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Eau et rivières

Un traité inédit pour protéger la haute mer

La haute mer constitue les deux tiers des océans qui recouvrent notre planète.

Les États du monde tentent d’aboutir à un traité contraignant sur la protection des eaux internationales. Mais les intérêts des industries minières et halieutiques risquent de compliquer son éventuelle mise en œuvre.

La « moitié oubliée » de notre planète va-t-elle enfin être reconnue ? Du 7 au 18 mars, 141 États se penchent au chevet de la haute mer, cette immensité bleue qui recouvre les deux tiers des océans… mais ne bénéficie d’aucune protection. « Ces négociations sont historiques parce qu’elles portent sur un espace particulier, un bien public mondial, qui n’appartient à personne », dit Julien Rochette, chercheur à l’Iddri. D’ici quinze jours, les discussions doivent aboutir à l’adoption d’un traité international « juridiquement contraignant portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine », selon la résolution des Nations unies à l’origine du processus. Avec un objectif ambitieux : protéger 30 % des océans de toute activité néfaste.

Pendant longtemps, la haute mer — aussi appelée « eaux internationales », car se trouvant au-delà des Zones économiques exclusives (ZEE) des pays, soit à plus de 370 km des côtes — n’intéressait personne. Des cargos, une poignée de thoniers, quelques pipelines et câbles sous-marins pour les télécommunications la traversaient. Baleines, requins et tortues pouvaient voyager paisiblement dans cet océan. « On la considérait comme un vaste désert, et on pensait qu’il n’y avait pas de vie dans ses grands fonds, à cause du manque de lumière, dit Julien Rochette. On ne disposait pas non plus de la technologie pour s’y rendre — les bateaux de pêche n’étaient pas adaptés, et les engins sous-marins ne descendaient pas à de grandes profondeurs. Bref, il n’y avait pas d’enjeux. » Résultat, quand les États ont adopté, en 1982, une « constitution pour l’océan », la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, ils n’ont fait aucune mention — ou presque — de cette étendue marine.

Les grands fonds marins sont riches de biodiversité... et de minerais. Unsplash / YUCAR FotoGrafik

Mais depuis, les études scientifiques ont révélé l’exceptionnelle richesse des fonds marins, abritant un grand nombre d’êtres vivants méconnus et de ressources minérales. De quoi attiser les convoitises des compagnies minières d’une part, mais également des industries chimiques et pharmaceutiques, qui voient dans les organismes marins le réservoir à médicaments de demain. La biodiversité marine fait ainsi l’objet d’un nombre croissant de dépôts de brevets. « La pêche non durable et illégale, le trafic maritime, la pollution sonore, l’exploitation minière des fonds marins, la pollution plastique et chimique, ainsi que l’acidification et le réchauffement des eaux résultant de la crise climatique menacent très fortement la vie marine », alerte l’High seas alliance, un réseau constitué de plus de 40 ONG, dans une pétition.

Empêcher l’extinction massive de la vie marine

Sans compter que d’autres entreprises, pour le moment inexistantes, pourraient s’y développer dans les décennies à venir : énergies marines, aquaculture à grande échelle… « Le progrès technologique rend désormais possible le développement d’activités dans les eaux internationales, ajoute M. Rochette. Il faut donc un cadre pour réguler ces activités et protéger nos océans. »

C’est tout l’objet du futur traité. Et pour y parvenir, les États misent sur un outil principal : la création d’aires marines protégées. Actuellement, seuls 7 % des mers bénéficient d’un statut de conservation, surtout le long du littoral. Or il faudrait préserver au moins 30 % des océans afin d’éviter une extinction massive de la vie marine, insistent nombre de scientifiques. « Tout le monde semble désormais d’accord pour créer des aires marines », se réjouit Julien Rochette. La France a même pris la tête d’une coalition d’États pour « une haute ambition », en faveur de cette cible de 30 %. Mais fixer un objectif, si élevé soit-il, ne suffira pas. « Aucune activité de pêche industrielle ou d’extraction ne doit avoir lieu dans ces zones, et il faut y limiter fortement le tourisme ou le transport », dit François Chartier, de Greenpeace.

Un traité limité

C’est là que le bât blesse : le futur traité ne s’intéresse ni à la pêche, ni à l’industrie minière, car ces deux activités sont le pré carré d’autres organisations internationales. Une large partie de la haute mer est ainsi régie par des organisations régionales de pêche, au sein desquelles les pays s’accordent sur les stocks de poissons à prélever. Quant à l’exploitation des ressources minérales, elle relève de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

Ainsi, « si les États décident, dans le cadre du traité, de protéger une zone de monts sous-marins, mais que, dans le même temps, l’AIFM a été saisie d’une demande d’exploiter par une compagnie minière, que va-t-il se passer ? » interroge François Chartier, qui craint fort que ces aires de conservation ne soient des « parcs de papier ». « La gouvernance de l’océan est complexe et fragmentée, admet Julien Rochette. Il faudra des négociations, et compter sur la société civile pour faire pression dans le sens d’une meilleure protection. » Les futures aires marines protégées devraient donc être adoptées lors de sommets annuels, des « conferences of parties », où, à l’instar des COP sur le climat, les États s’engageraient dans la mise en œuvre concrète du traité.

La protection durable des océans nécessite des garanties solides, sur lesquelles la France pourrait peser. Unsplash / John Towner

Outre les aires marines, le traité prévoit de renforcer les études d’impact environnemental : « toute activité en haute mer devrait, avant d’être lancée, présenter des garanties environnementales à la communauté internationale », précise Julien Rochette. Les États doivent également s’entendre sur l’épineuse question du brevetage du vivant, les pays du Sud réclamant un « juste partage des bénéfices ». D’après une étude publiée en 2018, l’Allemagne, les États-Unis et le Japon seraient à eux trois à l’origine des trois quarts des brevets déposés — on atteindrait même 98 % en additionnant les 10 premiers pays.

« Il reste encore beaucoup à préciser et à décider, convient Julien Rochette. Une grande partie du traité est encore écrite entre crochets, ce qui signifie qu’il n’y a pas de consensus. » Diplomates et experts ont jusqu’au 18 mars pour trancher, avant un probable ultime round de négociations d’ici fin 2022. « En tant que deuxième espace maritime mondial et présidente actuelle du Conseil de l’Union européenne, la France a une responsabilité toute particulière dans la réussite de ces négociations, insiste François Chartier. Le gouvernement doit avoir une position claire et cohérente : il ne peut pas d’une part pousser pour l’objectif de 30 %, et d’autre part se déclarer en faveur de l’industrie extractive et de la pêche industrielle. »

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