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Climat

Le projet de loi Climat, trop timide pour les experts du Haut Conseil

Le Haut Conseil pour le climat, l’instance consultative indépendante installée par Emmanuel Macron, a analysé les conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre du projet de loi Climat et résilience. S’il salue des avancées, le Haut Conseil attend surtout des parlementaires qu’ils aillent plus loin lors de l’examen du texte.

C’est une analyse qui vient s’ajouter à la pile grandissante des reproches faits à la future loi Climat et résilience. Le Haut Conseil pour le climat (HCC) publie son avis, mardi 23 février, sur le texte de loi qui reprend au rabais certaines mesures élaborées par la Convention citoyenne. Il ne sera débattu à l’Assemblée nationale qu’à la fin du mois de mars, mais il est déjà sous le feu de nombreuses critiques.

Fin janvier, le Conseil national de la transition écologique s’est inquiété de « la baisse insuffisante des émissions de gaz à effet de serre (GES) induite » par ce projet de loi. Le lendemain, le Conseil économique social et environnemental (Cese) a jugé sévèrement le texte, soulignant des mesures « en général pertinentes, mais souvent limitées ».

Face aux attaques, le gouvernement a répliqué en demandant une évaluation au cabinet de conseil Boston Consulting Group (BGC). Plutôt que de saisir le Haut Conseil pour le climat — une instance consultative indépendante mise en place en 2018 par Emmanuel Macron lui-même —, le gouvernement a préféré confier la mission à une multinationale privée comptant parmi ses clients des organisations patronales, des grands groupes agroalimentaires ou encore des industries de la filière automobile. Bref, autant de secteurs qui n’auraient pas intérêt à voir la mise en œuvre d’une législation ambitieuse pour lutter contre le changement climatique.

Le Haut Conseil signale une absence de transparence méthodologique

N’attendant plus le gouvernement, le Haut Conseil pour le climat a donc décidé de se saisir et a publié son rapport mardi 23 février. D’emblée, le HCC prévient : son rôle n’est pas de juger du niveau de reprise des mesures de la Convention citoyenne pour le climat [1]. Son rapport n’est pas non plus une « contre-expertise » de l’étude d’impact de la loi, réalisée par le gouvernement. Celle-ci argue que la loi permettra « une réduction de 112 millions de tonnes équivalent CO2 par an ». Impossible à vérifier en l’état, regrette le HCC. « L’absence de transparence méthodologique ne permet pas au HCC de s’exprimer sur l’impact attendu du projet de loi », a écrit l’instance dans son rapport.

Son avis vise donc seulement « à qualifier l’ambition du projet de loi et la pertinence de ses mesures au regard de la stratégie nationale bas carbone ». Cette stratégie, dite SNBC, est la feuille de route de la France pour lutter contre le changement climatique et atteindre la neutralité carbone en 2050. Elle est révisée tous les cinq ans. Elle fixe notamment des objectifs à court et moyen termes : les budgets carbone. De 2015 à 2018, le premier budget carbone de la France n’a pas été respecté, avec un dépassement cumulé estimé à 61 millions de tonnes équivalent CO2.

Si la France souhaite réellement réduire de 40 % ses émissions de GES d’ici à 2030 [2], des mesures très fortes doivent donc être prises.

Le Haut Conseil salue de nouvelles compétences accordées et de nouveaux objectifs forts

Le HCC salue tout d’abord « un fort accent » placé sur les mesures de pilotage et de conduite de la transition bas carbone. Plus concrètement, il s’agit des nouvelles compétences attribuées aux collectivités territoriales ; des nouveaux objectifs programmatiques fixés (le rythme de l’artificialisation des sols devra respecter l’objectif de ne pas dépasser la moitié de la consommation d’espace observée sur les dix années précédentes) ; ou encore des possibilités d’agir sur la mission et la composition de comités existants (comme les comités d’entreprise) afin d’y intégrer la dimension climat.

« Ces dispositions facilitent la mise en place de mesures ambitieuses, y compris dans des domaines non étiquetés climat mais essentiels à la réduction des émissions de GES, se réjouit le HCC dans son rapport. Néanmoins, elles n’engagent pas ni ne garantissent l’engagement des changements structurels nécessaires. Leur effet sur les prochains budgets carbone dépendra des actions concrètes prises par l’État et les collectivités territoriales. »

Le HCC estime que l’interdiction des vols intérieurs là où il existe une alternative bas carbone (comme le train) en moins de 2h30 est trop limitée. Cela ne représente que huit liaisons.

Le HCC relève également « une proportion élevée » de mesures dont la portée est réduite par des délais d’application allongés. L’instance consultative cite notamment l’article 60, relatif à la qualité des repas proposés dans les services de restauration collective publique, qui ne prévoit une extension à la restauration collective privée qu’à partir de 2025. Certaines mesures du projet de loi sont des expérimentations de pratiques déjà existantes (la mention « Oui pub » sur les boîtes aux lettres, ou la consigne pour le verre par exemple), mais elles ne sont pas destinées à être généralisées avant 2023. « S’il est compréhensible que des délais soient nécessaires pour le plein déploiement de certaines mesures, une trajectoire claire et prévisible doit être définie pour permettre l’adaptation des acteurs impliqués », juge le HCC.

Le rapport signale également des mesures dont les périmètres d’application sont restreints. L’article 4, visant à réguler la publicité, ne porte que sur les énergies fossiles alors qu’il pourrait s’étendre à d’autres biens et services incompatibles avec la transition, comme les véhicules polluants. Le HCC critique également l’article 36 visant à interdire les vols intérieurs là où il existe une alternative bas carbone (le train par exemple) en moins de 2 h 30 : cette situation ne concerne que huit liaisons, et n’aurait représenté en 2019 que 10 % du trafic de passagers aérien métropolitain. « Parce qu’elles ne s’appliquent qu’à une faible proportion des pratiques émettrices, l’ambition de ces mesures pourrait être largement rehaussée en élargissant leur périmètre d’application », estime le HCC.

Des mesures fortes aux champs d’application restreints

« Les mesures proposées dans le projet de loi vont dans le bon sens mais il n’offre pas suffisamment de portée stratégique, résume Corinne Le Quéré, la présidente du HCC. La valeur ajoutée des réformes proposées par rapport à l’existant est globalement peu lisible à l’intérieur de l’étude d’impact de la loi ; et leur inscription dans la stratégie nationale bas carbone — qui est la feuille de route de la France — n’est pas consolidée. On a vraiment besoin de ramener tout ça ensemble. »

Pour améliorer la qualité de l’étude d’impact, le HCC recommande donc d’expliciter systématiquement les hypothèses, méthodes et données retenues pour évaluer une mesure ; de discuter de la portée de certaines mesures qui seraient difficiles à évaluer ; ou encore de préciser la contribution de ces mesures aux objectifs fixés par la SNBC.

Le projet de loi sera débattu dans l’Hémicycle à la fin du mois de mars. Selon le Haut Conseil pour le climat, c’est là que tout se jouera, pour rehausser l’objectif de certaines mesures et agrandir leur périmètre d’application. « Quand des amendements seront proposés, nous recommandons qu’ils soient vraiment qualifiés par rapport à leur impact et quantifiés lorsque c’est possible », ajoute Corinne Le Quéré.

Une fois la loi promulguée, le HCC recommande également une mise à jour de l’étude d’impact pour guider la préparation des décrets d’application. « Il faudra aussi prévoir un dispositif de suivi et d’évaluation », poursuit Corinne Le Quéré. En clair : il reste du travail pour obtenir un projet de loi solide. Avant la mise en place de la loi, et surtout après. En attendant, le Haut Conseil pour le climat sera auditionné mercredi 24 février par la commission parlementaire spéciale chargée d’examiner le projet de loi, pour livrer cette expertise.

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