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Grands projets inutiles

Près d’Orléans, les opposants au béton remportent la victoire sur Decathlon

Près d’Orléans, Decathlon entendait construire un centre commercial de sports sur 16 hectares de terres agricoles et naturelles. Au bout de quatre années de lutte, les opposants ont obtenu un quasi « abandon officiel » du projet.

Cela fait quatre semaines qu’ils trépignent, retenant leur souffle et leur enthousiasme. Et mercredi 26 avril, les opposants au projet de village Decathlon à Saint-Jean-de-Braye (Loiret) ont enfin laissé fuiter leur soulagement à travers un discret communiqué intitulé Victoire confirmée contre Decathlon !.

Le 31 janvier dernier, le tribunal administratif d’Orléans annulait l’arrêté préfectoral qui autorisait la destruction de 9 hectares de zone humide dans le projet de village Decathlon prévu sur 16 hectares de terres agricoles et naturelles. Or, cet arrêté est un document indispensable pour commencer l’aménagement. Le promoteur avait donc deux mois, jusqu’au 31 mars, pour faire appel de la décision… ce qu’il n’a pas fait. « On est très proche d’un abandon officiel du projet, sourit Fabrice Tassard, membre du collectif d’opposants pour un Site préservé entre Loire et forêt (SPLF 45). Nous sommes très contents, même si on reste vigilants. »

Après cet important revers, il reste à Decathlon plusieurs issues : trouver une dizaine d’hectares dans le secteur pour compenser la destruction des zones humides, « option compliquée à réaliser », d’après les opposants, ou travailler à un projet de zone commerciale réduite, afin de ne pas empiéter sur les 9 hectares à sauvegarder, « ce qui amputerait le projet de 60 % de sa surface originelle », précise Fabrice Tassard. Ou abandonner.

Par courriel, le service presse du groupe indique à Reporterre qu’il ne souhaite « pas apporter de commentaire relatif au communiqué du collectif et aux informations qu’il avance ».

Sur le site du projet de « Village Decathlon ».

Il aura donc fallu pour l’emporter plus de quatre années de rencontres avec les habitants, de rendez-vous houleux avec des élus municipaux favorables au projet, de chantiers agricoles. Mais c’est sur le plan juridique que la bataille aura porté le plus ses fruits. La Commission nationale d’aménagement commercial (Cnac) a annulé par deux fois le dossier Decathlon, pointant l’artificialisation des espaces naturels, les risques de déséquilibre de l’offre commerciale, les impacts négatifs sur le trafic routier, la faiblesse du projet sur le plan architectural et dans sa contribution au « développement durable ». Le « Village », dont l’ouverture était initialement prévue en 2017, s’embourbait, forçant Decathlon à revoir sa copie. En parallèle, le collectif a attaqué l’arrêté préfectoral autorisant la destruction de zones humides. Le tribunal lui a donné raison en janvier dernier. « La loi sur l’eau nous a sauvé, et la bataille juridique a payé », estime Fabrice Tassard.

Rôle indispensable dans la limitation des inondations 

Comme à Sivens ou ailleurs, la loi sur l’eau et la sauvegarde des zones humides aura donc eu raison des appétits voraces des promoteurs. Dans ses premières études, Decathlon faisait état de 1.500 m2 de zones humides sur les 16 hectares du « Village sportif ». Le pédologue Laurent Richard a alors rejoint le collectif SPLF 45, et mené une contre-expertise sur le terrain de la Buissonnerie, où devait s’implanter le groupe. « Dès ma première visite, je me suis dit que la zone humide était bien plus grande que ce qu’avançait Decathlon », raconte-t-il. Il a prélevé des carottes de terre un peu partout et les a étudiées : bingo ! Les analyses ont montré notamment une stagnation d’eau pendant une longue période, signe caractéristique des zones humides. Grâce à cette investigation, la surface humide est évaluée à 9 hectares, soit une zone 60 fois plus grande que celle diagnostiquée par le groupe.

Ce dernier s’est défendu en arguant que seuls 1.500 m2 étaient « fonctionnels d’un point de vue écologique ». Autrement dit, seuls 1.500 m2 présentaient des plantes caractéristiques d’une zone humide. Car, pour définir une zone humide, il existe des critères pédologiques et botaniques. « Les critères botaniques, qui se fondent sur la présence de certains végétaux, sont pertinents, mais ils ne sont pas une condition sine qua non, explique Laurent Richard. La zone de la Buissonnerie n’est pas un réservoir de biodiversité végétale — à cause de sa vieille vocation agricole —, mais elle remplit toutes les autres fonctions d’une zone humide ! » Biodiversité en matière de microorganismes telluriques (dans le sol), capacité d’épuration des eaux de ruissellement… mais aussi un rôle indispensable dans la limitation des inondations. La végétation herbacée de la zone ralentit et régule en effet les eaux superficielles, ce qui est essentiel dans un secteur qui connait des débordements réguliers des rivières et des canaux, comme en juin 2016.

Le tribunal administratif d’Orléans a donc tranché en janvier en faveur des opposants, se fondant sur la définition large promue par la loi sur l’eau. Et, après trois mois sans réaction, le groupe Decathlon pourrait bien avoir décidé de jeter l’éponge.

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