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Féminisme

Réponse à Mme Badinter : non, l’écologie n’est pas anti-féministe

Mme Badinter, actionnaire de Publicis et auteure d’un livre lourdement promu par les médias officiels, essaye d’associer l’écologie à une régression du féminisme. On peut voir les choses de manière plus subtile...


Mon billet initial sur le passage d’Elisabeth Badinter sur France Inter a suscité pas mal de réactions, et je crois qu’il mérite quelques développements. Je me lance ici dans quelques réflexions à titre expérimental... Poursuivons le débat !

D’abord, si le combat féministe ne doit surtout pas être abandonné, singulièrement dans cette phase de régression sociale où l’on sait qu’elles sont les premières touchées et incitées à sortir du monde du travail, je ne crois pas non plus que l’émancipation des femmes passe par la distribution de publicités dans les maternités, ni par la condamnation de l’allaitement ou des petits pots faits maison comme quelque chose de régressif. On remplace une culpabilisation par une autre... Et qui donne le biberon et qui va au supermarché acheter les couches jetables et les petits pots industriels aujourd’hui ?! Si on y va par ce biais là, on tourne en rond.

Par ailleurs, Elisabeth Badinter va semble-t-il un peu vite en besogne en associant le féministe naturaliste à l’écologie. Cet amalgame procède au mieux d’une ignorance de l’écologie politique, au pire d’une divergence d’intérêts... L’émancipation ne peut passer que par le changement des rapports sociaux et culturels, et en ce sens l’écologie politique, en tant que lutte contre toutes les formes de domination, est aussi un combat féministe... Féministes, écologistes, même combat ! ;)

Mais Elisabeth Badinter semble confondre écologie politique et « deep ecology », ce mouvement venu des US qui pour faire court préfère sacrifier les droits sociaux sur l’autel de l’environnement et place les droits de la nature au dessus de ceux de l’être humain. Cet amalgame est dangereux, car une fois de plus il procède d’un raccourcissement de la pensée critique et il handicape un peu plus l’indispensable prise de conscience du fait que l’urgence sociale et l’impasse écologique s’abreuvent aux mêmes sources. Tant qu’on ne convaincra pas les citoyen-ne-s que l’écologie politique est avant tout un levier pour changer radicalement de société et passer de la compétition à la coopération, et de l’asservissement à l’émancipation, on n’en sortira pas. Assimiler l’écologie à la réaction, c’est donc aussi retarder la nécessaire mobilisation pour un véritable changement de modèle de société. Qui inclut le changement des rapports sociaux et donc du féminisme... C’est totalement contre-productif.

D’autant que si je refuse très clairement l’éco-fascisme, qui consisterait à imposer par la contrainte des comportements et modes de consommation individuels et donc, pour ce qui nous intéresse ici, à culpabiliser les femmes dites « modernes », je refuse aussi l’inverse : pourquoi les petits pots au brocoli seraient ils une régression sociale et les femmes qui allaitent des asservies ?! Hier soir j’en discutais avec une militante de la génération de mes parents, et on était toutes les deux d’accord pour se dire que l’allaitement était infiniment plus pratique et simple que de se trimballer les biberons, le stérilisateur, les conserves de lait en poudre et les dosettes... Sans parler du Bisphénol A.

... Et puis, j’aimerais bien comparer le temps passé à travailler pour payer la bagnole, l’assurance et l’essence (merci Illich !) qui permettent d’aller au supermarché acheter des petits pots, le temps de transport, de remplissage du caddie, de vidage et rangement dans le frigo, réchauffage etc - au temps passé pour faire les petits pots de la semaine... Si ils viennent de circuits courts, dans des pots en verre remplis par des travailleurs autogestionnaires en SCOP, de produits de qualité, sans OGM, issus de l’agriculture paysanne et bio, c’est encore mieux bien sur ! ;)

Bref, plutôt que l’anathème, parions plutôt sur l’éducation et le développement d’un esprit critique. Les opérations de matraquage publicitaires et les discours réducteurs du type « écologie = régression » ne font pas avancer le débat. Elisabeth Badinter sait l’impact qu’elle a, il est dommage qu’elle ne l’utilise pas pour aider à la prise de conscience écologique, aussi, qui n’est en rien contradictoire avec le combat féministe... Alors, pourquoi les opposer ?

Et j’en reviens à cette explication de l’opposition inconciliable, non entre l’écologie et le féminisme, mais entre l’écologie et la publicité, pilier du productivisme, de la société de consommation et de la marchandisation de tout. C’est en ce sens que je crois que l’on a le droit de savoir qu’Elisabeth Badinter occupe cette place au sein de Publicis. Cette information n’est pas anodine. On ne peut pas sous estimer l’importance de ce type d’intérêts particuliers sur la manière dont une personnalité envisage la lutte des classes, la nature des rapports sociaux et le combat pour l’émancipation... ;)

Hum... Je dis des bêtises ?


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