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Grands projets inutiles

Sivens : les milices pro-barrage agissent dans l’impunité alors que l’expulsion de la Zad se dessine

Le 11 février au plus tôt, le tribunal d’Albi rendra sa décision sur l’ordonnance d’expulsion de la Zad de Sivens. Sur le terrain, les milices pro-barrages entretiennent un climat de violence, sous l’oeil indifférent de la gendarmerie. Mais le préfet cherche l’apaisement, et devrait rencontrer les occupants jeudi 4.

Actualisation mercredi 4 février :

Mardi, le tribunal de grande instance d’Albi a à son tour demandé le report de l’audience sur demande des occupants. Celle-ci a été fixée à vendredi 10 heures 30. Sauf surprise, aucune intervention policière ne semble attendue sur le site durant cette semaine. Par ailleurs, la semaine dernière, le Préfet du Tarn a envoyé pour la première fois une lettre aux occupants, proposant de les rencontrer "dans un lieu neutre". La réunion devrait avoir lieu ce jeudi dans la journée. Dans un communiqué les occupants, tout en maintenant une grande vigilance sur l’avenir du projet, précisent : "Dans le contexte du 1er février, avec le laisser-faire et le laxisme dont ont fait preuve les gendarmes face aux exactions des extrémistes sur la population opposée au barrage (sorte de "Mexicanisation" comme on a pu l’entendre des victimes), avec la procédure d’expulsion enclenchée, on apprécie les gages d’apaisement et le ton conciliant du "chef de cabinet" du Préfet."


-  Toulouse, correspondance

« Ce qui se passe est hallucinant » ! Les opposants au barrage de Sivens ne reviennent toujours pas de ce qui s’est déroulé ce dimanche 1er février. Durant toute la journée étaient prévues des activités naturalistes et conviviales sur la zone du Testet, à l’occasion de la Journée mondiale des Zones Humides. Le Collectif Testet et l’association naturaliste APIFERA organisaient l’évènement. Sauf que, dès le matin, des groupes d’agriculteurs et de riverains étaient présents et barraient tous les accès à la zone.

« On sentait une pression qui montait depuis plusieurs semaines mais on ne s’attendait pas à ça », raconte Paul, présent sur place : « Ils ont bloqué les routes, et patrouillaient en quad sur tous les chemins donnant accès à la zone ». Ils, ce sont les pro-barrages, ou plus clairement « anti-zadistes ». Rassemblant agriculteurs favorables au projet, riverains et militants locaux d’extrême droite, ils se rassemblent en demandant le départ de la zone des « peluts », patois de « pelés », désignation péjorative et injurieuse à l’intention de celles et ceux qui ne « sont pas du pays » - les zadistes et leurs soutiens.

Ces riverains ne parviennent pas à concevoir que des habitants « du cru » soient contre le projet de barrage. Durant toute la journée, les accès à la ZAD ont été bloqués, pour une part par ces groupes et d’autre part par les gendarmes. Ces derniers semblaient d’ailleurs s’accommoder de ces opérations pourtant illégales, discutant avec les bloqueurs de manière cordiale sans leur intimer l’ordre de partir.

Des milices violentes et menaçantes

Pourtant, les motifs d’interpellation ne manquent pas. Dès le matin, un opposant a découvert sa voiture, garée à proximité de la zone, les quatre pneus crevés. Plus tard dans la journée, alors qu’une réunion de crise s’organisait chez un particulier à Gaillac, une petite dizaine d’anti-zadistes ont débarqué et tenté de forcer l’entrée, armés d’armes de fortune, barre de fer, pioche, masse… Plus loin, d’autres opposants ont découvert le pare-brise de leur camionnette défoncé à coup de masse.

L’organisation de ce groupe ne laisse aucun doute si l’on en juge par l’habillage commun, treillis militaire ou un sweat-shirt portant l’inscription : « Club anti PLP, soutien aux gendarmes de Sivens ».

Même un élu, agriculteur, producteur de céréales et irrigant, a fait les frais de ces milices. Patrick Rossignol, maire de la commune de Saint-Amancet, a fait partie de ces élus locaux qui ont mis en garde sur de possibles dérives violentes début septembre lors du déploiement massif des forces de l’ordre pour protéger le chantier.

Ce dimanche, il venait sur place pour s’informer sur la zone humide et « apporter quelques vivres aux occupants ». Comme les autres, et malgré sa qualité d’élu, on lui a barré le passage. Il s’est retrouvé ensuite à Gaillac avec les opposants et a assisté à l’arrivée de ce groupe « habillé de treillis militaire et avec des barres de fer et des manches de pioche ». Tentant de rejoindre son véhicule après la réunion, il découvre avec stupeur « le pare-brise et les vitres latérales totalement explosés. On voyait même clairement les marques des barres de fer ». La raison ? « Il semblerait qu’ils aient pris en photo mon véhicule quand j’ai tenté de me rendre sur la zone. »

Une inaction coupable de la gendarmerie locale

Alors que Patrick Rossignol se rend à la gendarmerie de Gaillac pour porter plainte, comme d’autres, le même groupe, toujours aussi équipé, revient et tente de nouveau d‘agresser physiquement les opposants au barrage attendant leurs camarades à l’intérieur de la gendarmerie. Les personnes sur place témoignent « du calme conservé tout le long par les opposants au barrage pour justement éviter que la situation dégénère ». Un journaliste pour un média indépendant s’est alors fait arracher son appareil photo, piétiné et détruit. Une journaliste toulousaine a eu plus de chance et est parvenue à sauver son micro qu’un gros bras tentait de lui arracher des mains.

Tous ces événements se déroulaient devant le commissariat lui-même. Lorsqu’une des personnes a alerté les gendarmes, ceux-ci ont répondu : « Mais non, ils n’ont rien dans les mains ».

Devant la montée de l’hostilité manifestée par le groupe de miliciens, les gendarmes ont fini par sortir, pour séparer les groupes, récupérer une des barres de fer lancée contre la grille du bâtiment… et laisser partir les miliciens pro-barrage comme si de rien n’était. « Comment est-il possible d’avoir des groupes armés et équipés ainsi qui patrouillent dans les rues de Gaillac sans que la police n’intervienne ? » interroge un opposant.

Ce comportement de la gendarmerie a fait réagir des citoyens participants à la coordination et opposants au barrage de Sivens, le Parti de Gauche Tarn et le NPA 81 dans un communiqué : « Pro-barrages et gendarmes, même combat ? ».

Sur ce comportement récurrent des milices et de la gendarmerie, les syndicats d’agriculteurs pro-barrage ne disent mot, ou plutôt avertissent comme toujours que si le projet ne se fait pas et la ZAD n’est pas évacuée, ils ne seront pas en mesure de retenir des velléités violentes de certains agriculteurs et déplorent que l’Etat n’intervienne pas plus rapidement. S’ils n’appuient pas ouvertement ces comportements, ils ne les remettent en cause à aucun moment et nous avons pu observer une certaine bienveillance de la part des responsables agricoles sur de telles actions d’intimidation en décembre dernier.

Ce lundi soir, la Fédération régionale des Syndicats d’Exploitants Agricoles de Midi-Pyrénées annonçait par communiqué un nouveau pas dans leur mobilisation en faveur du projet : « Tant que l’Etat ne sera pas capable de faire respecter sa volonté et le droit à Sivens, il ne sera pas accepté un quelconque contrôle par les agents de l’Etat en Midi-Pyrénées ».

Expulsion de la ZAD attendue dans les prochaines semaines

Parallèlement, la sortie de crise n’est toujours pas claire en ce qui concerne le projet en lui-même. Les occupants de la zone maintiennent toujours leur revendication d’un abandon total du projet. La semaine dernière, un huissier est venu sur la zone du Testet constater l’occupation et notifier les occupants de l’illégalité de leur présence.

Lundi 2 février après-midi, une première audience avait lieu concernant l’expulsion de la ferme de la Métairie Neuve. Me Dujardin, avocate des occupants, nous indiquait que « l’audience a été renvoyée au 11 février, afin que tout le monde puisse disposer d’un avocat et constituer sa défense ». Selon elle, « sans qu’on ne soit sûr de rien, il semble que la justice ne soit pas aussi expéditive qu’elle l’a été à l’automne dernier où elle refusait systématiquement les renvois de jugement ».

Ce mardi 3 février, une nouvelle audience se déroule à Albi concernant les autres parcelles occupées sur la zone, notamment à proximité du lieu de la mort de Rémi Fraisse. Si beaucoup craignent une expulsion rapide dès le rendu du jugement à la mi-février, la ministre de l’Ecologie, Ségolène Royal, ainsi que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve ont déclaré que celle-ci interviendrait dès le vote le 6 mars prochain de la décision du Conseil Général concernant l’avenir du barrage de Sivens.

Les conseillers généraux devront alors trancher entre les deux scénarios, élaborés par les experts dans la précipitation entre le mois de décembre et de janvier, et qui nécessiteront dans tous les cas des études supplémentaires et probablement une nouvelle enquête publique. Hasard du calendrier : cette décision interviendra une semaine avant les élections départementales. Dans ce département du Tarn, l’enjeu de Sivens sera certainement central pour en déterminer l’issue.

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