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ReportageClimat

Rallye Monte-Carlo : une course automobile absurde à l’heure du changement climatique

Le rallye Monte-Carlo a investi les Alpes du Sud du 20 au 26 janvier. Cette course automobile n’a plus lieu d’être à l’heure du changement climatique, jugent les écologistes des Hautes-Alpes, un département qu’ils placent en « Pôle pollution ». Samedi 25 janvier, ils l’ont fait savoir à Gap.

  • Gap (Hautes-Alpes), reportage

« La sentence. » Sur un bloc de glace qui fond, crampons aux pieds et masque respiratoire sur le visage, ils attendent la condamnation, la corde au cou. L’image est forte. Les manifestants font silence autour des deux pendus symboliques.

Depuis 1911, le rallye Monte-Carlo et les Hautes-Alpes, c’est une vieille histoire. La course a toujours sillonné les Alpes du Sud. Cet ancrage local s’explique par le grand nombre de routes sinueuses et des paysages grandioses, synonymes de grand spectacle. Le pilote Sébastien Ogier, né à Gap, est le favori du public : avec six titres de champion depuis 2009, son palmarès égale celui de Sébastien Loeb.

Ici, le sujet est épidermique. « Je comprends la passion des supporters car cela fait partie de nos plaisirs, malgré tout très individualistes, explique Violaine. La société ne peut pas satisfaire tous les caprices de demain, au détriment des autres et de la planète ». Violaine et Rémy sont venus de Briançon pour manifester à Gap. « On serait bien venus en train, mais la grève ne le permettait pas », expliquent-ils.

Des banderoles « Hontes-Alpes » et « Rallye Monte-Crado » décoraient pour l’occasion les pylônes de la Haute-Durance. Une course y avait lieu la veille, aux portes du Parc national des Écrins -ce qui va à l’encontre de sa charte. Joint par Reporterre, Pierre Commenville, directeur du Parc, explique : « L’aire d’adhésion du Parc est un espace de partenariat, de contrat, de consensus. C’est une zone d’actions positives. Le Parc n’a pas d’autorité dans l’aire d’adhésion. Malheureusement, car ce n’est pas une zone d’interdiction ».

Rémy Bernade est délégué de l’association Mountain Wilderness : « Nous sommes préoccupés par l’état de la montagne : les parois se cassent la gueule, les glaciers fondent », déplore-t-il. Violaine abonde : « Le rallye est un poison toxique. Les émissions de CO2 causent des dérèglements. Mon mari est guide de haute montagne. Celle-ci devient difficile d’accès. Les voies sont plus dangereuses ».

Pourtant, l’Automobile Club de Monaco, organisatrice, œuvre pour diminuer l’impact environnemental du rallye, par exemple via la compensation carbone avec un « programme de reforestation ». Ses fervents défenseurs sont regroupés en comité de soutien au sein de l’association Alpes rallye clean, dont le but est de «  mobiliser et sensibiliser le monde du rallye autour de la cause de l’environnement ».

Le maire UDI de Gap, Roger Didier, s’était dit en 2019 « gâté et fier » de voir le rallye partir de sa ville. Cette année, affirmant que « la voiture participe aussi à l’écologie », il a déclenché les foudres des écologistes. La municipalité de Gap est un partenaire financier direct du rallye Monte-Carlo. La communauté d’agglomération gapençaise bénéficie par ailleurs du label « Territoire à énergie positive pour la croissance verte ». « 2020 sera placée sous le signe de l’excellence sportive, elle débutera avec le rallye Monte-Carlo, avait lancé Jean-Marie Bernard, le président du conseil départemental (financeur indirect du rallye), lors de ses vœux de bonne année. Un avenir qui s’annonce radieux en 2020 ».

Hervé Gasdon, président de la Société alpine de protection de la nature (SAPN), n’est pas de cet avis : « Il y a quinze jours, la SAPN a obtenu un rendez-vous avec Jean-Marie Bernard, dit-il. Il portait sur les sports et loisirs et leur passage du ‘motorisé’ au ‘non motorisé’, sous l’égide du conseil départemental. Sa réponse a tenu en un mot : un ‘Non’ immédiat et catégorique. On se retrouve devant des gens complètement fermés ».

C’est que le poids économique du rallye est lourd. Sur France Bleu Provence, le directeur de l’Agence de développement des Hautes-Alpes, Yvan Chaix, évoque neuf millions d’euros de retombées économiques et 200.000 spectateurs. « Beaucoup d’élus locaux soutiennent le rallye, observe Hervé Gasdon. Il n’y a aucune mutation par rapport à ce qui se passe au niveau planétaire. Ils ont vingt-cinq ans de retard ».

Simon, qui a quitté sa potence et son masque anti-gaz, analyse : « Il faut revoir la hiérarchie des valeurs : l’écologie doit passer au-dessus de l’économie ». Le rallye Monte-Carlo a été annulé une fois, en 1974, après le choc pétrolier. Une mesure « de réduction de la dépendance des pays producteurs de pétrole », prise par le Premier ministre de l’époque, Pierre Messmer. Lorsqu’on le lui rappelle, Simon sourit : « C’est la preuve que ce que l’on demande n’est pas impossible. On nous reproche de dire des choses fausses alors que l’on s’appuie sur des faits scientifiques ».

La manifestation se poursuit sur des airs de Cowboys fringants et de Renaud. Claire et Gérard sont venus d’Embrun : « On a écouté et entendu les scientifiques. On a une conscience aigüe de la situation : elle est catastrophique », commence Claire. Gérard poursuit en expliquant qu’il relie sa mobilisation à son histoire de vie : « Je suis né en 1951. Nous sommes minoritaires dans ma génération à être écologistes. On a vécu les Trente Glorieuses, et on a du mal à imaginer autre chose ».

Marie : « J’aimerais plus de cohérence dans les politiques publiques et l’écologie. »

Marie pointe « une grande incohérence. On nous demande des efforts personnels pour ne pas polluer. J’aimerais plus de cohérence dans les politiques publiques et l’écologie ». La pression est collective. « J’ai encore beaucoup à faire pour m’améliorer, admet-elle. On a tous des contradictions, alors que les questions écologistes sont à notre portée ».

La spéciale du jour dans le Champsaur compte soixante concurrents et comporte un passage sur des pistes de ski. Elle est diffusée en direct sur Canal+. « Je suis ahuri qu’autant de savoir-faire et de moyens soient mis en œuvre pour un truc pareil. On investit pour des cul-de-sac », tonne Jean-Paul Coulomb, administrateur de la Ligue pour la protection des oiseaux. Il voit le rallye en « un archaïsme périmé et obsolète », qui traduit « une grande urgence à changer radicalement notre façon de vivre. Cela émane d’un constat de terrain de tous les jours : le 24 janvier à Gap, les températures sont printanières ». Après une carrière au service des autres, l’écologiste dit aussi : « J’étais médecin dans les pompiers. Les accidents de la route, j’ai eu ma dose. C’est hallucinant de normaliser la grande vitesse sur les routes. »

Stéphane Passeron : « Le rallye, c’est la gabegie la plus totale. Mettre l’économie avant l’humain, c’est insupportable. »

Champion de ski de fond, Stéphane Passeron préfère se dépenser physiquement pour se déplacer. Quinze ans plus tôt, il militait contre la Croisière blanche, une épreuve 4x4 tout-terrain. Le 22 janvier 2005, il déclarait dans les colonnes de L’Humanité être « écœuré par ce type de compétition, comme le Paris-Dakar. On sait que la planète se réchauffe et on continue de faire rouler ces grosses bagnoles. Il n’est pas normal qu’au 22 janvier on vive dans nos montagnes un tel changement climatique » L’homme et la situation n’ont pas changé. Dans le cortège, il alpague joyeusement les passants : « Le rallye, c’est la gabegie la plus totale. Mettre l’économie avant l’humain, c’est insupportable ». Le sportif évoque son engagement de plus en plus sincère : « Cet été, dans mon jardin, je me suis mis à pleurer au milieu de mes carottes en écoutant la radio, confie-t-il. Je suis sensible, car je vis au milieu des montagnes et je viens d’avoir des enfants ».

L’avenir des jeunes générations touche et inquiète. Brice vient de Champcella, où la course est passée la veille. L’école du village de Haute-Durance est restée fermée deux jours. « Je suis triste de voir toutes ces bagnoles, dit-il dans un demi-sourire. Rien ne bouge, on est anéanti. Bouger, c’est accepter le problème. Ceux du rallye, ils ne bougent pas. C’est flippant ».
Au-delà du rallye, « nous sommes des lanceurs d’alerte, rappelle Hervé Gasdon. Dans vingt-cinq ans, on se demandera pourquoi, en 2020, on faisait un rallye dans les Hautes-Alpes ».

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