Reportage — Notre-Dame-des-Landes
Sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, des milliers de bâtons enracinent la résistance

Durée de lecture : 9 minutes
Notre-Dame-des-Landes40.000 personnes se sont retrouvées samedi 8 octobre à Notre-Dame-des-Landes. Munies de bâtons symbolisant la détermination, elles ont montré que la résistance au projet d’aéroport reste toujours aussi forte.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
Chacun plante son bâton sur le cordon de terre, formant vite une longue haie hérissée de piques sur une butte. On dirait un système gaulois de défense contre des légions romaines. Dès midi, samedi 8 octobre, ce bosquet rectiligne a commencé à se coiffer de branches de châtaigner, bambous, manches à balai, et même quelques tringles à rideau.
Autour de 40.000 personnes sont venues ce jour piquer leur bâton que symboliquement, ils et elles reviendront chercher en cas d’attaque de la Zad par la police.

Tout un symbole, des jacqueries de paysans sous l’Ancien régime à la marche du Larzac à Paris en décembre 1978, scandée par le rythme des bâtons de bergers du Causse martelant l’asphalte. Un texte rappelant cette symbolique a été lu devant la butte piquetée de tous ces morceaux de bois, "Le serment des bâtons".
- Lire ici Le serment des bâtons
Le matin, trois cortèges de ce peuple à bâtons ont convergé des extérieurs de la zone vers la ferme de Bellevue, occupée depuis janvier 2013. Le départ a été donné sous un joli soleil apparu pour réchauffer ce matin d’automne frisquet démarré à 9°C. Ces bâtons, de simples branches de châtaignier ou de frêne, bien droites ou pas, émondées, taillées. Certains ont été bichonnés, sculptés, gravés des classiques « Vinci dégage », ou peints comme des totems bariolés, ornés de rubans, de perles, de pompons ou de plumes, coiffés de drapeaux ou de ballons de baudruche. Des piquets solides dépassent au-dessus des têtes. Le long du fossé, à chaque point de départ, des stocks de bambous et de branches de bois brut attendent ceux qui n’ont rien prévu.
Le top départ est donné, la troupe démarre à travers champs. Un des bâtons levé à bout de bras sert d’antenne à un poste de radio qui diffuse Radio Klaxon, la radio pirate officielle de la ZAD qui depuis l’opération César squatte la fréquence de Vinci Autoroute et diffuse en direct dans le bocage. Au fil de l’onde des marcheurs, des bribes de discussion évoquent semences paysannes, flics, soupe d’ortie, histoires d’amour. Des baguettes de pain pointent de plusieurs sacs à dos. Les enfants adorent cette histoire de bâtons : « Mais m’man, on pourrait pas le garder, il est trop beau ? » Au détour d’un chemin, une buvette sauvage sur une carriole, puis un stand de crêpes cuites au bord de la haie sur une plaque en fonte, le fameux bilig breton.
Deux hangars pour le présent et le futur

Mais la marque de ce week-end, prévu pour montrer la détermination face à la menace de Manuel Valls d’évacuer la Zad cet automne, ne se limite pas aux forêts de bâtons. Deux solides hangars de belles charpentes blondes, toutes en tenons et mortaises, ont été montés, l’un dénommé le « hangar de l’avenir », qui sera confié à un atelier de menuiserie, et l’autre « hangar de la défense », en bordure de la Zad, voué à l’accueil des gens venus en soutien en cas d’opération policière massive. D’ailleurs le slogan vient le rappeler « Nous sommes là, nous serons là ! ». Le comité anti-aéroport de Redon a fait imprimer des autocollants en forme de cœur « J’aime la Zad » que tout le monde porte sur le cœur, forcément.
Un monde contre un autre
Ficelé à une haie d’épineux, un panneau : « 17 oct 1961 : la police jette les manifestant-e-s algérien-nes dans la Seine. 17 oct 2006 (?) la police expulse les migrant-es de Calais ». Sur le mur d’une ferme : « Ici comme ailleurs, riposte féministe contre les violences sexistes ». A Vinci « et son monde », la Zad oppose son propre monde, fort de valeurs, de solidarités et de revendications.

Le long du parcours qui mène à l’aire centrale du rassemblement, petite surprise à la ferme occupée de Saint Jean du Tertre : un trio vocal féminin juché sur des buses de béton entonne « La Semaine sanglante », en hommage à la Commune, et « La Grève des mères » de Montéhus, « dédiée à la mère de Rémi Fraisse ».
Dans les trouée des haies, des vaches regardent, étonnées de tout ce monde de bon matin. Sur le fil barbelé de leur clôture, une pancarte porte une citation de Michel Tarin, paysan et militant historique de la lutte contre ce projets d’aéroport, engagé dès les premiers jours pour défendre le Larzac, décédé l’an dernier : « Je ne suis pas propriétaire, je suis passeur de terre. »

Une formule qui parle à Sophie Hoarau, formatrice en permaculture dans son village de Roquevaire (Bouches-du-Rhône) : « La terre ne nous appartient pas. On ne peut pas se l’approprier, mais on peut la gérer sur une base de consensus. Les gens qui sont venus se greffer sur ce patrimoine naturel des terres ont développé des techniques locales, résilientes, dans la sobriété et l’autonomie. Ici on passe à l’acte, ça ne reste pas dans des théories intellectualistes. » Si elle a traversé la France, venue en car de Marseille, c’est pour elle exceptionnel : « En général je n’aime pas les manifestations, la foule et je ne viens jamais à ce genre de rassemblement, que j’ai du mal à supporter. Mais j’ai l’impression qu’ici, on est à un tournant de l’histoire et que c’était ma place. Il y a une cohérence, une énergie, l’autogestion, l’acceptation des différences. On retrouve l’esprit original du communisme, de la mise en commun. La symbolique du bâton, sa simplicité, me font penser au "jō", l’arme de l’aïkido, un art martial, science de l’harmonie, qui n’est pas violent. Je l’ai pratiqué il y a une vingtaine d’années, sans trop comprendre la philosophie à l’époque, mais ça me parle bien aujourd’hui. C’est curieux, d’ailleurs, beaucoup de permaculteurs font de l’aïkido... »

Yannick Mainard, lui, a fait la route depuis Poitiers. C’est la cinquième ou sixième fois. La chaîne humaine, l’occupation de la quatre voies, la manif à Nantes le 22 février 2014, il y était. « Cette histoire de bâtons, je ne sais pas d’où ça vient, avant le Larzac... faudrait trouver l’histoire. Bon là, j’ai un peu triché, j’ai amené ma canne en bois que je pense ramener chez moi. L’intervention de la police, je ne sais pas si c’est plausible. Le gouvernement a aujourd’hui tellement de choses à régler, à gauche à droite, en commençant par Calais... Ils sont un peu occupés, quoi. Mais s’il y a besoin, on reviendra, bien sûr. »

Richard et Jeff sont tous deux techniciens de maintenance dans l’industrie, le second dans l’aviation : « Oui je sais... Mais ça n’empêche pas d’être contre ce projet d’aéroport inutile. On en a déjà un aéroport à Nantes, que j’utilise une dizaine de fois par an, pour aller chercher ma fille à Marseille. Ca marche très bien, je ne l’ai jamais vu saturé, même à Noël. Dans un monde dont on atteint les limites, on pourrait faire tant de choses avec les millions d’euros investis dans ce projet. " Pour son copain Richard, cette lutte est importante : « J’essaie de prendre du temps pour y participer. Et chaque fois c’est un plaisir de retrouver tous ces gens, cette énergie de la vie qu’on trouve sur la Zad, qui construit des projets agricoles et politiques. La question essentielle, c’est qu’est-ce qu’on veut faire de notre monde ? Avec l’opposition à la loi Travail, on voit bien qu’une grosse partie des gens veulent changer. Et on perçoit bien les limites du capitalisme et des projets des multinationales. On n’était pas venus avec un bâton, on nous en a donné un en arrivant. S’il faut faire blocus face aux forces de l’ordre on sera présents, avec notre bâton ! »
Un cerf-volant survole une coalition éphémère des chorales dans le pré et les grappes de gens qui pique-niquent ou sculptent leurs bâtons, gravent des spirales, des mots doux pour Vinci avant d’aller le planter avec les autres.
Sous une tente se tient un atelier de fabrication de masque anti-lacrymogène avec des bouteilles en plastique, du charbon et des chambre à air de vélo. Un stand propose des lanceurs de peinture à prix libre. Les sacs à dos s’ouvrent pour déposer des livres pour Le Taslu, la toute nouvelle bibliothèque de la Zad. L’enthousiasme remplit un conteneur.
La CGT Vinci contre le « projet crapuleux »
Si la solidarité se renforce autour des stands, un verre à la main, devant le "cartel des cantines de lutte", elle se nourrit aussi des prises de parole. Comme celle du délégué du syndicat CGT de Vinci au plan national dénonçant les « profits privés avec de l’argent public et le projet crapuleux d’aéroport alors que ce qui se passe sur la Zad est exemplaire pour la construction des luttes et la démocratie dans le combat », tout revendiquant « la remise en cause du travail que Vinci nous fait faire, sous l’angle de son utilité sociale, ce qui nous fait renouer avec les valeurs historiques de notre syndicat. Au même moment nous apprenons qu’une filiale de Vinci doit construire le mur de la honte à Calais, une autre participer à la démolition de la zone sud de la jungle. Ce n’est plus un point de vue syndical, là on touche à l’abomination ».
Droit d’alerte, droit de retrait
Il rappelle les deux consignes données par le syndicat aux travailleurs du bâtiment, un « droit d’alerte », s’ils sont sollicités pour des travaux pour l’aéroport, de prévenir aussitôt la Zad et l’Acipa (l’association citoyenne des opposants à l’aéroport) « pour dire quels travaux, où, quand", le tout couplé avec le rappel de l’exercice du droit de retrait prévu par la loi si l’exercice de son travail paraît mettre en « danger grave et imminent » les conducteurs d’engins et autres salariés, « pris dans un contexte d’affrontements ». Un peu plus, il glissait un mot sur la légitimité du sabotage.
Les riverains ont aussi redit leur hantise de voir revenir l’hélicoptère survolant leurs maisons en permanence, les contrôles d’identité jusque devant l’école primaire, déjà vécus et subis en 2012 lors de l’opération César. Ils rappellent au micro qu’ils ne marchent pas dans la manipulation consistant à diaboliser « la Zad avec qui nous vivons en bonne intelligence au quotidien. C’est un lieu d’échange, de fleurissement dans tous les sens du terme, qui invente une nouvelle façon de vivre ensemble ». Ils sont quatre habitants des alentours à se déclarer « prêts à défendre la Zad », prenant le micro pour dire avec fermeté : « Les forces de l’ordre ne doivent pas s’attendre à notre collaboration. » Une déclaration justement faite sous le staccato de l’hélico des gendarmes qui survole le champ depuis le matin et la haie de bâtons hérissée vers le ciel.
