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ReportageClimat et quartiers populaires

À 20 ans, Féris Barkat porte l’écologie depuis les quartiers populaires

À 20 ans, Féris Barkat, cofondateur de Banlieues climat, est l’un des nouveaux visages des jeunes Français engagés pour l’environnement. Son souhait : permettre aux jeunes des quartiers populaires de s’émanciper par l’écologie.

Strasbourg (Bas-Rhin), reportage

« Alors, qui se sent prêt à aller parler changement climatique dans les écoles ? » En face de Féris Barkat, professeur du jour, trois mains se lèvent. En cette fin février, une dizaine de formateurs en herbe se sont réunis à Hautepierre, dans l’ouest de Strasbourg, pour peaufiner le déroulé des prochains ateliers à destination d’élèves de quartiers populaires. Une scène qui fait partie de la nouvelle routine de Féris Barkat, 20 ans et cofondateur de Banlieues climat.

Boule d’énergie au physique élancé, il a monté l’organisation en septembre dernier, sur les conseils d’Abdelaali El Badaoui, à la tête de l’association Banlieues santé. L’objectif : sensibiliser des jeunes de banlieue au changement climatique, puis les envoyer enseigner sur le sujet à leur tour. Pour l’instant, une seule promotion a été formée. Prémices d’un mouvement écolo au milieu des barres d’immeubles HLM ? Le fils unique d’une mère marocaine et d’un père d’origine algérienne y croit dur comme fer : l’avenir des cités passe par la lutte contre le défi climatique.

Pour Féris Barkat, ici en pleine formation à Hautepierre, l’avenir des cités passe par la lutte contre le défi climatique. © Christoph de Barry / Reporterre

C’est d’ailleurs ainsi que celui qui est né à Illkirch, commune du sud de Strasbourg, séduit et rallie à sa cause les plus ignorants de ces questions. Pas avec des discours prônant la réduction de la consommation ou l’interdiction de prendre l’avion, car dans les banlieues, on vit déjà, faute de moyens, cette sobriété forcée. Lui parle d’un rêve d’émancipation. Du désir de reprendre la main sur un quotidien souvent difficile en zone classée sensible. Il y a le besoin de penser « une autre écologie, ancrée dans la réalité sociale. Moi je ne parle pas des ours polaires, même si c’est important. J’essaie de rendre ça le plus concret possible », dit Féris Barkat, pull jaune pastel sur les épaules.

Concret comme la pollution de l’air par les usines et les incinérateurs de déchets, majoritairement construits aux abords des banlieues. Concret comme l’accès à une alimentation de qualité qui rime avec bonne santé — « ici, on n’a que des kebabs ». Ou concret comme offrir des opportunités professionnelles à une jeunesse exclue du marché de l’emploi.

Féris Barkat a passé une bonne partie de son enfance dans ce parc, en face de l’immeuble de son oncle, à Illkirch. © Christoph de Barry / Reporterre

S’émanciper des « lieux bannis »

Ce chemin vers cette « écologie émancipatrice », que le Strasbourgeois souhaite partager à tous les résidents des « lieux bannis » — quartiers comme villages isolés —, il l’a, lui aussi, récemment emprunté. C’est au cours de sa terminale dans le privé, en 2020, que le brillant lycéen a pour la première fois entendu le terme « changement climatique ».

À cette époque, il projetait de faire de grandes études, et avait même, dans ce but, décroché son entrée pour la prestigieuse London School of Economics (LSE). Mais cette plongée dans l’écologie a été une révélation : « Ça m’a ouvert les yeux une seconde fois, après l’école, sur le monde qui m’entoure », dit le jeune homme aux cheveux noirs.

Justice environnementale, climat, énergie… Féris Barkat ne savait plus où donner de la tête, tellement l’affaire lui semblait énorme. Submergé, il a décidé fin 2021 d’arrêter la LSE et de postuler au Collège citoyen de France, réservé aux acteurs du changement : « Je me suis dit : on m’a caché tout ça, tout ce temps… il faut que je le partage. »

Féris est « curieux et empathique », décrit son oncle, Kader Barkat. © Christoph de Barry / Reporterre

À la maison, le sujet n’avait jamais été abordé. Ni pendant ses années collège, où Féris s’est laissé un temps entraîner par les mauvaises fréquentations, s’inventant « une vie de racaille », concède-t-il, peu fier. En revanche, le garçon « curieux et empathique », décrit son oncle Kader Barkat, a toujours entendu ses parents parler de retourner à la campagne. Là où ses aïeux, que cela soit en France, dans le Haut-Rhin ou dans les montagnes berbères algériennes, mangeaient uniquement ce qu’ils produisaient.

« Avant d’atterrir dans ces cages à lapin, nous étions de simples paysans, qui respectaient la terre, relate Kader, ancien grutier, finalement peu étonné que son neveu ait choisi la voie de l’écologie. Aujourd’hui, on n’a pas le choix, le temps de la nature n’est pas celui de l’être humain. On compte sur eux pour sauver la planète ! » lance-t-il, accoudé à une table garnie de petits gâteaux.

Manque de reconnaissance

Dans la famille, les objectifs extrêmement ambitieux ont toujours été de mise. C’est cette recherche de l’excellence qui a permis à Féris Barkat, le dernier des quatorze cousins, de sortir du « filet » de la cité, selon le « tonton ». Une exception qui confirme la règle que l’on est cantonné à son quartier lorsqu’on y est né, que l’on est discriminé en fonction de son nom, de ses origines, de sa couleur de peau. Que l’on n’est jamais assez bien « pour la France », soupire Kader.

Conteur hors pair, celui-ci est d’ailleurs intarissable sur les histoires de feu le grand-père de Féris, un valeureux soldat, qui, malgré cinq guerres et quarante années au service de la France, n’a jamais eu « les honneurs qu’il méritait ». Et les lettres envoyées à Brigitte Macron n’y ont rien changé.

Ses amis Naël (à g.) et Antoine ont « tout découvert » de l’écologie à travers lui. © Christoph de Barry / Reporterre

« J’ai grandi avec ce manque de reconnaissance, avec l’idée qu’on me devait un truc, résume Féris Barkat. Mais en fait j’ai aussi eu la chance d’avoir l’exemple de gens qui se battent pour ce qui est juste. » Aujourd’hui, la justice se trouve dans l’écologie, dont il parle depuis trois ans à Naël et Antoine, amis depuis la primaire. Des copains qui n’y connaissaient rien : « On a tout découvert à travers lui. Dans nos milieux, personne ne nous parle de ça », dit Naël.

Aujourd’hui, ce dernier va devenir un formateur de Banlieues climat. Antoine, lui, est en train de monter son entreprise de réparation de trottinettes électriques. Lors de son déclic sur le changement climatique, Féris n’avait pas d’amis écolos : « Je les ai créés », se marre-t-il.

Sur TikTok, dans les écoles ou lors de formations, Féris Barkat tente de mobiliser les jeunes de quartiers populaires. © Christoph de Barry / Reporterre

« L’écologie devient une aventure »

Le jeune militant ne reste d’ailleurs jamais seul. Bien entouré, ce combat, il le mène aussi et surtout pour ceux et celles qui le soutiennent, qui croient en lui. Comme sa mère, atteinte d’une tumeur au cerveau, à laquelle Féris Barkat rend visite quotidiennement à l’hôpital. Cette situation, particulièrement dure, « me donne de la force. J’ai envie de lui montrer ce que j’accomplis », souffle-t-il.

Alors Féris Barkat cavale, engagé dans une course contre la montre climatique. Que ce soit dans les écoles, pendant des conférences comme les 14 et 15 mars derniers à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) ou sur TikTok, où il s’adresse à plus de 51 000 abonnées, il martèle la nécessaire adaptation des quartiers pauvres, « premières victimes » du réchauffement du globe. Entre autres projets, le Strasbourgeois planche actuellement sur une série de vidéos avec le mouvement On est prêt. Le 23 janvier, il était même à Matignon, où il représentait le CNR Jeunesse pour parler écologie à la Première ministre.

Féris veut montrer à sa mère, malade, tout ce qu’il accomplit. © Christoph de Barry / Reporterre

Là, Féris Barkat a réussi une belle prouesse : accrocher un public rarement intéressé par ces questions. « Il faut permettre l’identification par des références culturelles qui les touchent », juge le tiktokeur.

Pédagogue, il fait donc appel aux imaginaires mangas, à de célèbres youtubeurs et rappeurs. Les films de Miyazaki se mélangent alors aux histoires de Naruto et de One Piece, en passant par Zamdane, artiste marseillais, ou encore Inoxtag, youtubeur suivi par 6 millions de personnes. « Dans les mangas, la nature a beaucoup de place. Et souvent, celle-ci se venge quand les humains ne la respectent pas. C’est un bon parallèle avec ce qui se passe », avance l’activiste.

Et de poursuivre : « Ensuite, on peut s’identifier aux personnages. Au début, ce sont toujours des ratés qui n’ont pas la vie facile. En gros, rien ne va pour eux, mais ils donnent tout pour accomplir leur mission. En prenant ces exemples, l’écologie devient une aventure ! » Quand, petit, il se rêvait de devenir footballeur pro, « je pensais que j’étais Naruto ! J’étais myope, j’avais l’impression d’être nul, mais je continuais à y croire ». Quelques années plus tard, si la détermination reste inflexible, l’objectif de vie a, lui, changé. Grâce au pouvoir de l’information, Féris Barkat veut mobiliser ceux « qui à la base n’en avaient vraiment pas envie ». Pour ensemble, engager une révolution verte dans les quartiers.


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