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Voler en montgolfière, c’est mauvais pour l’atmosphère

La pratique de la montgolfière séduit de plus en plus de touristes.

À l’heure où il est primordial de réduire les émissions de gaz à effet de serre, le nombre de vols en montgolfière s’envole. Difficile pour ce secteur touristique de prendre conscience du poids de son impact. Quelques pistes se dessinent.

Onzain (Loir-et-Cher), reportage

Se laisser porter au gré du vent, survoler des paysages magnifiques... Le vol en montgolfière est « une aventure magique » pour les uns, « la réalisation d’un rêve » pour les autres. Le Val de Loire, avec ses majestueux châteaux en bordure de fleuve, est devenu la « capitale européenne des montgolfières ». Plutôt réservée aux couples ou aux retraités avec un certain pouvoir d’achat il y a encore quelques années, la pratique s’ouvre aux familles et se démocratise. Mais au-delà de cette carte postale, se trouve la réalité : une montgolfière consomme trop.

« Derrière la légèreté des ballons, personne n’imagine la pollution de cette combustion ! C’est une omerta dans la profession », lance Laurent Buisine. Chauffagiste spécialisé dans les énergies renouvelables à Onzain (Loir-et-Cher), il regarde la douzaine de ballons passer au-dessus de chez lui les soirs d’été. « La journée, j’installe des chaudières bois pour remplacer le gaz et le fioul et diminuer les émissions de CO2, mais j’ai l’impression de pisser dans un violon avec mon activité... 20 heures de vol correspondent à la consommation du chauffage et de l’eau chaude d’une maison de 80 m², pendant toute une année. »

Les vols sont nombreux dans le Centre-Val de Loire. © Eric Brulez/GEMAB21

Un chiffre à ramener à la quantité de départs de montgolfières : rien qu’en Touraine, on dénombre une dizaine de sociétés d’aérostation. S’il n’existe pas de chiffres officiels sur le nombre de vols par an, toutes les sociétés interrogées par Reporterre voient l’affluence des passagers augmenter. À l’image d’Aérocom, une entreprise implantée à Onzain, près du château d’Amboise, qui emploie 4 pilotes et a transporté 3 500 passagers en 2021, soit 500 de plus qu’en 2020. Un de ses concurrents, Art Montgolfières, installé près du château de Chenonceau, monte jusqu’à 4 000 passagers par an, grâce à des nacelles de plus en plus grandes. « Il faudrait informer les touristes, mettre le bilan carbone sur le ticket de montgolfière », dit Laurent Buisine.

1 h de vol = 450 km en voiture

En effet, les données manquent : aucun bilan carbone officiel n’est recensé [1]. Dans la profession, peu de pilotes sont sensibilisés, d’autres certifient à Reporterre que les montgolfières utilisent de l’énergie « propre ». Pas tout à fait.

Pour voler, le ballon doit être réchauffé de 90 °C par rapport à l’air ambiant. Les pilotes brûlent du propane, un gaz qui se conditionne facilement et qui ne craint pas le gel. 70 % de la production française arrive des champs gaziers de Norvège et d’Algérie, le reste est issu du raffinage du pétrole brut, en France. Le propane est une énergie fossile dite « propre », car sa combustion n’émet pas de particules et très peu d’oxyde d’azote (NOx). En revanche, elle émet bien du dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre (3,45 kg de CO2 équivalent par kilo de propane).

Un vol en montgolfière à deux émet 87,5 kg de CO2e par personne. © Tom Aero/GEMAB21

La consommation pour une heure de vol est très variable, elle dépend du nombre de passagers, du poids dans la nacelle, de l’altitude, de la température extérieure, etc. Avec une moyenne de 50 kg de propane pour deux passagers (sans compter le pilote), cela équivaut à 175 kg de CO2e pour un vol d’une heure, soit 87,5 kg de CO2e par personne.

En théorie, un vol de 15 km serait comparable à 450 km en voiture thermique, selon le calculateur de l’Ademe, l’Agence de la transition écologique. En pratique, difficile de comparer la montgolfière à un moyen de transport classique. « On ne peut pas mesurer les chiffres sur une distance, précise un pilote, sous couvert d’anonymat. La montgolfière, c’est un moment de vie, un loisir, pas une finalité. »

La plateforme de mesure des bilans carbone Sami a comparé l’empreinte d’un ballon et celle d’un avion de tourisme de quatre personnes. « Pour l’avion, nous sommes aux alentours de 60 kg de CO2 par personne par vol, donc la montgolfière est plus émissive que ce type d’avion. C’est assez étonnant », dit Tanguy Robert, cofondateur de la plateforme.

Du propane et du gasoil

Le bilan carbone d’un aérostat implique également l’utilisation d’un ventilateur à essence afin de gonfler le ballon avant de le chauffer, un ou deux véhicules pour acheminer la montgolfière sur son lieu de départ et aller chercher les passagers au lieu d’atterrissage (environ 50 km routiers). La fabrication de la montgolfière nécessite peu de matériaux et la durée de vie de l’enveloppe est d’environ 600 à 700 heures de vol, soit quatre à cinq ans pour une utilisation professionnelle.

En théorie, un vol de 15 km serait comparable à 450 km en voiture thermique. © Romain Berthiaux/GEMAB21

Néanmoins, ces différents facteurs pèsent peu sur le bilan carbone comparé à la combustion du propane. « Le propane est un déchet du raffinage du pétrole. On en produit, alors autant l’utiliser plutôt que de le relâcher dans l’atmosphère », répond Charles Aréthuse, gérant d’Art Montgolfières, qui en consomme entre 30 et 35 tonnes par an. Certes, mais ce précieux gaz pourrait aussi être employé pour d’autres usages, comme la cuisson.

Vers des vols plus écolos ?

Est-il possible d’améliorer le bilan carbone d’un vol ? La première chose est de mutualiser le panier. Une grande nacelle de quinze personnes permet de diminuer par trois les émissions, de 4,5 à 1,5 kg de CO2e/km/personne [2].

Les fabricants d’aérostats réfléchissent également à des conceptions de ballons moins énergivores. Ils en ont mis un au point avec une double peau, très bien isolé. « L’isolation de la moitié du ballon permet une réduction de 40 % des consommations de carburant. L’enveloppe est noire pour attirer la chaleur du soleil. Néanmoins, ce ballon plus lourd est plutôt réservé aux vols de longue durée », note Benjamin Cleyet-Marrel, gérant de l’entreprise Chaize à Annonay (Ardèche), seul constructeur français.

Autre possibilité, utiliser du biopropane. Peu connu, ce gaz est un co-produit des raffineries de biocarburants. Il est produit à partir d’huiles végétales (huile de palme, colza, etc.) ou de déchets (huiles de cuisson usagées, graisses animales, etc.) hydrotraités. Selon le Sami, l’empreinte carbone du biopropane est environ quatre fois moins importante que le propane conventionnel. « Nous l’avons testé techniquement en 2019. Il est tout à fait compatible avec les brûleurs », Philippe Buron-Pilâtre, organisateur du « Mondial Air Ballons », qui accueille tous les deux ans 400 montgolfières venues du monde entier, pendant dix jours à l’aérodrome de Chambley (Meurthe-et-Moselle). Pour l’édition 2023, il va offrir 150 tonnes de biopropane aux participants, pour deux vols par jour.

Le « Mondial Air Ballons » accueille tous les deux ans 400 montgolfières venues du monde entier. © Stefu Wälchli/GEMAB21

Reste que ces matières premières sont soumises aux critiques. Les huiles de palme, par exemple, participent à la déforestation. Depuis plusieurs années des organisations écologistes dénoncent les conséquences des activités de la bioraffinerie de TotalEnergies à La Mède (Bouches-du-Rhône) sur la déforestation. C’est cette même bioraffinerie qui produit le biopropane de Primagaz.

Dernier rempart, le coût : 25 à 30 % supplémentaire sur la facture de gaz. Pour Brian Poussardin, pilote et gérant d’Air Alpes Adventure, aucun aérostier ne pourrait répercuter cette hausse sur le tarif des vols. « Nous sommes déjà à plus de 200 euros par vol, si on répercute l’augmentation, nous n’avons plus de clients. » En attendant, chacun peut réfléchir à son quota carbone avant d’embarquer.

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