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TribuneClimat

Qui manifeste pour le climat ? Des sociologues répondent

Qui sont les personnes participant aux marches ou autres événements pour le climat ? Quelle est leur vision de l’écologie ? Un collectif de chercheurs et étudiants en sciences sociales a commencé un travail d’étude, dont voici les premiers résultats.

Quantité critique est un collectif de chercheurs créé en septembre 2018 par Yann Le Lann, maître de conférence en sociologie à Lille. Il réunit des maîtres de conférences, docteur-e-s, doctorant-e-s et étudiant-e-s en sciences sociales et se concentre sur l’analyse quantitative des mouvements sociaux actuels. Le 13 octobre 2018, trente enquêteurs du collectif ont fait passer 360 questionnaires lors de la marche pour le climat à Paris. Zakaria Bendali, Antoine de Cabanes, Gauthier Deloziere, Maxime Gaborit, Pablo Livigni, Anaelle Suberbie, et Hugo Touzet ont plus particulièrement travaillé sur cette enquête.


La rentrée de septembre 2018 a marqué un tournant pour les mobilisations environnementales. La démission de Nicolas Hulot a d’emblée mis la question écologique sur le devant de la scène. Dans la foulée, la première manifestation pour le climat du 8 septembre 2018 a été un succès. C’est ce qui a poussé notre collectif de chercheurs à s’y intéresser. Nous avons décidé d’interroger par questionnaires les manifestants. Notre enquête cherchait à cerner leur profil socio-économique (niveau de diplôme, profession), leurs pratiques écologiques (par exemple « Combien de fois par an prenez-vous l’avion pour le travail ? Et pour le loisir ? »), leur positionnement politique (vote à l’élection présidentielle de 2017, autopositionnement politique, appartenance à un syndicat…) ainsi que leurs valeurs (par exemple, accord ou désaccord avec l’affirmation : « Il est nécessaire de sortir du système capitaliste pour résoudre la crise écologique. »)

Nous avons mené l’enquête lors de la manifestation du 13 octobre, à Paris. Celle-ci se caractérise par une relative homogénéité dans le profil des manifestants. Ces derniers sont jeunes (54 % ont moins de 34 ans), diplômés (60 % ont au moins un Bac+5) et issus des catégories socio-économiques supérieures (40 % de cadres et professions intellectuelles supérieures contre 8 % d’employés). Bien que ces observations donnent à penser un relatif « élitisme », il est nécessaire de relativiser ces chiffres. D’une part, le contexte parisien de la manifestation est à prendre en considération. Ainsi, il n’est pas dit que les mobilisations en région aient été socialement aussi uniformes. D’autre part, bien que dotés d’un fort capital culturel, il n’est pas certain que les manifestants disposent également d’un important capital économique. Notre enquête n’interrogeait pas le niveau de revenus des manifestants et une telle mesure devra être effectuée au cours des prochaines manifestations.

Concernant leurs pratiques, il apparaît que nos enquêtés sont engagés dans un processus de réduction de leur empreinte environnementale. Cette réduction passe notamment par la question des déchets : 95 % déclarent réaliser trier leurs déchets et 66 % achètent des produits sans emballage. La question de l’alimentation occupe également une place centrale dans la conversion écologique de leur mode de vie. 18 % des personnes interrogées sont membres d’une Amap, 69 % fréquentent les magasins bio. Concernant la question de la consommation de viande, celle-ci est également faible. 15 % des personnes interrogées indiquent être végétariens ou végétaliens, seuls 3 % des enquêtés déclarent en manger quotidiennement.

À Paris, le 13 octobre 2018.

Malgré cette conversion écologique de leurs comportements, les membres de notre échantillon restent néanmoins en prise avec des contradictions. Celles-ci se reflètent principalement dans la fréquence de leurs voyages professionnels en avion. En effet, 27 % des enquêtés déclarent le prendre au moins une fois par an pour leur travail. Ce phénomène tient évidemment à la surreprésentation des catégories socio-économiques supérieures.

82 % des enquêtés sont d’accord avec la nécessite de sortir du capitalisme pour résoudre la crise écologique

Cette volonté de changement de mode de vie ne témoigne cependant pas d’une conception individualiste de la résolution de la crise écologique. 82 % des enquêtés sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle « il est nécessaire de sortir du capitalisme pour résoudre la crise écologique ». 60 % sont en désaccord avec l’affirmation selon laquelle « le réchauffement climatique est avant tout la conséquence de mauvais choix individuels ». Seuls 13 % sont d’accord avec le fait que « la lutte contre le réchauffement climatique passe par une grande liberté laissée aux entrepreneurs ». Quant à un possible « solutionnisme technologique », ils semblent divisés. À l’affirmation « le développement des technologies actuelles et futures permettra de résoudre la crise écologique », 40 % se déclarent d’accord, 42 % en désaccord et 18 % n’expriment pas d’opinion. Leur foi en une réponse collective et politique est, elle, indiscutable.

Cette vision de l’écologie s’explique très certainement par le positionnement idéologique et politique des personnes mobilisées. À rebours de l’image « apolitique » et « transpartisane », la manifestation s’avère ancrée à gauche. 44 % des manifestants se positionnent « à gauche » et 29 % « très à gauche ». De même, alors que certains commentateurs percevaient la mobilisation comme un appel au gouvernement de la part de l’électorat d’Emmanuel Macron, ce dernier s’est très peu mobilisé le 13 octobre. Seuls 15 % des manifestants déclarent avoir voté pour lui au premier tour de l’élection présidentielle. Les électorats de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon sont les plus représentés avec respectivement 41 % et 24 % des manifestants. Par ailleurs, les électeurs d’Emmanuel Macron présents appartiennent à la frange la plus à gauche de son électorat (60 % sont d’accord avec la nécessité de sortir du capitalisme).

De ces quelques données émerge une image des manifestants mobilisés à l’occasion de la marche pour le climat. Ils rejettent massivement la stratégie des « petits pas » en considérant le réchauffement climatique comme un phénomène collectif. Il semble que ces manifestants ne lancent pas un simple « appel » au gouvernement, auquel ils conféreraient la charge de gérer la crise en forçant les individus à adopter de nouveaux comportements. Ils sont plutôt demandeurs d’une réflexion collective sur notre système de production et notre modèle de société.

À l’issue de cette étude, un enjeu majeur pour les futures mobilisations se dessine : la nécessité pour elles de faire sauter le « plafond de verre » social. La crise des Gilets jaunes, et « l’écologie de classe » du gouvernement qu’elle a mis en lumière, a peut-être marqué un tournant dans le mouvement : les manifestants pour le climat soutiennent-ils ou se considèrent-ils comme des Gilets jaunes ? Il faudra aussi évaluer dans les prochaines mobilisations l’impact de l’Affaire du siècle, qui rassemble déjà plus de 2 millions de signatures. Cet élargissement de la mobilisation témoigne-t-il d’une ouverture aux classes populaires ? C’est ce que nous tenterons de vérifier lors de l’Agora du dimanche 27 janvier, place de la République, à Paris.


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