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Tribune

Valérie Masson-Delmotte : « Je ne me reconnais pas dans une société où le dialogue est impossible »

La climatologue Valérie Masson-Delmotte lors de la soirée de soutien aux Soulèvements de la Terre du 12 avril.

Dans cette tribune, la climatologue Valérie Masson-Delmotte rappelle l’évidence : les contestations des écologistes ne sont pas des menaces à l’ordre public. C’est bien le terrible réchauffement planétaire qui l’est.

Valérie Masson-Delmotte est climatologue. Le 12 avril dernier, elle est intervenue lors de la soirée de soutien aux Soulèvements de la Terre organisée par Reporterre, Blast, Socialter et Terrestres. Elle a placé son intervention sous un mot : « gravité ». Voici le texte.


Je veux dire très clairement mon rejet de toute forme de violence. Je ne me reconnais pas dans une société où le dialogue est impossible, et où la violence mène à la violence. Vous le savez, j’intervenais en août dernier au séminaire de rentrée du gouvernement, et le mois dernier au colloque de la FNSEA. Je suis aujourd’hui devant vous. J’ai choisi le mot de « gravité ».

En 2022, l’Autorité environnementale a conclu que la transition écologique n’est pas amorcée en France, avec même des modifications préoccupantes du droit de l’environnement, et une inquiétude manifeste concernant la transition vers l’agroécologie, la préservation des zones humides et une gestion intégrée de l’eau. L’année 2022 en France a été tristement emblématique de l’aggravation des conséquences du changement climatique. Sur la base des politiques publiques actuelles dans le monde et sans sursaut, il est attendu que le niveau de réchauffement planétaire dépasse 1,5 °C au début de la prochaine décennie, 2 °C d’ici trente ans.

Mégafeux, canicules, inondations... L’année 2022 en France a été tristement emblématique de l’aggravation des conséquences du changement climatique. © Alain Pitton / Reporterre

Cela veut dire, à horizon 2050-2060, 3 °C de plus en France. Cela veut dire que la température moyenne chaque année à ce moment-là aurait la température de l’année record de 2022, avec une forte augmentation des risques liés à l’intensification des extrêmes chauds, des sécheresses agricoles, des inondations dues aux pluies extrêmes et à la montée du niveau de la mer. Gravité. Nous sommes dès maintenant face à une escalade des risques, liés au changement climatique qui vont frapper de plein fouet les écosystèmes et les personnes les plus vulnérables. Mais aussi les risques liés à nos réponses qui peuvent très vite devenir inadéquates ou insuffisantes.

Oui, face à l’urgence climatique, il est essentiel que les réponses soient coconstruites intelligemment, en s’appuyant sur les avancées technologiques, sur la sobriété, sur la préservation des écosystèmes, de manière adaptée à chaque contexte. Pour être efficace, l’action pour le climat, pour la biodiversité, doit être juste, inclusive et basée sur le partage des connaissances. Disposer d’éléments factuels peut permettre de réconcilier des intérêts, des valeurs, des visions du monde divergentes pour coconstruire des actions dont les résultats soient perçus comme équitables, justes, dont la légitimité soit reconnue.

Pour être efficace, l’action pour le climat doit être juste, inclusive

Pour cela, faire évoluer le droit est indispensable pour arrêter de mettre en place des projets financés par de l’argent public sans qu’ils aient été évalués à l’aune de leur viabilité dans un climat qui change, sans qu’ils aient été évalués à l’aune des risques d’exacerbation des inégalités actuelles et futures et de fragilisation des écosystèmes, sans qu’ils aient été évalués à l’aune des effets de verrouillage de pratiques actuelles bloquant des transformations qui, à terme, seront pourtant inévitables.

La contestation de la légitimité de certains projets est perçue comme une menace à l’ordre public, conduisant à des interdictions de manifestations, mobilisant des milliers de gendarmes, et menant à des affrontements violents et graves.

Les actions de résistance non violentes : des catalyseurs de changement

Mais sommes-nous réellement engagés aujourd’hui vers des transformations de fond favorables à l’intérêt général, accélérant la baisse des émissions de gaz à effet de serre, renforçant la résilience face au climat de demain, préservant la biodiversité ? Le regard se déplace.

Gravité. Quelle est la menace la plus grave ? Est-ce la poursuite de tendances non soutenables ? L’aggravation des impacts du changement climatique qui touche de plein fouet les plus fragiles, la dégradation des écosystèmes, la perte de biodiversité, leurs conséquences pour le bien-être, les droits humains des générations actuelles et futures ?

Gravité. Ou bien est-ce cette contestation qui dérange ? Face à l’inertie, face à l’inadéquation des réponses institutionnelles et politiques, quels sont les catalyseurs qui peuvent accélérer la transition écologique ? La prise de conscience des transformations nécessaires sur la base des connaissances scientifiques, sur la base de l’expérience vécue des impacts, dans l’évolution du droit, les mécanismes de transparence, de suivi des progrès de l’action pour le climat , les recours juridiques ? Les mouvements sociaux pour la justice climatique qui prennent, dans les régions rurales comme dans les centres urbains, de nouvelles formes d’actions de résistance non violentes, parfois perturbatrices, font partie des catalyseurs.

J’exerce ce soir mon droit à la liberté d’expression comme scientifique et comme citoyenne. Je suis là pour défendre le vôtre.


Regardez le discours de Valérie Masson-Delmotte :

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