Polluant, coûteux, démodé, le Grand Prix de Formule 1 revient en France

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Pollutions TransportsDimanche 24 juin, la Formule 1 sera de retour en France pour cinq saisons au circuit du Castellet, dans le Var. Pour l’auteur de cette tribune, cette compétition coûteuse et écocide est totalement anachronique et ne signifie en rien le retour en grâce de l’automobile en France.
Frédéric Héran est économiste des transports et urbaniste à l’université de Lille.
Depuis 2008, tous les amoureux inconditionnels de la vitesse acrobatique et de la douce mélodie des moteurs vrombissants pleuraient la disparition du Grand Prix de France de Formule 1. François Fillon, alors Premier ministre et grand amateur de sports mécaniques, avait bien soutenu le projet d’un nouveau circuit de F1 dans les Yvelines, au-dessus de champs de captage d’eau potable, mais ce projet avait soulevé l’opposition farouche de la population, sans doute adepte du retour au cheval. Les socialistes, arrivés au pouvoir en 2012, n’étaient pas contre l’accueil d’un Grand Prix, mais ils avaient refusé que l’État éponge tout déficit. Et les Français avaient fini par s’habituer à la disparition de ce cirque annuel.
Heureusement, grâce aux efforts discrets d’une équipe de choc emmenée par Christian Estrosi, ancien quadruple champion de France de moto en 750 puis 250 cm3 et président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis 2015 [1], la Formule 1 est de retour en France sur le circuit du Castellet, dans le Var, ce dimanche 24 juin. Et pour cinq saisons, s’il vous plait. Les grincheux diront que cet événement est anachronique, polluant, coûteux pour les contribuables et qu’il rend sourd. Mais non, c’est bien pire…
Selon Le Figaro du 21 juin, sur les 30 millions d’euros que coûtera l’événement, les contribuables de la région Paca auront à débourser pas moins de 14 millions d’euros ! Qu’à cela ne tienne, des économistes ont bien voulu chiffrer les retombées économiques qui se monteraient à 65 millions d’euros (quand on cherche, on trouve). En revanche, on ne leur a pas demandé d’évaluer les dommages environnementaux provoqués par les bolides et encore moins si les deniers publics auraient pu être mieux utilisés en préservant l’avenir de la planète. Quoi qu’il en soit, la plupart des contribuables sollicités ne profiteront pas de ces retombées et il est très probable que la majorité des Provençaux, comme ailleurs en France, n’aient aucun appétit particulier pour ce type d’événement pétaradant, en outre très masculin.
L’attachement actuel de nombreux Français pour la voiture ne tombe pas du ciel
Comment cela ? Georges Pompidou ne disait-il pas que « les Français aiment la bagnole » ? Et la France n’est-elle pas « le berceau de l’automobile » ? Nous serions nés dans une voiture, comme les Néerlandais sur un vélo. À moins… que ce soit un peu plus compliqué. Dans l’entre-deux-guerres et jusque dans les années 1950, les Français roulaient massivement à bicyclette. Des hordes de cyclistes se rendaient à l’usine, au bureau ou aux champs à vélo, avant que les constructeurs de deux-roues motorisés ne visent explicitement à motoriser les cyclistes. Ils y sont parvenus à coup d’innovations (le Solex, la mobylette et le Peugeot BB), de publicités quadrichromie dans tous les médias et de corruption des autorités pour qu’elles retardent les mesures encadrant l’usage si dangereux de ces cyclomoteurs (âge limite, contrôle du débridage, obligation du port du casque).
Les constructeurs automobiles ont ensuite pris le relais en inondant le marché de petites voitures économiques mais peu sûres. Sans beaucoup d’états d’âme, l’urbanisme a suivi l’essor de l’automobile et nous récoltons aujourd’hui les fruits d’un étalement urbain et d’activités disséminées en périphérie (centres commerciaux, pôles d’entreprises…) qui favorisent la dépendance automobile. Tout cela, soit dit en passant, au prix de dizaines de milliers de morts supplémentaires en France, par rapport à un pays comme l’Allemagne fédérale. Bref, l’attachement actuel de nombreux Français pour la voiture ne tombe pas du ciel. Il a été suscité et entretenu par la volonté des constructeurs de véhicules individuels motorisés, par le soutien des ingénieurs routiers, par le laisser-faire des urbanistes, comme par le laxisme des autorités.
Et pourtant, face aux nuisances croissantes de l’automobile, les Français, comme les autres Européens, réclament de plus en plus des politiques de modération de la circulation : limites de vitesse et restrictions de la place accordée à la voiture. Ce mouvement lent mais inéluctable a commencé dans les grandes villes, puis s’étend aux villes moyennes et petites, a débuté dans les centres puis se propage en proche et en grande périphérie, concerne d’abord les milieux aisés, puis les classes moyennes et les classes populaires. Les campagnes résistent encore fortement, comme le montre la fronde actuelle contre la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes à deux voies.
Ce Grand Prix de F1 est-il alors le signe d’un retour en grâce de l’automobile en France ? Évidemment non, car Christian Estrosi a bénéficié d’un contexte favorable. En réalité, le Championnat du monde de F1 va mal : disparition de l’épreuve allemande, problèmes rencontrés par d’autres épreuves, public moins nombreux devant la télé… Et c’est pourquoi cette candidature surprise, grassement financée, a été acceptée sans difficulté.
Comme Reporterre en fait la chronique méticuleuse, la transition écologique n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est régulièrement confrontée au retour de vieilles lunes, qui apparaissent cependant de plus en plus incongrues, écocides et mortifères.