Tribune — Notre-Dame-des-Landes
Prêt à tout pour son aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l’Etat sape la politique de la biodiversité

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Ce pourrait être une anecdote : pour favoriser l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le préfet de Loire-Atlantique s’apprête à autoriser la destruction du campagnol amphibie, une espèce protégée. Derrière cet acte, il y a au fond la remise en cause des principes de protection de la biodiversité.
François de Beaulieu est membre des Naturalistes en lutte
Le préfet de Loire-Atlantique a mis en ligne le 8 septembre 2015 toutes les bonnes raisons et les pièces du dossier qui vont être utilisées pour la rédaction de son arrêté autorisant la destruction d’une espèce protégée au plan national, le campagnol amphibie, sur le site du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
On peut se demander pourquoi il a attendu si longtemps puisque, de toute évidence, rien de neuf n’a été apporté au dossier depuis mars 2014. Sans doute gardait-on ce dossier pour pouvoir envoyer un signe positif d’avancement aux partisans du projet qui continuent à ronger bruyamment leur frein. C’est sans grand risque et il y a peu de chances que les foules se mobilisent pour ce qui n’est, après tout, qu’une espèce de rat aquatique (rappelons cependant que 30 000 personnes ont défilé le 22 février 2014 à Nantes derrière un triton marbré…).
Avis défavorable unanime
Cette consultation du public, purement formelle, n’en doutons pas, est ouverte jusqu’au 11 octobre 2015. Les Naturalistes en lutte travaillent déjà activement à démonter le dossier dont on note, malgré le caviardage effectué par la préfecture, qu’une partie des études a été menée par le Groupe de recherche et d’étude pour la gestion de l’environnement (GREGE), un bureau d’études spécialisé.
On peut déjà relever que l’argument principal tient au fait que « sur la moitié nord de la façade atlantique, les données recensées s’avèrent positives sur une grande majorité de mailles et sur la plupart des carrés-échantillons réalisés en Bretagne en révélant sa présence sur cette partie du territoire ». Conclusion : on peut donc autoriser la destruction du campagnol amphibie. Comme l’espèce est absente du Centre, du Sud-Est et du Midi-Pyrénées, on peut se demander où elle est protégée…
Oui, la Bretagne est un bastion pour le campagnol amphibie et on ne peut ignorer que la connectivité entre les zones où l’espèce est présente est capitale. Le fait que l’on soit ici sur une vaste zone humide, en tête de deux bassins versants, lui donne une valeur importante pour le maintien du campagnol amphibie. Insistons : si le campagnol amphibie n’est pas protégé là, où le sera-t-il ?
Le bureau d’études Biotope qui avait réalisé le dossier principal concernant la biodiversité concluait que, grâce à ses savants calculs, on allait compenser l’atteinte aux espèces protégées. Le GREGE fait progresser la doctrine en considérant que l’espèce étant bien présente en Loire-Atlantique, il n’est même pas utile de gaspiller de l’argent en prévoyant des compensations sérieuses pour la petite bête.

On rappellera simplement que le Conseil national de la protection de la nature (la plus haute instance scientifique consultée sur les dérogations aux lois sur la protection de la nature) a rendu un avis défavorable unanime sur le dossier « campagnol amphibie » présenté par le préfet de Loire-Atlantique.
Un tournant dans l’histoire de la démocratie en France
Les associations de protection de la nature ne manqueront pas d’attaquer au tribunal administratif l’arrêté que le préfet ne manquera pas de signer. Si le tribunal leur donne raison, tout s’arrête et on continue à inventer un autre avenir pour la ZAD tandis que le gouvernement, peut, la tête haute, acter l’abandon du projet. Si le tribunal considère que le préfet a tout à fait raison de mépriser l’avis des scientifiques et les lois sur la protection de la nature – ce qu’il a fait pour les dossiers qui lui ont déjà été présentés concernant un groupe d’espèces protégées –, on sera sans doute à un tournant du dossier (même si les Naturalistes en lutte ont montré qu’il existe d’autres espèces protégées sur la ZAD et que les dossiers ne les ont pas prises en compte).
Le gouvernement sera-t-il assez fou pour tenter de mettre en route le projet d’aéroport ? Le préfet aurait commencé, à la demande de Manuel Valls, les préparatifs d’une évacuation en force (et l’échec de l’opération César laisse deviner que des moyens exceptionnels seraient mis en œuvre) et on devine bien qu’il ne dispose pour la réaliser que d’un bref créneau au début de 2016. Précédé ou non d’une provocation préparant l’opinion publique, le bras de fer qui s’engagerait alors serait un tournant dans l’histoire de la démocratie en France.