Près de Rennes, un projet de parc d’attraction soulève une opposition agricole unanime

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Étalement urbainLes trois syndicats agricoles FDSEA, Confédération paysanne et Coordination rurale ainsi que la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine s’opposent à un projet de parc d’attractions au sud de Rennes. Au moins 80 hectares de terres arables sont menacés d’artificialisation.
- Actualisation - 3 avril 2018 - Le projet de parc d’attractions a Guipry-Messac a été abandonné par l’entreprise Enez Aval. Mais espère pouvoir l’implanter ailleurs.
- Guipry-Messac (Ille-et-Vilaine), reportage
Les projets d’urbanisation au détriment de terres agricoles sont nombreux et pullulent en France. En revanche, que le monde agricole, par l’intermédiaire des antennes locales de trois syndicats et de la chambre d’agriculture, s’unisse contre l’un de ces projets est beaucoup plus rare.
En tant qu’organismes professionnels agricoles, nous ne pouvons cautionner l’artificialisation de 82 hectares. […] Nous sommes sensibles bien évidemment à l’argument de l’emploi, mais mettre en avant ceux créés par le parc d’attractions sans prendre en compte la précarisation de l’emploi agricole direct et indirect qu’entraîne le projet n’est pas juste. Avoir des paysans nombreux, installés sur des fermes à taille humaine c’est aussi de l’emploi et c’est en plus le maintien d’un tissu rural vivant, des commerces, des écoles de campagne. »
Cette lettre ouverte a été signée le 24 août 2017 par la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles), la Confédération paysanne, la Coordination rurale et Agrobio 35. Elle a ensuite été adoptée à l’unanimité en tant que vœu par la chambre d’agriculture d’Ille-et-Vilaine lors de sa session plénière en novembre.
« Faire front commun sur de tels dossiers, c’était une évidence »
À peine la rocade de Rennes franchie, les immeubles laissent place à la campagne, à ses champs et à ses vaches. Avec 7.000 habitants, Guipry-Messac, traversée par Vilaine, se trouve à une quarantaine de kilomètres au sud de la métropole bretonne, à mi-chemin entre Rennes et Nantes et à deux heures de la capitale. La commune sera la « première station de RER après Paris, si ça continue », ironise Loïc Guines, président de la FDSEA d’Ille-et-Vilaine.
Dans cette commune si bien située, un projet de parc d’attractions autour des légendes du roi Arthur a vu le jour avec la promesse de 500.000 visiteurs par an, la création de 150 emplois — saisonniers et permanents —, 100 millions d’euros d’investissements, le tout implanté sur 80 hectares. « Avec la desserte routière, il faudrait compter le double », précise le patron de la FDSEA, avant d’asséner : « Il y a aujourd’hui des châtelains qui arrivent avec les arguments de l’emploi et des taxes foncières. Les élus leur ouvrent grand leurs portes, c’est comme ça qu’un tel projet démarre. »
Alors, quand la Confédération paysanne lui a proposé de cosigner une lettre ouverte, Loïc Guines n’a pas hésité : « Faire front commun sur de tels dossiers, c’était une évidence. Au niveau national, il y a des divergences entre nos syndicats, mais en local, nous sommes proches. »

Même son de cloche du côté de Didier Massiot, porte-parole de la Confédération paysanne d’Ille-et-Vilaine : « Sur ce dossier, il y a consensus, on se bat ensemble pour que les terres agricoles restent à l’agriculture. » Tous deux partagent un même étonnement face à « des élus qui parlent d’agriculture, de ruralité, de local et qui sont favorables à un parc d’attractions ».
Un étonnement partagé sur le terrain par les habitants et agriculteurs qui dénoncent un double discours. « Quand on s’est installé, raconte Sébastien Vétil, éleveur menacé par le projet, on nous a toujours dit qu’il y n’aurait rien dessus vu que dans le passé, aucun des projets n’avait abouti. Ça nous avait un peu rassurés, mais là… »
Mais là… le parc d’attractions semble bel et bien lancé depuis le début de l’année 2016. « On nous a vendu un projet de territoire, des réunions publiques, de la concertation », s’agacent Jean-Marc et Laure, des habitants de la commune, membres de l’association La Puce, qui déplorent de ne pas en avoir vu la couleur.
Le plus ironique pour Laure, c’est que « Guipry-Messac a signé la charte pour une gestion économe du foncier en Bretagne, et les élus font tout l’inverse ». C’est ce que pointe également un rapport du Conseil économique, social et environnemental breton (Ceser) d’octobre dernier [1], dont Thierry Merret, président de la FDSEA du Finistère, est l’un des rapporteurs. On peut y lire que « le Ceser constate le décalage fréquent entre les discours et les actes » de la part des acteurs publics. Il cite le cas d’élus qui mettent en place un plan de revitalisation des centres-bourgs et autorisent une implantation d’activités en périphérie.

Pour les militants de La Puce, ce décalage est tel qu’ils considèrent illégal le schéma de cohérence territorial (Scot) et en demandent l’abrogation. Ce qui ralentirait, entre autres, le projet du parc d’attractions.
Malgré cela, les négociations sont allées bon train pour fixer un prix de vente du terrain. La Safer, société chargée de la gestion des terres agricoles, l’a évalué à 2.700 euros l’hectare, moins cher que la valeur des terres dans le secteur, qui flirtent plutôt avec les 4.000 euros. Les élus se frottent les mains, voilà un prix attractif pour le parc d’attractions.
Déterminés à garder ces terres dans le giron agricole
Les agriculteurs, eux, se disent que ce sera enfin l’occasion pour eux d’acheter les terres qu’ils exploitent. Tous se portent acquéreurs. Car neuf exploitations agricoles se partagent aujourd’hui ces 80 hectares consacrés à l’élevage (porc, volaille, vaches et chèvres). « Le problème est que nos baux sont précaires », explique Sébastien Vétil, éleveur de vaches armoricaines. Les terres appartiennent depuis une trentaine d’années à l’entreprise Butagaz, qui comptait y implanter un site d’enfouissement de gaz, un projet avorté. En attendant de vendre ses terres, Butagaz les a mises à disposition, gratuitement, aux agriculteurs sous la forme de baux précaires ; ceux-là ne sont donc ni propriétaires ni locataires.

« On ne demande qu’à payer pour sortir des baux précaires », insiste l’éleveur Sébastien Vétil. Que les agriculteurs souhaitent devenir propriétaires, cette hypothèse n’a semble-t-il pas été envisagée par la communauté de communes. Alors que Butagaz était favorable à un arbitrage de la Safer pour décider de l’attribution des terres, cela ne semble plus être le cas car, selon Ghislaine Pain, cheffe de service Ille-et-Vilaine de la Safer, aucune information, modalité, ni condition de vente ne lui a été communiquée de la part du propriétaire.
En effet, une autre option a été choisie. Philippe Gourronc, le président de la communauté de communes, a annoncé sur les ondes locales de radio Laser début janvier, que l’approbation du parc d’attractions passerait par une déclaration d’utilité publique. Cet outil permettrait selon lui de faire la preuve de l’utilité de cet aménagement et d’œuvrer pour un regain de transparence. Pour les militants de La Puce et des syndicats agricoles, c’est un moyen de contourner la Safer.

Déterminés à garder ces terres dans le giron agricole, syndicats, chambre d’agriculture, éleveurs et habitants font front commun. L’intersyndicale a demandé à rencontrer la Safer, mais aussi les élus. À cela s’ajoutent les élections qui se profilent dans les mois à venir dans la commune voisine de Goven, à la suite de plusieurs démissions au sein du conseil municipal. Cela devrait engendrer de nouvelles élections pour la communauté de communes dont fait partie Guipry-Messac ; de quoi geler pour quelques mois le projet de parc d’attractions.