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Climat

50 °C en 2050 : des Français se mesurent aux températures du futur

Afin de se préparer au futur climatique extrême, des volontaires ont participé à des expéditions scientifiques en conditions réelles en Arabie saoudite, Laponie et Guyane.

Trois traversées de l’extrême : dans la forêt équatorienne de Guyane, étouffante de ses 97 à 100 % d’humidité, sur les terres gelées de la Laponie finlandaise, fouettée par un vent glacial à -35 °C et dans le désert aride d’Arabie saoudite, sous 45 °C à l’ombre (jusqu’à 56 °C ressentis). Ce sont les milieux auxquels s’est confrontée une vingtaine de volontaires et explorateurs amateurs, dix femmes et dix hommes, lors de trois expéditions successives, d’une durée d’environ quarante jours chacune.

Une partie des volontaires de l’expédition sur les terres gelées de la Laponie finlandaise. © Melusine Mallender

Ce projet, baptisé Deep Climate et débuté en décembre 2022, visait à expérimenter en conditions réelles les capacités humaines d’adaptation en conditions extrêmes. « La notion d’extrême exprime un changement brutal par rapport à la normale, une perte de repères et une absence de stratégie d’adaptation, détaille Christian Clot, explorateur chevronné à l’origine du projet. C’est pourquoi nous n’avons travaillé dans ces milieux qu’avec des volontaires venus de France métropolitaine, pas habitués à ces territoires. »

Le 27 juin, à Paris, il avait donné rendez-vous à la presse avec d’autres membres de l’aventure, quelques jours après leur retour de leur troisième et dernière mission, dans le désert du Néfoud, au cœur de la péninsule arabique.

Mesurer l’activité du cerveau dans le désert

Derrière le défi sportif et le plaisir évident de se lancer dans ces explorations de l’extrême, l’équipe Deep Climate tient à justifier son projet par sa plus-value scientifique. « Il s’agit d’étudier les réactions physiologiques, cognitives et collectives d’êtres humains confrontés à ces milieux. C’est assez inédit d’étudier ça in situ, les chercheurs n’avaient jusqu’à maintenant aucune donnée de ce type », s’enthousiasme Christian Clot.

De fait, le changement climatique va plonger une bonne partie de l’humanité dans des conditions extrêmes et entraîner des populations entières dans l’inconnu quant à leurs facultés d’adaptation. Les niveaux de chaleur du désert saoudien pourraient, ponctuellement, être atteints en France lors des canicules des prochaines décennies.

Dans de nombreuses villes, y compris dans le nord du pays, les températures pourraient dépasser fréquemment les 40 °C et atteindre les 50 °C d’ici 2050. La situation est encore plus dramatique dans d’autres régions du monde, comme au Pakistan et en Inde, où le seuil des 50 °C a déjà été franchi ces dernières années et où la hausse à venir des températures pourrait rendre une partie de ces pays littéralement inhabitables pour l’être humain.

Les mesures prises durant l’expédition dans le désert d’Arabie saoudite sont précieuses : la France pourrait ponctuellement connaître de telles chaleurs d’ici plusieurs décennies. © Human Adaptation Institute / Lucas Santucci

Les explorateurs se sont donc employés à monitorer les effets de leur plongée brutale dans ce climat inhospitalier. Ils se sont soumis à une batterie de tests avant et après l’expédition et ont documenté en temps réel leur évolution au cours de leur traversée en suivant un protocole strict chaque jour : mesures glycémiques, électroencéphalogramme, mesure du rythme cardiaque, tests psychoémotionnels, tests sensoriels, etc. Une quarantaine de chercheurs issus d’une quinzaine de laboratoires associés au projet ont récupéré toutes ces données. Leurs analyses devraient aboutir à de premiers résultats d’ici à quelques mois.

« Je réfléchissais au ralenti »

En attendant l’objectivation par la science, le récit des volontaires offre un premier aperçu des difficultés d’adaptation dans de telles conditions. « La chaleur devenait obsédante, je réfléchissais au ralenti, avec des difficultés à rester lucide, témoigne Mathilde, 41 ans, l’une des “climatonautes” de l’expédition. C’est aussi délicat de cohabiter et de vivre en proximité avec les autres sans perdre patience dans de telles conditions. »

Le groupe qui a traversé le désert devait résister aux nuits chaudes, 25 °C en moyenne, sous des tentes souvent ensablées et pliées par des vents violents, puis lever le camp et marcher de 5 à 10 heures du matin, traînant et poussant dans les dunes des chariots de plus de 100 kg, jusqu’à ce que les températures écrasantes ne les contraignent à s’abriter sous leurs bâches pour le reste de la journée. « Marcher la nuit et dormir le jour n’aurait pas fonctionné : au-delà de 45 °C, le corps ne se repose pas vraiment. On ne pouvait récupérer que la nuit », précise Christian Clot.

L’explorateur Christian Clot et deux volontaires de l’expédition dans le désert saoudien. © Human Adaptation Institute / Lucas Santucci

L’aventurier trépigne dans l’attente des conclusions des chercheurs. La morphologie du cerveau et son fonctionnement ont été scrutés, entre autres paramètres cognitifs et physiologiques. Mais la dimension collective est peut-être la plus intéressante en vue d’une future politique d’adaptation.

« On a utilisé des sociomètres : des capteurs qui mesurent la proximité de chacun avec les autres membres du groupe et les moments de prises de parole. Il y a une grosse attente autour de ces données, car la sociométrie ne s’est jusqu’à présent faite que par observation, jamais avec des outils de mesure précis sur un temps aussi long », souligne l’explorateur.

Pour lui, « il y aura clairement une réflexion à avoir sur la manière dont le climat détermine les organisations sociales. Ne serait-ce que sur la manière dont cela influence la répartition horaire des tâches dans la journée. On constate aussi qu’un temps de crise facilite la coordination, autour d’un objectif commun. Dans l’attente ou l’incertitude, il devient plus difficile d’avoir une organisation cohérente du groupe ».

S’adapter par l’émerveillement

Vingt personnes qui traversent le désert ne constituent bien sûr pas une modélisation tout à fait pertinente d’une société confrontée au changement climatique. Mais l’équipe de Deep Climate, organisée autour du Human Adaptation Institute, veut croire que les connaissances inédites qu’ils contribuent à produire aideront les sociétés à gérer les changements radicaux qui nous attendent.

L’un des tests réalisés dans la forêt équatorienne de Guyane. © Human Adaptation Institute / Lucas Santucci

Deux certitudes ressortent déjà de ces expéditions, selon Christian Clot. D’abord, un processus d’adaptation est difficile à opérer « s’il n’y a pas d’émerveillement, de plaisir ». « C’est toujours en nous raccrochant à la beauté du milieu, ou en organisant des évènements sociaux comme une fête d’anniversaire, que nous avons pu surmonter psychologiquement l’hostilité des milieux », explique l’explorateur.

Ensuite, l’adaptation implique une « souplesse dans le système social » : « À l’échelle collective, on ne sort de l’instabilité et de la désorientation provoquées par les changements de condition du milieu qu’une fois que l’on devient capable d’imaginer et de désirer de nouvelles conditions, distinctes des conditions originelles disparues. Et ça implique de développer un nouvel imaginaire. »

Ces expéditions ont également un autre mérite, veut croire Christian Clot, celui de faire de ces volontaires des moteurs pour passer à l’action et lutter contre l’apathie. Car, répète l’explorateur, la mobilisation collective est aussi primordiale pour activer ce qui reste la première urgence dans l’adaptation : lutter pour limiter l’ampleur du changement climatique.

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