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Défier l’Everest est devenu une attraction pour millionnaires

Inoxtag a prévu d’escalader sept sommets avant de s’attaquer à l’Everest.

Le youtubeur Inoxtag a annoncé vouloir se lancer dans l’ascension de l’Everest en 2024 sans avoir jamais fait d’alpinisme. Surfréquenté, le « toit du monde » est devenu un passe-temps pour touristes fortunés.

« Un entraînement de toute une vie que je dois faire en un an. » Le 25 février, dans un live célébrant ses 6 millions d’abonnés sur YouTube, le vidéaste Inès Benazzouz, plus connu sous le nom d’Inoxtag, a présenté à ses fans le « plus grand défi de sa vie », qu’il compte bien documenter sur sa chaîne : l’ascension du mont Everest en 2024, sans avoir la moindre expérience en alpinisme. Un symbole de ce qu’est devenu le plus haut sommet du monde, à la frontière entre le Népal et la Chine : une victime de plus du tourisme de masse.

Inoxtag devrait gravir l’Everest au printemps 2024. Capture écran YouTube/Inoxtag

Entre 1953, année où l’être humain l’a vaincu pour la première fois, et 1993, seules 522 personnes, pour la plupart des montagnards chevronnés, ont réussi l’ascension du « toit du monde ». Aujourd’hui, ils sont 6 338. Avant même d’atteindre le sommet, 40 000 personnes se massent désormais chaque année au premier camp de base, à 5 300 mètres d’altitude. Le public a changé : les habitués de la montagne y côtoient des néo-aventuriers, venus s’offrir le frisson d’une vie.

Car pour les amateurs de sensations fortes, l’Everest présente un double avantage : être le point culminant de la planète, à 8 848 mètres au-dessus de la mer, ce qui rend automatiquement sexy sur un CV, et ne pas présenter d’immenses difficultés techniques. Bien sûr, il faut affronter la « zone de la mort », au-delà des 8 000 m, mais son taux de mortalité, inférieur à 3 %, est bien en deçà de ceux des monts K2 (à la frontière sino-pakistanaise) ou de l’Annapurna (Népal), tous deux supérieurs à 20 %.

Un passe-temps pour millionnaires

Moins mortelle, l’ascension de l’Everest est aussi devenue accessible grâce à des agences de tourisme peu regardantes sur les aptitudes de leurs clients. Elles prennent tout en charge : l’acquisition du permis (11 000 dollars), les bouteilles d’oxygène, le voyage en avion, mais aussi la mise à disposition de sherpas, des guides locaux chargés de leurs affaires et de placer les échelles et les cordes indispensables à la bonne réussite de l’ascension.

« Ce n’est plus de l’alpinisme, déplore Isabelle Sacareau, professeure de géographie à Bordeaux-Montaigne, spécialiste du tourisme et de l’Himalaya. Les touristes peuvent arriver au sommet, mais portés comme des sacs de patates. » En contrepartie des petits soins des sherpas, les voyageurs doivent mettre la main à la poche : au total, le périple revient au minimum à 50 000 euros, souvent plus. Le projet d’Inoxtag devrait même lui coûter de « 600 000 à 1,2 million d’euros », de son propre aveu. Plus qu’une performance physique, l’ascension est devenue un passe-temps pour millionnaires.

« C’est une aberration de commercialiser l’Everest »

Si le Népal fixe quelques conditions avant de tenter l’Everest, comme le fait d’avoir déjà gravi un sommet de plus de 7 000 m, il supervise ce business florissant avec un œil bienveillant : le tourisme autour du toit du monde représente chaque année 4 % du revenu national brut du pays. « C’est une aberration de commercialiser l’Everest, regrette Marc Batard, qui a réussi la première ascension du mont en moins de 24 heures, en 1988. Mais c’est un phénomène qu’on voit depuis longtemps : à Chamonix, il y a aussi des gens qui veulent mettre le mont Blanc à leur palmarès, même si c’est la seule montagne qu’ils vont faire dans leur vie. »

Une poubelle à ciel ouvert

La fréquentation de l’Everest est désormais telle que, lors des fenêtres météos favorables, des embouteillages se créent sur la route du sommet. Ces files indiennes représentent un danger mortel : en retardant l’avancée des alpinistes, elles augmentent le risque de se faire piéger, parfois mortellement, par les intempéries.

En s’entassant sur les cimes himalayennes, les visiteurs y amoncellent aussi les ordures. À proximité des camps de base, des canettes, des bouteilles ou du matériel d’escalade abandonné jonchent le sol. La situation a forcé le gouvernement népalais à réagir et depuis 2014, chaque voyageur doit revenir de l’Everest avec 8 kilos de déchets. Ce qui ne suffit même pas pour pleinement endiguer la pollution sur place : en 2019, l’alpiniste française Marion Chaygneaud-Dupuy expliquait avoir redescendu du sommet, lors de son initiative Clean Everest, 8,5 tonnes de déchets, dont une grande partie d’excréments humains congelés.

« C’est forcément choquant, car c’est une montagne symbolique, souvent associée à la pureté, insiste Isabelle Sacareau. Mais je suis plus choquée par la pollution immonde de Katmandou [la capitale du Népal] ou des villages alentour, et peu de jeunes écologistes viennent s’occuper de ces zones-là. Bizarrement, on est plus prompts à nettoyer l’Everest. » Dont le pouvoir d’attraction opère décidément sur tout le monde.

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