Tritium dans l’eau : « Aucune raison de paniquer mais beaucoup de raisons de se mobiliser »

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NucléairePlus de 6 millions de personnes en France boivent de l’eau légèrement contaminée au tritium, un élément radioactif. Pour Corinne Castanier, responsable Réglementation et radioprotection au sein de la Criirad, cette pollution « ne doit pas nous paniquer », mais nous alerter et nous mobiliser.
Mercredi 17 juillet, l’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest (Acro) a publié une carte de la contamination radioactive de l’eau potable en France métropolitaine. Les données lui ont été fournies par le ministère de la Santé et représentent la valeur moyenne de tritium, l’hydrogène radioactif rejeté par les installations nucléaires, présent dans l’eau potable sur les années 2016-2017.
Conclusion : plus de 268 communes sont concernées par la présence de tritium dans l’eau potable en France métropolitaine, soit 6,4 millions de personnes, mais aucune valeur relevée ne dépasse le critère de qualité fixé à 100 Bq/L Cependant, , la Criirad (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) considère que ces limites n’assurent pas une protection correcte de la population.
Corinne Castanier, responsable réglementation et radioprotection au sein de la Criirad, a écrit le 11 juillet dernier au gouvernement pour lui demander de revoir les normes de la contamination radioactive à la baisse. Nous l’avons interrogée.
Reporterre — Qu’est-ce que le tritium ?
Corinne Castanier — Il s’agit d’une forme radioactive de l’hydrogène. Chimiquement, il se comporte comme l’hydrogène, mais le noyau de ses atomes est instable et finit par se désintégrer en émettant des rayonnements ionisants. Le nombre de désintégrations permet de mesurer l’activité. Une activité de 10 becquerels par litre (Bq/L) signifie qu’à chaque seconde 10 atomes de tritium se désintègrent en émettant des rayonnements.
Du tritium naturel est produit en continu dans l’atmosphère, sous l’effet du rayonnement cosmique. Il se retrouve dans la pluie et de là dans tous les milieux. Dans les eaux de surface, la concentration est de l’ordre de 0,5 Bq/L.
La deuxième source de tritium, ce sont les explosions de bombes nucléaires et thermonucléaires, nombreuses et puissantes dans les années 1950-1960. Elles ont injecté d’énormes quantités de tritium dans l’atmosphère. La radioactivité de ce radionucléide diminue de moitié tous les 12,3 ans. Depuis le pic de contamination du milieu des années 60, plus de 95 % de ce tritium militaire se sont désintégrés. En France, dans les eaux de surface, la contamination résiduelle fluctue autour de 1 Bq/L, voire moins.
Ces deux sources de tritium constituent un bruit de fond qui ne dépasse pas 2 Bq/l. À partir de 3 Bq/L, on peut suspecter l’impact d’une activité nucléaire : les rejets d’un réacteur nucléaire ou une fuite sur un réservoir d’effluents par exemple.
Pourquoi est-ce dangereux ?
Comme les autres produits radioactifs, le tritium a des propriétés cancérigènes et mutagènes. Ces effets sont des effets sans seuil : le risque diminue quand la dose de rayonnement diminue mais il n’y a pas de seuil d’innocuité. Dans ce cas, les autorités fixent un niveau de risque qu’elles jugent acceptable. Pour les polluants cancérigènes chimiques, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère tolérable un cancer en excès pour 100.000 personnes consommant, chaque jour, pendant 70 ans, 2 litres d’eau contaminée au niveau de la valeur guide qu’elle préconise.
Le problème c’est que le niveau de risque qu’elle tolère pour les produits radioactifs est beaucoup plus élevé : consommer toute sa vie, 2 litres d’eau contenant 10.000 Bq de tritium par litre ne conduit pas à 1 cancer en excès pour 100.000 personnes, mais à 1 cancer en excès pour moins de 500 personnes ! C’est incompréhensible et inacceptable [1].
Pour mettre à niveau la protection contre les polluants radioactifs, il faudrait abaisser la limite OMS de 10.000 Bq/L à moins de 50 Bq/L. De plus, si l’on tient compte de l’exposition in utero, de la vulnérabilité des enfants, des zones d’ombre dans les contrôles, de la réévaluation des effets biologiques du tritium, la limite sanitaire pour des contaminations sur la vie ne devrait pas dépasser 10 Bq/ L [2]. Dans son courrier aux autorités, la Criirad a demandé l’abandon immédiat de toute référence à la valeur-guide de 10.000 Bq /L.

Pour le tritium, les autorités mettent également en avant la référence de qualité de 100 Bq/L
Cette valeur n’est pas une limite sanitaire mais un seuil d’investigation. Comme le tritium est très mobile, on l’utilise comme signal d’alerte. Il peut permettre de détecter une fuite avant que les autres radionucléides n’aient migré trop loin dans la nappe phréatique. Si son activité dépasse 100 Bq/L, il faut donc faire de nouvelles analyses pour rechercher la présence éventuelle d’autres radionucléides artificiels. Si l’analyse est positive, on évalue le risque en calculant la dose de rayonnement que ces radionucléides délivrent mais le tritium n’est pas pris en compte dans le calcul. Sur le plan sanitaire, les autorités se réfèrent aux 10.000 Bq/L de l’OMS.
La Criirad souhaite que la référence de qualité soit abaissée à terme de 100 Bq/L à 2 Bq/L et qu’elle serve à détecter toutes les contaminations par le tritium (et pas seulement par d’autres radionucléides). Il faut les recenser, s’interroger sur leur origine, leur cause, leur durée et mettre en œuvre, le cas échéant, des actions correctives.
Faut-il en cesser de boire de l’eau du robinet ?
Pas du tout. Ce serait disproportionné. Si l’on se place au niveau individuel, et non plus collectif, les risques associés à quelques Bq/L ou dizaines de Bq/L sont très faibles, même avec une consommation cumulée sur plusieurs décennies [3]. Il faut aussi tenir compte d’autres problèmes sanitaires et environnementaux, ceux que pose l’eau des bouteilles en plastique par exemple. Il n’y a donc aucune raison de paniquer mais beaucoup de raisons de se mobiliser [4].
Le tritium que les centrales nucléaires rejettent dans les cours d’eau se retrouve dans l’eau potable de millions de personnes car les procédés de purification sont incapables de le piéger. Il faut revoir à la baisse les autorisations de rejets, lever le secret sur les dates et les heures de vidange des réservoirs d’effluents et publier des modélisations prédictives permettant, quand c’est possible, de limiter les expositions. La transparence rendrait aussi les contrôles indépendants et officiels plus efficaces. Aujourd’hui, les prélèvements sont réalisés en aveugle et la représentativité des résultats n’est pas forcément garantie.
- Propos recueillis par Lorène Lavocat