A Athènes, des jeunes redécouvrent les maisons d’argile

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Habitat et urbanismeLa Grèce, c’est la crise, d’accord. Mais aussi une formidable vitalité pour trouver les alternatives. Tel le réseau de fabrication de maisons en argile, selon la technique du « cob ».
- Reportage, Athènes
A deux pas de la place Syntagma, propre et sage face au Parlement grec toujours debout, j’entre dans une jolie zone piétonne, dont la longue rue principale est bordée de boutiques, galeries marchandes, cafés-restaurants. Les promeneurs, athéniens ou étrangers, sont nombreux et les éclats de voix retentissent dans la chaleur encore supportable de la fin de matinée. Nous trouvons une terrasse à l’ombre d’une petite rue pavée, après avoir cherché un lieu pouvant nous servir un café grec traditionnel – ce qui, me dit Panayiotis, devient de plus en plus rare. « La plupart des jeunes Grecs se fichent un peu des usages traditionnels. »
Panayiotis Paraskevopoulos a changé de vie il y a six ans en rencontrant le groupe Cob GR. Celui-ci réunit un petit nombre de jeunes écologistes grecs dont la vocation est de transmettre et de diffuser la technique du « cob ». Le terme, qui ne trouve pas de traduction précise en français, désigne en anglais une construction à partir de terre et d’eau, qui n’utilise ni formes pré-définies, ni briques, ni structures de bois. Le cob est composé essentiellement d’argile, de sable et de paille. En le mélangeant avec un peu d’eau, on obtient un matériau entièrement naturel et très façonnable. Sur l’ensemble de la planète et depuis des milliers d’années, l’homme utilise cette technique pour s’abriter, notamment parce que l’argile se trouve en quantité dans nombre de régions du globe.
A la fin des années 70, elle a été redécouverte en Occident par des écologistes qui cherchaient comment bâtir leur habitat en harmonie avec leur environnement ; d’abord en Angleterre dans le comté de Devon, puis par le Cob Cottage Company dans l’état d’Oregon aux Etats-Unis (voir Networkearth). Ils ont adapté le procédé à nos contrées pluvieuses. « Les maisons de cob ont besoin de bottes et d’un chapeau ». On utilise donc des pierres pour construire les fondations, trente centimètres sous la surface du sol, trente centimètres au-dessus. Le toit est en bois, souvent couvert de terre pour y faire pousser des plantes.
Le groupe grec, lui, existe depuis 2006. Basé à Athènes, il organise dans toute la Grèce des stages au cours desquels les participants apprennent à manier le cob. Entre mars et octobre, via son site Internet, il en propose un ou deux par mois. Les formations étaient d’abord gratuites, Panayiotis et ses camarades étant plutôt partisans de la transmission libre du savoir. Cependant, beaucoup de personnes venaient qui n’étaient pas vraiment intéressées et il était difficile de maintenir une ambiance de travail. Une participation aux frais de 70 euros est désormais demandée, comprenant la nourriture. Les stages durent trois jours. Cela ne suffit pas pour construire une maison en cob mais l’objectif, plus que la construction finale elle-même, est la transmission et la diffusion de la technique, ainsi que l’invitation à travailler ensemble.

Une cuisine extérieure en cob
Ils ont lieu chez des particuliers ou sur le terrain de collectivités administratives, qui fournissent la matière première et l’espace pour le logement. Ne me trouvant pas en Grèce au bon moment pour pouvoir y participer, Panayiotis me raconte comment cela se déroule. On pétrit le cob en marchant – ou dansant ! – dessus en groupe. Cette étape, qui a souvent lieu en musique, est devenu comme un rituel d’ouverture. Puis on utilise beaucoup les mains. On les met à la pâte et, sous la forme de pains, on se fait passer le cob pour bâtir, couche après couche, des structures telles que des fours, des bancs, des établis d’extérieur. La flexibilité du matériau rend la manœuvre très créative.
Les stages accueillent chaque fois une cinquantaine de personnes. Ils offrent aussi des temps de formation théorique et les repas végétariens et soirées partagés. Si les étudiants en architecture ou en ingénierie sont nombreux, ils attirent aussi des Grecs de tous les âges et de tous les milieux. Ils représentent une expérience globale, dont la dimension humaine est fondamentale. La rencontre, l’amusement et l’humour sont les mots d’ordre des organisateurs qui cherchent à mettre tout le monde à l’aise et à faire tomber, le temps de ces week-ends sortant de l’ordinaire, les masques sociaux qu’ils considèrent comme des barrières artificielles.

Maison en cob en construction lors d’un stage
Panayiotis avait 32 ans quand il a intégré Cob GR en 2007. Sa vie consistait à faire le tour du monde à coups de « classe affaires » en tant que responsable commercial pour différentes entreprises. Il venait de faire construire une impressionnante maison de trois étages à l’aplomb d’une colline plongeant sur la mer, à Halkida, ville résidentielle au nord-est d’Athènes. « Il a sans doute fallu que j’aille jusque là pour me rendre compte que tout ça ne représentait rien, et commencer à me poser des questions. Qu’est-ce qui m’importait vraiment dans la vie ? » Il a abandonné son travail et s’est investi de plus en plus dans la transmission et la construction des maisons d’argile.
A travers leurs stages, Cob GR invite les gens à se demander comment vivre de façon plus autonome, prendre en main leur habitat, leur alimentation, faire le choix de travailler moins, gagner moins d’argent, et faire plus de choses par eux-mêmes. Et lorsqu’ils construisent des maisons (sur des ateliers d’une quinzaine de jours, une ou deux fois par an), leur surface n’excède pas 40 mètres carrés, parce qu’ils cherchent à répondre aux besoins réels et non créés – nous sommes en Grèce, où l’on peut vivre à moitié dehors une très bonne partie de l’année.
La diversité de ceux qui viennent vers eux leur montre que la population veut parler de tout cela, que petit à petit, elle est curieuse de savoir comment vivre autrement. Ce phénomène a commencé avant la « crise », ne l’a pas attendue, et n’attend pas sa solution. Selon Panyiotis, la surmédiatisation à ce propos est surtout destinée à effrayer la population et à lui faire croire qu’aucun autre système n’est possible. Pour lui et les personnes qui l’entourent, s’il y a crise et qu’un système s’effondre, là se trouve l’opportunité d’un changement. Comme à l’hiver succède le printemps, alors qu’une chose est en train de mourir, un autre peut-être est doucement en train de naître.
Quelques heures plus tard, je rencontre Nikolas à Exarchia, le « quartier politique » d’Athènes. S’y retrouvent des militants proches de la gauche parlementaire aussi bien que des anarchistes radicaux, des autonomistes, des écologistes.
Lui a entendu parler des maisons en cob en 2008, non pas par le groupe Cob GR, mais par le biais d’une amie québécoise. Il était déjà engagé dans la résistance créative, proche des idées du réseau Do it yourself (« Fais-le toi-même »), auquel d’ailleurs il préfère l’expression Do it together (« Faisons-le ensemble »). Avec une équipe d’architectes, ils se sont alors lancés dans la construction d’une maison d’argile dans un jardin squatté du centre de la ville, à Exarchia, qu’ils étaient également en train de créer à la place d’un ancien parking. Arracher des fleurs au bitume, dans la ville d’Europe qui compte le plus faible pourcentage d’espace vert par habitant, n’est pas tâche aisée. Le lieu existe aujourd’hui, non ignorant des difficultés liées à la notion d’ « espace libre » et de fonctionnement horizontal.
Nikolas et ses camarades sont très attachés à l’idée du partage libre de la connaissance. Ils ont donné quelques stages d’initiation à la technique cob, en ne demandant aucun frais de participation. Ils projettent d’en organiser de nouveaux, mais parce qu’ils veulent que ces formations soient entièrement gratuites, il est plus compliqué de les mettre en place. « On en fera d’autres… quand une bonne opportunité se présentera. On pense aussi à construire des maisons d’argile chez des particuliers et être payés pour notre travail, mais on refuse que la transmission du savoir soit liée à l’argent, ou à quelconque organisation commerciale. Et en attendant, il reste de nombreuses batailles à mener » me dit-il avant de se lancer dans l’histoire du retour aux semences naturelles, Kokopelli à l’appui.
Malgré la divergence de leurs points de vue sur la façon de procéder, l’un et l’autre de mes interlocuteurs n’attendent rien des partis ou des grandes organisations politiques, mais placent leurs espoirs directement dans leurs concitoyens. Ils pensent qu’un changement de société passera par l’éveil de chacun à la question environnementale, profondément liée à sa propre liberté.