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Grands projets inutiles

Pour le conseil général du Tarn, « la vie », c’est le barrage

Comme si rien ne s’était passé depuis un an, le Conseil général du Tarn a voté vendredi 6 mars l’engagement d’un projet de barrage à Sivens, dans une version plus petite que le plan initial. Sans tenir aucun compte des arguments des opposants.

-  Albi, reportage

Ambiance très calme à Albi vendredi 6 mars. Des camions de CRS sont répartis dans les rues autour du bâtiment du Conseil général. Les manifestations ont été interdites, la grille devant l’entrée du Conseil est fermée, l’on entre par l’arrière. A l’étage, les chaînes d’info continue se préparent devant l’entrée de la salle, tandis qu’un employé prépare à la chaîne café croissant pour tous les présents.

Le débat n’aura pas vraiment lieu en séance plénière. Lundi, une réunion s’était tenue à huis clos pour élaborer entre majorité PS et opposition UMP une position commune. Le procédé s’est répété vendredi avec une pré-réunion pour finaliser un texte commun. Un habitué de ces pratiques explique : « C’est comme dans les congrès PS. Plutôt que de poser les désaccords sur la table, on rédige une motion de synthèse qui ne satisfait personne mais qui sera votée par à peu près tout le monde. »

Thierry Carcenac, président du Conseil, est donc serein quand il entre dans la salle à la sonnerie de 9 heures 30. Les journalistes sont dirigés à l’étage, en surplomb. Presque tous les médias nationaux et locaux sont là pour couvrir l’évènement. Le spectacle peut commencer. Les 46 conseillers généraux sont présents. « Nous nous en tiendrons à des débats brefs et concis », lance le président. « Je ne prétends pas que nous ayons eu raison sur tout, mais nos intentions étaient sincères. Si vous avons voté à une très large majorité ce projet, c’était bien pour répondre au besoin en eau sur la vallée du Tescou, nous ne pouvions ignorer ces difficultés incontestables ». La supposée évidence est posée d’entrée de jeu : la vallée du Tescou aurait besoin d’eau et donc d’un barrage. Elle ne cessera d’être répétée par les différentes prises de parole.

« Une retenue redimensionnée dans la vallée du Tescou, sur la zone du projet »

Une seule motion est proposée au vote par Thierry Carcenac.

-  Ecouter la lecture de la motion par M. Carcenac :

-  Télécharger la motion :

Le texte écarte l’option de retenues collinaires latérales, « compte tenu des coûts et des délais de réalisation ». C’était le deuxième scénario proposé par les experts du ministère de l’Ecologie dans leur rapport du 27 octobre dernier. Ce sera donc « une retenue dans la vallée du Tescou, redimensionnée, sur la zone du projet » avec un « mandat à l’exécutif départemental pour négocier un protocole transactionnel avec l’Etat » et enfin l’exigence « que l’Etat procède sans délai à l’expulsion des occupants sans droit ni titre ».

S’en suit une suite de prises de parole où, malgré les critiques à la motion « imprécise », « qui ne va pas assez loin », tous ou presque finiront par dire « qu’ils voteront la motion » ou « qu’ils ne pourront pas la désapprouver ».

Ainsi, un premier conseiller, avec une sincérité désarmante, rappelle que « la zone du projet ça peut vouloir dire à cent, deux cent ou trois cent mètres ? J’aurais préféré qu’on dise sur le site du projet ». La seule question devient de savoir pourquoi on ne ferait pas le même projet sur le même site. Il n’y a pas d’autre solution qu’un barrage car, comme l’explique un conseiller, « créer des réserves est la meilleure solution que les hommes ont toujours choisie pour palier au manque d’eau ». Au vu du nombre d’interventions en ce sens, on sent que diminuer de moitié la taille du barrage est pour beaucoup d ’élus une énorme concession, voire un aveu de défaite.

Les zadistes, « animés par le seul but de détruire »

Les paroles abondent pour fustiger ceux qu’on n’aime pas. Jean-Louis Henry, élu du canton de Mazamet, s’attache à fustiger les occupants de la zone : auteurs « d’exactions sur le terrain et au Conseil général, personnes animées par le seul but de détruire et de s’opposer systématiquement à tout projet ». A la presse, il demande : « Pensez-vous que la parole des gens qui masquent leur visage et refusent de donner leur identité vaut plus que celle de lettres anonymes ? » Aux journalistes, il enjoint de « regarder dans les coulisses du théâtre de marionnettes pour connaître tous ceux qui tirent les ficelles ». Car il lui paraît impensable que les zadistes aient une volonté propre et posent des questions légitimes.

« La vie, c’est comme le temps, ça va toujours en avançant »

Les responsables écologistes nationaux, « révolutionnaires de salon », « idéologues urbains », sont également attaqués, eux « qui voulaient expliquer que l’enjeu était celui de la décroissance face au capitalisme agricole ». Henry conclut sa péroraison : « Proposer un retour en arrière, c’est aller contre la vie. La vie, c’est comme le temps, ça va toujours en avançant ».

Toutes les prises de parole vont, fastidieusement, dans le même sens. La palme revenant à Jacques Valax qui, dans un discours d’un quart d’heure, défend « une retenue de taille ridicule qui va apporter une plus value sur le territoire ». Et parce que de taille réduite, ce projet pour lui va de soi. « Et d’aucuns, là haut, au nord de la Garonne, se gaussent sur l’immensité de ce dossier. » La délibération lui paraît claire : « Ce projet doit se faire et il se fera sur le site. Il sera simplement un peu redimensionné »

Maryline Lherm, maire de Lisle-sur-Tarn, commune où se situe le projet, est également conseillère générale. Elle a participé activement à la montée en tension en relayant des rumeurs infondées sur la zone et en soutenant pleinement le blocage orchestré par la FNSEA, poursuit sur le registre de l’émotion : « J’ai envie de vous dire on en a rien à cirer des élections. Nous sommes des gens raisonnables, des Tarnais avant tout, mais nous avons aujourd’hui sur nos épaules la responsabilité de six-cents personnes autour du site. » Elle poursuit : « Si je vote ce texte, c’est que derrière, il y a évacuation du site. Dès ce soir, ça n’attendra pas plus. » Selon elle, « il faut que les choses aillent ensuite très vite pour faire avancer le projet ».

« Quand on connait la puissance des lobbys de la Chambre et de la FNSEA... »

Au milieu d’un flot unanime, seules trois voix discordantes se font entendre. Roland Foissac, conseiller communiste d’un canton d’Albi, est l’un des trois conseillers généraux qui n’ont pas voté le projet initial et qui a depuis appelé à l’abandon pur et simple du projet de barrage.

Il insiste sur le jugement des citoyens et « non pas les bas instincts, les pulsions brutales qui rabaissent l’homme et révèlent la paresse de la pensée ». Ce sera la seule référence de toute la matinée à la brutalité des milices pro-barrages. Dénonçant « les attitudes de déni depuis deux ans », il considère la gestion du dossier comme « calamiteuse ; ce sont les faits qui m’autorisent à employer ce qualificatif. »

Lucide, il « conçoit que reconnaître de s’être trompé et d’avoir été trompé exige un effort sur soi-même » mais « il faut accepter humblement de se mettre en doute ». Il appelle avant toute future décision à ce que s’engagent « au plus vite les études complémentaires ».

-  Ecouter Roland Foissac :

Son collègue Serge Entraygues, invite de son côté, avec humour : « Le comité de tourisme va se mettre en vacances, la France entière va maintenant venir voir Sivens, plus connu que la cathédrale d’Albi ». Il demande un vote séparé entre « l’abandon du projet initial » et « les autres propositions », considérant que « quand on connait la puissance des lobbys de la Chambre et de la FNSEA, j’ai des inquiétudes fortes qu’on refasse un projet bis ». Le vote séparé est refusé. Entraygues, Foissac et Jacques Pagès (divers-droite) votent contre. Les quarante-trois autres, sans exception, votent pour.

« Tout recommence maintenant »

A aucun moment il n’a été question de conflit d’intérêt. Au contraire, Jacques Valax a réaffirmé son soutien à « André Cabot, celui qui a tout pris », malheureuse victime de son cumul de fonctions entre CACG (Compagnie d’aménagement des côteaux de Gascogne), Agence de l’eau et Conseil général. Personne n’a parlé de la CACG, du déboisement illégal, de l’archéologie oubliée. L’écologie a été oubliée, sinon pour rappeler combien les agriculteurs sont raisonnables et vertueux dans leurs pratiques.

Aucun élu n’a évoqué l’importance de la zone humide du Testet, des espèces protégées, de biodiversité, ni parlé de la procédure d’infraction de la Commission européenne au titre de la directive sur l’eau. Et jamais la mort de Rémi Fraisse n’a effleuré le bloc de certitude d’élus qui se considèrent toujours légitimes, à deux semaines de la fin de leur mandat.

Au final, on se retrouve quatre années en arrière, lorsque le Conseil général, avec la même majorité, les mêmes votes et les mêmes arguments, avait voté le projet initial. « Cette assemblée départementale est surréaliste », déplore Françoise Blandel, du Collectif pour la sauvegarde de la Zone Humide du Testet : « Le projet futur posera les mêmes problèmes que le projet initial. La zone humide est détruite, dont une partie de manière irréversible. Ils sont passés dessus comme sur la mort de Rémi Fraisse. »

Quelle issue désormais ? « Nous avions déposé quatre recours sur le fond sur la déclaration d’utilité publique et la destruction de la zone humide, la loi sur l’eau. La justice doit maintenant les juger ». Avec leur avocate, elle entend « faire avancer les jugements, avant le vote de la prochaine assemblée ».

Des études supplémentaires doivent maintenant être faites pour « affiner le nouveau projet ». Et sans doute, un processus réglementaire d’enquête publique et d’autorisations. La bataille de Sivens n’est pas finie.

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