a des services rendus, de la technologie, et des gens avec du cœur et des idées. Pour une société apaisée. »

Sur le navire de l’Expédition 7e continent.

Quelles solutions la fondation Total propose-t-elle pour produire moins de détritus ? « Une société sans plastique non, une société sans pétrole non, une société sans papier non, mais on investit tous les moyens possibles pour améliorer les usages du plastique. » La liste des tests de plastiques non polluants, en partenariat avec des jeunes pousses innovantes, est longue. Mais au sein de la recherche et développement de Total, aucune réduction nette n’est envisagée. « Nous devons nous positionner sur ces nouveaux marchés, nous confie-t-on. Bien sûr, tout est une question de business. » En attendant, la firme s’engage auprès du programme « Vacances propres », pour « sensibiliser » le grand public. Mais à quoi ? À ne pas jeter les emballages dans les océans, mais non pas à en réduire leur consommation ni même leur production à la source.

La seule solution efficace est pourtant là. Le gouvernement français a son rôle à jouer, la France possédant le deuxième territoire maritime après les États-Unis. Il a déjà montré qu’il pouvait lancer le processus. La loi de transition énergétique prévoit l’interdiction — repoussée à deux reprises — des sacs plastiques non biodégradables à partir de juillet prochain. Les députés écologistes ont aussi inscrit dans le texte l’arrêt des couverts à usage unique à partir de 2020.

Ces mesures demeurent timides, mais elles prouvent que l’État a encore son mot à dire. Pour endiguer la pollution océanique, le processus législatif européen doit aussi s’accélérer. La commission européenne se saisira-t-elle enfin de la question de la réduction des emballages à la source dans son paquet « économie circulaire » ? Au Parlement, les discussions devraient démarrer en mai-juin.

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