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Climat

Smartphones, voitures et frigos importés… les émissions de CO2 cachées de la France

La contribution de la France aux émissions mondiales de gaz à effet de serre ne se résume pas à celles produites sur son territoire. Le Haut conseil pour le climat montre qu’entre 1995 et 2018, les émissions liées aux importations ont crû de plus de 78 %. Si bien que le bilan moyen pour chaque Français est de 11,5 tonnes de CO2 par an.

La France est-elle bonne élève en matière d’émissions de gaz à effet de serre ? On pourrait le croire, si l’on s’en tenait à son seul inventaire national. Les émissions liées à la demande intérieure française produites sur le territoire national ont diminué de 30 % de 1995 à 2018, passant de 6,9 tonnes équivalent CO2 par habitant en 1995 à 4,8 tonnes équivalent CO2 par habitant en 2018.

Mais « la contribution de la France aux émissions de gaz à effet de serre mondiales ne se résume pas aux émissions produites sur son territoire », met en évidence le Haut conseil pour le climat (HCC), une instance consultative indépendante chargée d’évaluer la compatibilité de la politique du gouvernement avec l’Accord de Paris sur le climat, dans un rapport dévoilé ce mardi 6 octobre.

Dans son rapport annuel 2019, le Haut conseil pour le climat recommandait déjà au gouvernement que « les objectifs concernant les transports internationaux, aériens et maritimes [soient] intégrés et élevés au même niveau que les objectifs nationaux », ce qui n’est toujours pas le cas. « Aujourd’hui, les échanges internationaux sont relativement exclus du périmètre des engagements de la France et ne sont pas soumis aux politiques climatiques nationales », déplore Corinne Le Quéré, présidente du Haut conseil pour le climat.

En août 2019, pour y remédier, le gouvernement a chargé le Haut conseil pour le climat de répondre à la question suivante : « Quelle est l’empreinte carbone des produits que nous importons et comment la réduire efficacement ? » Les douze membres experts du HCC y ont répondu dans ce nouveau rapport intitulé « Maîtriser l’empreinte carbone de la France ». Ce document est sans appel : il montre qu’en intégrant les rejets générés, à l’étranger, par les biens et les services importés, la contribution française au changement climatique est beaucoup plus lourde qu’elle ne le paraît.

Entre 1995 et 2018, les émissions importées ont crû de façon considérable, de plus de 78 %, passant de 3,6 à 6,4 tonnes équivalent CO2 par habitant. « Elles représentent aujourd’hui la moitié des émissions de la France », estime Corinne Le Quéré. Résultat, au lieu de diminuer drastiquement comme le prévoit la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) ou les engagements pris lors de l’Accord de Paris sur le climat, l’empreinte carbone des Français stagne autour de 11,5 tonnes équivalent CO2 par habitant.

En cause : « La France commerce beaucoup, elle importe plus qu’elle n’exporte, et cette tendance se renforce depuis 1990 », écrivent les experts. Ses émissions importées « sont principalement originaires de l’Union européenne et de l’Asie » et seul « près d’un quart de ces importations sont issues de régions qui se sont engagées à la neutralité carbone », observe Corinne Le Quéré. Ces échanges sont principalement dopés par l’importation de produits manufacturés — comme des voitures, des smartphones, des ordinateurs, de l’électroménager —, de services — comme les prestations numériques (stockage de données) —, ou encore de produits agroalimentaires. Les émissions exportées sont, elles, relativement stables depuis 1995 et sont déjà comprises dans l’inventaire national des gaz à effet de serre (GES) de la France.

« Pour que les émissions importées de la France contribuent le moins possible au réchauffement climatique et que la France ne puisse pas être suspectée de réduire ses émissions territoriales par un recours accru aux importations — faisant ainsi peser le poids de l’atténuation sur ses partenaires commerciaux — les émissions importées doivent diminuer », prévient le Haut conseil pour le climat.

La loi énergie-climat, adoptée le 8 novembre 2019, prévoit un plafond indicatif à compter de 2022 pour l’empreinte carbone, dont les émissions importées font partie. Dans ce cadre, le Haut conseil pour le climat recommande au gouvernement d’adopter un objectif de réduction de ces émissions importées de 65 %, tous GES compris, à l’horizon 2050 par rapport à 2005. « Un objectif cohérent avec les trajectoires mondiales permettant de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C », explique Corinne Le Quéré. Pour accompagner un tel objectif, disent les experts, « les émissions importées et les émissions des transports internationaux doivent disposer d’une stratégie spécifique », qui devra inclure la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée.

Le HCC a identifié plusieurs leviers d’action. « Le levier le plus important, ce sont les entreprises, affirme Corinne Le Quéré. Elles doivent limiter les émissions importées liées à leurs chaînes d’approvisionnement et augmenter la durabilité de leurs produits. » Les experts recommandent au gouvernement de renforcer les dispositifs obligeant à prendre en considération « les enjeux environnementaux », quitte à appliquer des sanctions, et d’élaborer des stratégies de réduction quantifiées des émissions importées par filière.

Autre levier, « l’instauration d’un “score carbone” permettant aux ménages de connaître l’empreinte climat de chaque produit qu’ils consomment », explique Corinne Le Quéré. Enfin, le HCC exhorte l’exécutif à « promouvoir des mesures de réductions des émissions importées » au sein de l’Union européenne et « à orienter la coopération internationale de la France vers le renforcement des engagements dans le cadre de l’Accord de Paris ».

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