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Pêche

À Brest, les agents de l’OFB sacrifiés par l’État

Manque de moyens, manque de perspectives... Le mal-être règne à l'OFB de Brest depuis des années.

« Il y a un phénomène d’usure », témoigne un ancien agent de l’Office français de la biodiversité de Brest. L’incendie de leur local par des pêcheurs en colère a augmenté le mal-être plombant cet organisme délaissé par l’État.

Brest (Finistère), reportage

Dans la nuit du 30 mars dernier, la « Capitainerie », le bâtiment principal de l’Office français de la biodiversité (OFB) de Brest, était incendié par près de 300 fusées de détresse. Elles avaient été tirées par des pêcheurs en colère à l’issue d’une manifestation tendue. Près de quatre mois après l’incendie, les employés brestois se serrent toujours dans le deuxième bâtiment, indemne. Le responsable du site est parti — sans que le lien avec le drame ne soit établi — et non remplacé.

Siège historique de feu l’Agence des aires marines protégées, le lieu est un symbole de la protection de la vie marine. Le bâtiment, construit en 1902 et rénové en 2011, abritait l’un des cinq sites nationaux de l’OFB qui est sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et du ministère de l’Agriculture. Son incendie a porté un rude coup à ses agents, qui ont notamment pour mission de contrôler le bon état des écosystèmes et d’accompagner les marins-pêcheurs afin de réduire les effets de leurs activités sur la biodiversité. « Le lieu était délaissé depuis quelques années et manquait d’entretien. Le fait qu’il ait été sacrifié ainsi lors de la manifestation, c’est l’acte final de son abandon », dit Charles [1], qui vient de quitter l’institution après de longues années. « Mon souhait le plus cher est que le bâtiment ne soit pas seulement reconstruit mais agrandi. Sauf que, vu le manque de considération du gouvernement envers l’OFB, je n’y crois pas. »

Aucun membre du gouvernement n’a franchement condamné l’incident. @ Fred Tanneau / AFP

Ces dernières semaines chaotiques pour l’entité marine de l’Office national n’ont en effet fait qu’accentuer le mal-être qui règne sur le site breton depuis des années, avec des causes multiples. « Je n’aimerais pas être un agent de l’OFB, résume Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’ONG de protection des océans Bloom. Ils sont coincés entre, d’un côté, la pseudo protection claironnée par le gouvernement, et de l’autre, le fait que tout est à peu près autorisé dans les aires marines protégées, la pêche industrielle en particulier. » Sylvain Michel, représentant syndical CGT à l’OFB, abonde : « Soyons francs : les moyens actuels permettent tout juste de contrôler les pêcheurs à pied et les plaisanciers, mais pas les chalutiers au large. »

« Je ne me reconnais plus dans les missions qui m’ont été confiées »

Cet écart entre les discours écolos et la réalité des faits a été douloureusement visible à la suite de l’incendie. Celui-ci était prévu : la police savait ce qui allait arriver, la direction a conseillé aux agents de rester en télétravail. Et le jour même ? « Tout le monde a pu voir qu’il y avait juste une dizaine de membres des forces de l’ordre se tenant à distance », dit Sylvain Michel. Les lendemains ? Aucun membre du gouvernement n’a franchement condamné l’incident. « Le soutien a été exprimé du bout des lèvres de la part d’Hervé Berville, le secrétaire d’État à la mer, et des représentants des pêcheurs », regrette Sylvain Michel. « Même Christophe Béchu n’a fait aucune déclaration à la presse. »

Et les mois suivants ? Le siège breton, qui compte une centaine d’employés, n’a plus que soixante-dix places actuellement. Les agents devront attendre octobre pour s’installer, provisoirement, dans un autre bâtiment loué non loin. « Nous réclamons un poste de chargé de logistique pour le site en vain », dit Sylvain Michel à Reporterre. « Nous sommes la seule implantation de cette envergure à l’OFB dénuée de chargé de logistique, alors que nous avons les conséquences d’un incendie à gérer et un déménagement à réaliser. »

L’incendie du bâtiment a porté un rude coup aux agents de l’OFB, qui ont notamment pour mission de contrôler le bon état des écosystèmes et d’accompagner les marins-pêcheurs afin de réduire les effets de leurs activités sur la biodiversité. © Sdis 19

« Dans mon cas, et je ne suis pas le seul, il y a un phénomène d’usure et d’accumulation et je ne me reconnais plus dans les missions qui m’ont été confiées », assure Charles, l’agent récemment parti. « Je vois un collectif de travail sur la mer qui se disloque et des conditions de travail sur le site de Brest qui se sont dégradées. » Contactée, la direction de l’OFB n’a pas pu répondre à Reporterre « en raison du poste vacant à la direction du site de Brest ».

« Les moyens alloués à l’OFB ne lui permettent pas de mener ses missions à bien »

Les agents rencontrés à Brest sont unanimes : leurs actions en mer sont désespérément limitées. D’autant que les relations avec les pêcheurs ont, selon eux, encore régressé depuis l’incendie. À Reporterre, Solenne Le Guennec, la coordinatrice du comité des pêches du Finistère, assure « qu’il n’y avait pas de problème avec l’OFB » et juge « déplorable » l’incendie. Elle « regrette » mais « ne sait pas exactement ce qui s’est passé », rappelant qu’une enquête est en cours.

Au lendemain de l’adoption de la loi sur la restauration de la nature votée par le Parlement européen, la question de la protection (réelle) des aires marines protégées n’a toujours pas été réglée. « J’estime que les moyens alloués à l’OFB ne lui permettent pas de mener ses missions à bien dans le domaine maritime », dit à Reporterre une représentante CGT au Conseil national de la mer et des littoraux (CNML).

Bien que l’OFB parvienne parfois à infliger des amendes importantes comme en Corse ou récemment en Bretagne, celles-ci restent cantonnées à des infractions commises sur terre.

« On tord les engagements pris au niveau européen pour prétendre que l’on a des aires strictement protégées alors qu’on continue d’y autoriser tous les types de pêche », explique Sylvain Michel. « L’OFB mer, c’est environ 150 personnes [sur 2 800 au total à l’OFB] pour 11 millions de kilomètres carrés de surface maritime. Le ratio parle de lui-même », continue Charles. La France, qui possède pourtant la deuxième surface d’aires marines protégées au monde, a donc une responsabilité à assumer sur le sujet et pas seulement en matière de communication.

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