Manifestation contre la première fortune de France, qui bétonne la terre : « Des champs, pas d’Auchan ! »

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Quatre collectifs se battent à travers la France contre des projets du groupe Auchan qui pourraient dévorer des dizaines d’hectares de terres. Samedi, ils se sont unis pour aller jeter la lumière sur la famille Mulliez, propriétaire d’Auchan, dans le nord de la France.
- Roubaix (Nord), reportage
Plus de 150 personnes se sont réunies samedi après-midi 17 mai à Roubaix devant un grand bâtiment de verre. Ses baies vitrées abritent l’association de la première fortune de France, la famille Mulliez. Elle est propriétaire de bon nombre d’enseignes de notre quotidien, parmi lesquelles Auchan, Kiabi, Decathlon, Leroy Merlin, Quick, Flunch, et elle ne compte pas s’arrêter là. Elle achète des terres agricoles pour y construire des zones commerciales. Mais le groupe Auchan se heurte à l’opposition de citoyens sur quatre fronts, à Orléans, à Rouen, à Cavaillon et à Gonesse, près de Paris. Ces quatre collectifs s’unissent contre la disparition des terres agricoles au profit des zones commerciales.
Les nombreux magasins du groupe inspirent largement les pancartes brandies par les manifestants, « Décatlhon à fond le béton », « Mulliez, la vie, la vraie ? », « Mulliez, la mode à quel prix ? », « Mulliez, nous c’est le dégoût ». Sans oublier le mot d’ordre « Des champs, pas d’Auchan ».
« La France est le pays européen où il y a le plus de surfaces commerciales par habitant, il faut arrêter ça », explique au micro Matthieu, porte-parole de cette mobilisation. « Les projets immobiliers à vocation commerciale augmentent les prix des terres agricoles, au détriment de ceux qui nous nourrissent. »
Un tracteur ouvre la marche à travers les rues commerçantes de Roubaix. Derrière lui, des agriculteurs, des militants, de nombreuses associations comme la Confédération paysanne, la CGT, Attac ou encore des partis politiques : Europe Ecologie les Verts et le Front de gauche.
Des fanfares jouent du saxophone, de la clarinette et des percussions, des artistes de rue ironisent sur la défense des riches familles comme les Mulliez. Les manifestants marchent plus de deux heures sur huit kilomètres pour atteindre Néchin, en Belgique, où réside une partie de la famille Mulliez. La ville s’est fait connaître pour avoir accueilli l’acteur français Gérard Depardieu, lors de son exil fiscal.
Une piste de ski à 15 kilomètres de Paris
Les quatre collectifs à l’origine de la mobilisation ont tous un point commun : le groupe Auchan achète des terres historiquement agricoles pour en faire des zones commerciales. Le projet le plus emblématique est celui d’Europa city entre Paris et Roissy, dans le triangle de Gonesse. Michelle marche dans le cortège, sous le soleil, avec des moufles aux mains et une paire de skis sur l’épaule. « Ils veulent faire un centre de loisirs de luxe avec 500 boutiques et surtout une piste de ski, c’est dément ! » Le projet devrait s’étendre sur 80 hectares. Bernard du collectif du triangle de Gonesse renchérit : « En Ile-de-France, nous ne sommes pas autonomes au niveau de l’alimentation. Une grève de deux jours dans les transports pourrait poser des problèmes d’approvisionnement. Il faut conserver les espaces agricoles, les générations futures en auront besoin. »
- Michelle est venue avec des skis -
« A Cavaillon, dans le Vaucluse, nous avons des terres fertiles, mais Auchan veut construire une zone commerciale sur 45 hectares », explique Elisabeth Toulemonde du collectif Voguette 84. Des terres fertiles mais inondables, un problème qui devrait être contourné par l’implantation d’une digue. « Cela coûterait sept millions d’euros aux contribuables ».
C’est encore la même histoire que nous raconte Sophie Chaduteau, du collectif pour un site préservé entre Loire et forêt, cette fois pour créer un « village Oxylane » de 16,5 hectares dans l’agglomération d’Orléans. « Sur les banderoles, on a changé l’oiseau d’Auchan en vautour parce que c’est ainsi qu’ils se comportent. Ils sont à l’affût de la moindre parcelle de terre. Chez nous, près d’Orléans, ils ont obtenu les terres pour 2,40 euros le mètre carré. »
Et puis, il y a la ferme des Bouillons à Mont-Saint-Aignan, dans la périphérie de Rouen. « C’est de la spéculation, raconte Matthieu, Auchan a acheté le terrain à vil prix, il n’est pas constructible, le jour où il le sera, le groupe revendra avec une plus-value ou en fera une énième zone commerciale. » Cette ferme de quatre hectares est la seule à être occupée sur les quatre collectifs, et ce n’est pas pour rien, pour Philippe, agriculteur et membre de la ferme des Bouillons. « Nous faisons la démonstration concrète, par les actes et pas par les discours, que relocaliser l’alimentation est possible et a un sens. Bientôt, les habitants pourront acheter des fruits et légumes cultivés sur la ferme. »
Une mobilisation contre des géants
« Se retrouver tous ici, nombreux, souriants, sous le soleil, ça fait du bien », pour Sophie Chaduteau. D’autant plus que des riverains viennent grossir le cortège. Françoise habite Seclin : « Ca fait longtemps que j’ai l’impression qu’on est impuissants face aux puissants. Ils nous écrasent, nous envahissent. En étant ici, je me rends compte qu’on est nombreux à vouloir agir, on n’est pas seuls. »
Souleka vit à Roubaix depuis plus de 30 ans. « Quand je suis arrivée dans mon quartier, j’ai vu le premier petit Auchan voir le jour, aujourd’hui, il y en a partout. La grande distribution bouffe les petits commerçants et encourage la mal-bouffe. C’est dommage parce qu’il y a plein de petites fermes par ici où on peut trouver de bons produits, moins chers qu’au supermarché. »
Cette mobilisation ne vise pas simplement le groupe Auchan, les pancartes « Carrefour c’est bientôt ton tour » sont là pour le rappeler. Benoit Boussemart a écrit l’ouvrage La Richesse des Mulliez. « Ce qui est dénoncé ici aujourd’hui n’est pas propre à la famille Mulliez. Carrefour, Casino font la même chose. Il y a une hyper concurrence entre eux. Néanmoins, la famille est particulière. »
Une famille qui pèse 27 milliards d’euros
« Les membres de la famille Mulliez possèdent tout. Leur fonctionnement est tentaculaire. Quand vous allez dans les grandes enseignes : sur cent euros dépensés, dix vont dans la poche des Mulliez, que ce soit par Auchan ou Décathlon". Benoit Boussemart estime la fortune de la famille à plus de 27 milliards d’euros, une fortune à la gestion fiscale bien ficelée. « Une partie de la famille Mulliez s’est installée en Belgique pour des raisons fiscales. Ainsi, elle ne paie d’impôt ni sur la fortune, ni sur les plus-value. »
Plusieurs membres de la famille sont exilés à quelques mètres de la frontière, à Néchin. Le cortège veut terminer sa marche devant la bâtisse de Patrick Mulliez, le fondateur de Kiabi et de Tape à l’oeil. Cette marque faisait fabriquer ses vêtements pour enfants dans le Rana Plaza, un immeuble de confection qui s’est effondré au Bangladesh l’an dernier, faisant plus d’un millier de morts.
Les militants comptent déverser devant chez lui une benne pleine de terre pour faire une jardinière avec tomates et carottes. Mais à peine la frontière est-elle franchie que les forces de l’ordre empêchent le cortège d’avancer. Même s’ils ne sont pas dans la rue de Patrick Mulliez, les militants veulent vider la benne. Les policiers les en empêchent. La tension monte et un des militants est menotté. Il est finalement libéré et le cortège fait demi-tour en fin de journée, encadré par la police montée belge.
- Faute de pouvoir atteindre les Mulliez, on plante les salades près de la frontière -
Le lendemain dimanche, une poignée de militants têtus se rend avec une banderole à Croix, dans le Nord,devant la maison du fondateur d’Auchan, Gérard Mulliez. Ils terminent leur périple en Belgique, là où ils n’ont pas pu aller la veille : devant la bâtisse de Patrick Mulliez, le fondateur de Kiabi, masquée par une haute haie de verdure.
- Dimanche, devant chez Patrick Mulliez -