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EntretienLuttes

2 mois après la COP 21 : « Les mouvements sociaux sont le principal vecteur de changement »

Déjà oubliée, la COP ? Il y a deux mois, jour pour jour, l’Accord de Paris était signé dans l’enthousiasme des officiels. Il est trop tôt pour dire s’il a ou non changé la donne des politiques climatiques. Celles-ci dépendront de la pression de la société civile, explique l’ex-coordinatrice de la Coalition climat 21.

Juliette Rousseau était jusqu’à il y a quelques semaines la coordinatrice de la Coalition climat 21, qui a regroupé pas moins 130 organisations (associations, ONG, syndicats, mouvements de foi…) pour créer un élan citoyen en amont de la COP 21. Depuis la fin de la COP, elle reste « militante », comme elle dit.


Reporterre – Que va devenir la Coalition climat 21 ? Une réunion internationale des réseaux mobilisés pour la COP 21 était prévue mi-février à Berlin, qu’en est-il ?

Juliette Rousseau – La coalition continue d’exister même si on est dans une phase de redéfinition. La première étape, c’est que les organisations membres fassent un bilan en interne et définissent la suite de leurs priorités. Une nouvelle assemblée générale devrait se tenir courant mars au cours de laquelle on décidera de ce qu’il adviendra du mouvement, avec un changement de nom. La réunion internationale de Berlin prévue en février a été annulée. La fenêtre de tir, depuis les mobilisations de New York en septembre 2014 en passant par Lima et jusqu’à la COP 21, a été très importante. Toutes les organisations y ont mis beaucoup d’énergie. Là, on est dans une phase de reflux au niveau de la convergence, et on a besoin de faire le point. Je n’interprète pas du tout cette phase de reflux comme une faiblesse du mouvement ou une démobilisation générale. Aujourd’hui, l’enjeu c’est comment faire en sorte que les mobilisations qui se sont articulées autour de la COP 21 se dirigent vers des enjeux beaucoup plus concrets.


Alors comment utiliser l’élan des sociétés civiles né avant et pendant la COP 21 ?

En France, on a fait se rencontrer un certain nombre d’organisations et les liens qui se sont créés dans la dynamique de la COP 21 vont se renforcer. Il y a des convergences qui apparaissent, des dynamiques qui se resserrent. Une vingtaine de groupes locaux se sont créés. Les moments de mobilisation internationale comme la COP 21 sont aussi le début de trajectoires militantes. À l’issue d’une telle mobilisation, tous les militants qu’on n’avait jamais vus avant ont acquis des savoir-faire très intéressants.

Pour moi, l’enjeu de la COP 21 était d’utiliser ce moment galvanisant où on allait parler du climat pour faire se rencontrer les mouvements sociaux, créer de la convergence, engranger du savoir-faire, de l’expérience, organiser des actions dans la rue, etc. Ce n’était pas du tout de sortir avec un accord. Je ne suis pas désabusée, mais cela fait longtemps que j’ai choisi de mettre mon intérêt du côté des mouvements sociaux, qui sont pour moi le principal vecteur de changement. On a un vrai travail à faire pour connecter les discours qui sont faits sur le climat, comme à la COP 21, avec le potentiel politique des luttes. La responsabilité des organisations et des ONG au niveau international et national est de rappeler qu’à un moment les résistances locales sont les plus pertinentes pour parler de climat.

Quand on regarde ce qui se passe à Notre-Dame-des-Landes, la résistance n’a pas attendu que des organisations nationales la rejoignent. C’est à travers Notre-Dame-des-Landes ou les gaz de schiste qu’on entend encore parler de la COP 21. Le gouvernement français qui s’était découvert une vocation climatique pendant les quelques mois précédant la COP 21 est-il encore sur cette ligne ? On se rend compte que non.

La société civile assemblée lors de la grande manifestation parisienne du 12 décembre pour « avoir le dernier mot » après la conclusion de l’accord de Paris sur le climat.


La lutte de Notre-Dame-des-Landes sera-t-elle déterminante en 2016 ?

2016 passe clairement par Notre-Dame-des-Landes. On a besoin de victoires et cette lutte est potentiellement une victoire. C’est la lutte qui vient nous dire à quel point c’est important d’associer les gens qui vivent sur les territoires à la définition de leur territoire. Elle porte en elle des germes d’expérimentation sociale et fait preuve d’une maturité politique considérable. Les gaz de schiste vont être le deuxième marqueur, et les accords de libre-échange également.

Les grands rendez-vous de 2016 commenceront fin février à Notre-Dame-des-Landes puis à Barjac contre les gaz de schiste. Ensuite, il y aura le verdict dans le procès de 13 militants qui risquent la prison pour avoir bloqué l’aéroport d’Heathrow, une semaine d’action de désobéissance en mai, le Forum social mondial à Montréal et une mobilisation antinucléaire en octobre, avant la COP 22, au Maroc.

Comment jugez-vous les mesures qui ont été prises en France depuis décembre ?

Les mesures ? lesquelles ?

Fabius qui parle de supprimer les aides aux énergies fossiles ? L’indemnité kilométrique vélo ?…

Pour la suppression des aides aux énergies fossiles, cela va plutôt dans le bon sens, mais ce n’est qu’une déclaration. Quant à l’indemnité kilométrique vélo, quand on met cette mesure en miroir avec la réouverture d’un permis pour les gaz de schiste, la persistance à vouloir construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la somme de projets inutiles en voie d’être imposés en France… C’est bien, mais ce n’est absolument pas structurel. On reste sur une politique de l’écogeste et aujourd’hui, ce n’est pas de ça dont on a besoin.

Sur la question énergétique et sur les projets imposés, on voit que l’approche n’a pas changé. Les engagements pris à la COP 21 ne sont pas forcément incarnés dans la politique nationale. Et puis, il y a la dimension démocratique : on reconnaît toujours aussi peu la capacité des habitants d’un territoire à définir eux mêmes la façon la plus intelligente de vivre sur ce territoire. Face aux lieux où on a une résistance, comme à Sivens, à Notre-Dame-des-Landes, à Roybon, etc, on a un pouvoir complètement autiste, qui refuse d’entendre quoi que ce soit. Et à mon sens, ce déni démocratique est un très mauvais signal sur la faculté des pouvoirs publics à mener une transition écologique et sociale.

Laurent Fabius vient de quitter le gouvernement mais il reste président de la COP 21 : bon ou mauvais signal ?

Je n’ai pas du tout de réponse à ça. Je ne me suis même jamais posé la question. À titre personnel, je n’ai jamais eu aucun espoir sur l’action de Fabius.

On recense peu de bonnes nouvelles aussi depuis décembre sur le plan international…

L’accord de la COP 21 a été défini à Paris. Mais c’était une grande opération de communication, et on le savait déjà. Je ne me suis pas beaucoup intéressée à ce qu’il s’est passé depuis, je n’ai pas beaucoup d’espoir. Ce que je remarque, c’est que les bonnes nouvelles, les décisions politiques significatives sur le plan environnemental et climatique viennent toujours à l’issue d’une forte mobilisation sociale. C’est ça qui m’intéresse. Je n’ai absolument aucun espoir que nos gouvernements décident d’eux même de prendre les décisions contraignantes sur le plan économique.

Quoi qu’on dise sur l’accord de la COP 21, la conclusion est que s’il n’y a pas de mouvements sociaux qui contraignent les gouvernements à aller dans le sens d’une politique climatique, il ne se passera absolument rien.

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