Pour sauver les animaux, ils s’aspergent de sang et se font marquer au fer rouge

Durée de lecture : 11 minutes
Contestant la hiérarchie entre les espèces vivantes, des antispécistes défendent les animaux par des actions spectaculaires et de blocage. Cette semaine, certains ont veillé devant des abattoirs ; d’autres se marquent au fer rouge dans des happenings sanglants.
- Houdan (Yvelines), reportage
L’association 269Life libération animale a organisé mardi 26 septembre la deuxième édition des « Nuits debout devant les abattoirs ». Cette action, qui se déroulait simultanément dans plusieurs villes de France, en Nouvelle-Calédonie et dans différents pays (Australie, Belgique…), visait à attirer l’attention du public sur l’exploitation animale.
Environ 130 militants se sont retrouvés devant l’abattoir Guy Harang, à Houdan, dans les Yvelines, pour dénoncer la souffrance des animaux exploités et se recueillir. Tous vêtus de noir, ils sont venus leur rendre hommage avec des fleurs, des bougies, des pensées. Quelques-uns ont témoigné par des textes exprimant leur peine et leur colère. La veillée a pris fin mercredi 27 septembre à 5 h du matin, heure d’ouverture des abattoirs.

Face au risque de confrontation avec des agriculteurs, les forces de l’ordre ont encadré le rassemblement. Une cinquantaine de gendarmes a été mobilisée pour prévenir toute confrontation devant cet abattoir récemment pointé du doigt par L214, une autre association de défense des animaux.

269Life libération animale est une association antispéciste française créée en 2016. Elle lutte pour la libération animale et l’abolition totale de son exploitation par un militantisme offensif reposant sur l’usage de l’action directe et de la désobéissance civile. Après plusieurs années de militantisme traditionnel et légal (comme le tractage), « les membres de l’association ont pris conscience que rien n’avait changé pour la cause animale depuis 30 ans », dit Tiphaine Lagarde, porte-parole de l’association.

Le bovin est le symbole du mouvement
Ils se sont inspirés de mouvements sociaux comme ceux pour le droit des femmes ou des personnes de couleurs qui ont réussi à faire entendre leurs causes et revendications et gagner en visibilité grâce à la pratique de la désobéissance civile. « Si des gens prennent des risques et sont prêts à enfreindre la loi pour cette cause-là, c’est bien qu’elle est importante et qu’il y a un problème dans notre société », poursuit la militante.
C’est en Israël qu’est né le mouvement. En 2012, les militants Sasha Boojor et Maria Hope créent le mouvement 269Life et nouent avec une nouvelle forme de militantisme de la cause animale. Le numéro 269 appartient à un veau que les activistes ont sauvé de l’abattoir dans une ferme laitière de la campagne israélienne. Le bovin est devenu le symbole du mouvement, car son utilisation dans la production de lait, de cuir et de viande est emblématique de l’exploitation de tous les animaux.

Les membres de l’association sont avant tout antispécistes. Ils considèrent que tous les individus vivants sont égaux. Le spécisme est la discrimination fondée sur l’espèce et qui fait de l’espèce en soi un critère justifiant la violation des droits fondamentaux (exploitation, violence, oppression et meurtre). De la même façon qu’il n’y a pas de couleur de peau supérieure à une autre, ils estiment qu’il n’y a pas non plus d’espèce supérieure à une autre. « Pourquoi aimer le chien et tuer le cochon ? » demande Kennedy Rashleigh, 27 ans, membre actif de 269Life.
Les actions directes et les actes de désobéissance civile de l’association sont nombreux. L’une d’entre elles est la prise d’assaut des abattoirs : les militants entrent dans les bâtiments de nuit et bloquent la chaine d’abattage et les outils de production dans le but de « déranger et perturber l’économie de l’industrie », explique Tiphaine Lagarde. Parfois, des animaux sont sauvés et conduits dans des sanctuaires gérés par l’association où ils peuvent mener une vie paisible.
L’association organise également des occupations de sièges sociaux de grands groupes de l’agroalimentaire, comme le groupe Aoste et Interbev, le syndicat national du lobby de la viande. Ils organisent également des happenings chocs pour sensibiliser l’opinion publique où ils teintent par exemple l’eau d’une fontaine en rouge pour symboliser le sang versé des animaux abattus.
Des mains et des pieds humains en barquette proposés à la vente

Le collectif 269Life France n’a pas de lien avec l’association 269Life libération animale, sinon une partie de son nom et la défense de la cause animale. Il organise lui aussi des happenings chocs, comme celui qui a eu lieu à Paris, place de la République, le 26 septembre 2016 lors de la journée mondiale contre le spécisme, et auquel avait assisté Reporterre. Certains militants retrouvés à Houdan cette année étaient également présents ce jour-là. En sous-vêtements, les militants présents place de la République s’étaient alors enduits de faux sang de la tête au pied et allongés sur le sol, parfois les uns sur les autres pour simuler des cadavres d’animaux. Cédric Stolz, vice-président du collectif 269Life France, se tenait debout au milieu des corps ensanglantés, énumérant au mégaphone les nombres d’animaux terrestres et marins tués chaque jour, chaque mois et chaque année en France. En fond, on pouvait entendre des cris et des hurlements de cochons enregistrés dans des abattoirs. Certains militants avaient été enveloppés de plastique ou de cellophane, d’autres, enfermés dans des barquettes géantes. Tantôt gênés, intrigués, choqués, voire écœurés, les passants regardaient la scène, fascinés, ou détournaient le regard. Parfois un rire nerveux éclatait.

Sur un stand quelques mètres plus loin, des membres de corps humains (mains et pieds) en barquette étaient proposés à la vente deux, trois ou quatre euros. Dans le barnum blanc voisin, fermé au public, un bourreau entraînait les militants — volontaires —, la chaîne au cou pour les marquer au fer rouge par solidarité avec les animaux. Les plus déterminés n’ont pas sourcillé pendant l’acte, d’autres devaient être maintenus fermement au sol à cause des tremblements de leur corps. Certains ont changé d’avis au dernier moment, la volonté ébranlée par les hurlements des volontaires précédents. Si la vue de la peau se décomposant au contact du fer rouge est insupportable, ce n’est rien comparé à l’odeur de chair humaine brulée se dégageant de la tente. Acte ultime de compassion ou folie et absurdité, ils étaient une dizaine ce jour-là à se faire marquer du chiffre 269.


REGARDER LE DIAPORAMA DE LA MANIFESTATION PARISIENNE DU 26 SEPTEMBRE 2016 :
« NOUS NE SOMMES PAS DANS UN TEMPS DE NÉGOCIATION, MAIS DE CONFRONTATION. »
Kennedy, rencontré lors de la veillée du 26 septembre 2017 de 269Life libération animale à Houdan, se définit comme antispéciste avant d’être végane. Pour lui, l’antispécisme est un mode de pensée, le véganisme, un mode de vie. « Je suis végétalien dans mon alimentation, le véganisme est mon mode de vie. J’ai banni tous les produits issus de l’exploitation animale comme la laine ou le cuir. Je ne vais ni au zoo ni dans les cirques qui utilisent des animaux. » Antispéciste depuis un an, il a choisi de s’investir dans la lutte pour la cause animale, mais il précise que ce n’est pas exclusif. « Lorsqu’un évènement ou une cause me touche, qu’il concerne des sans-abris, des migrants ou autre, je descends dans la rue de la même façon, comme tout le monde. Je me bats avant tout pour une justice équitable pour tous. »

Pour Natasha, 18 ans, présente elle aussi à Houdan, c’est évident. On ne peut pas être pour l’égalité des sexes et des couleur et pas pour celle des espèces. C’est dans cette logique-là qu’elle s’est rendu compte qu’elle était spéciste et a opéré une transition dans son mode de vie. « Je suis devenue antispéciste pour être cohérente avec moi-même. »

Inès, 21 ans, est étudiante en philosophie. Elle a d’abord été végétarienne pendant plusieurs années avant de devenir végane il y a un an. « Je me suis posé la question de savoir ce qui était juste ou pas pour les animaux. Lorsque j’ai réellement pris conscience de ce qu’ils vivaient et de la façon dont je les oppressais, j’ai tout de suite arrêté. » Cette prise de conscience a été un élément déclencheur pour Inès. Elle a alors commencé à s’intéresser à l’antispécisme et s’est convaincue que l’exploitation animale sous toutes ses formes doit cesser. Se contenter de manger végane ne lui suffit plus, elle décide de s’impliquer dans la lutte en rejoignant l’association 269Life libération animale. « Pour moi, dans le spécisme, il y a vraiment une notion d’injustice. Je ne vois pas pourquoi les êtres humains devraient être considérés comme supérieurs au reste des êtres vivants. »
« Il n’y a pas de viande éthique heureuse »
Même si la cause fait de plus en plus parler d’elle et même s’il semble que le nombre de végétariens et de véganes augmente, les relations entre véganes et carnivore restent parfois tendues. Le véganisme d’Inès, élevée dans une famille antispéciste bien que consommatrice de produits animaux, a été très bien accepté au sein de sa famille. Mais cela s’est avéré plus compliqué avec ses amis, qui ne comprennent pas tous son nouveau mode de vie. « On ne partage pas du tout le même point de vue ou les mêmes opinions sur le sujet, donc c’est parfois compliqué. » Pour Inès, les antispécistes et véganes sont encore trop souvent considérés comme des marginaux. « Certains nous reprochent la violence de nos actions et nous voient comme des extrémistes, mais il me semble que la violence de nos actions n’est pas grand-chose comparée à celle que des abattoirs, par exemple. »

« Beaucoup de mouvements comme ceux des LGBT ou féministes étaient considérés comme marginaux à leur début alors qu’ils ne l’étaient pas du tout, et bien c’est la même chose avec nous », explique Inès. Son engagement pour les animaux est plus fort que tout, mais elle sait qu’avec un peu de bon sens elle peut trouver un juste milieu avec sa vie de militante, sa vie de végane et tout ce qui gravite autour.
Le problème des abattoirs est au cœur du débat et de l’opinion publique depuis que l’association L214 publie des vidéos révélant les conditions d’abattage et de nombreux abus. Si Tiphaine Lagarde affirme que les deux associations ont des modes d’action différents et ne sont pas toujours d’accord, elle reconnaît que ces vidéos ont été une étape cruciale dans la médiatisation de la cause. « Leurs vidéos ont attiré l’opinion publique sur la question animale et ont créé un terreau favorable à un militantisme plus dur. » Malgré tout, la porte-parole de 269Life libération animale regrette que L214 ne soit pas davantage dans la confrontation et se limite à un militantisme plus traditionnel tourné vers la négociation avec le gouvernement ou les industries spécistes. L 214 encourage les consommateurs à bannir certains produits qu’ils jugent non éthiques, tels que les poulets de batteries, 269 milite pour une abolition complète de l’exploitation animale, peu importent les conditions d’élevages ou de productions. « Il n’y a pas de viande éthique heureuse », insiste Tiphaine. Ce qu’elle craint avec le mode d’action de L214, c’est une récupération de la part des industries concernées. « Nous ne sommes pas dans un temps de négociation, mais de confrontation. Il ne faut surtout pas céder à des tentatives de récupération de la part des grandes industries, qui font semblant de prendre en compte le bien-être animal pour mieux continuer à faire souffrir. »

L’association doit encore se développer pour espérer avoir un réel impact sur l’industrie. « Il faut que l’on soit plus nombreux à se mobiliser sur le terrain », explique Tiphaine Lagarde. La preuve, les Nuits debout organisés mardi ont eu un impact sur l’économie, car les abattoirs n’ont pas été livrés pendant que les militants étaient sur place. Résultats : grâce à une mobilisation forte, les trois quarts des abattoirs visés n’ont pas pu travailler faute d’animaux à abattre.