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Libertés

Une semaine après l’incendie, le désarroi des agents de l’OFB

L’incendie de l'OFB à Brest, le 31 mars, a fortement affecté les personnes travaillant sur le site en partie détruit.

Après avoir été la cible des pêcheurs en colère, l’Office de la biodiversité a été incendié à Brest. Des voix s’élèvent contre le laisser-faire de la police.

Granville (Manche), correspondance

« Une cellule psychologique avait été annoncée, mais au final, la psychologue de l’OFB est venue une seule journée ici. » Une semaine après l’incendie qui a ravagé le bâtiment de l’Office français de la biodiversité (OFB) à Brest, cette confidence d’un agent, resté anonyme, traduit bien le sentiment général actuel au sein du pôle marin de l’Office. Si quelques associations [1] ont soutenu les salariés de l’OFB, les politiques ont en revanche été plus rares et la grogne monte face à cette absence de prises de position, notamment au sommet de l’État. « Hier encore [le 6 avril], le préfet a beaucoup mieux protégé sa préfecture des manifestants contre la réforme des retraites », lâche un autre agent, toujours anonyme. Les agents du pôle mer de l’OFB à Brest, eux, n’ont pas le sentiment d’avoir été soutenus.

Pourtant, la semaine a été rude pour eux. Le 31 mars, au lendemain d’une manifestation de pêcheurs inquiets pour l’avenir de leur filière — qui rassemblé près de leur bâtiment environ 700 travailleurs de la mer —, un incendie a dévasté leurs bureaux. « Le responsable du site a donné le chiffre de 300 fusées de détresse tirées sur notre bâtiment le 30 mars, déplore Sylvain Michel, représentant syndical à l’OFB. Il y en a eu des dizaines voire des centaines, dont certaines directement sur notre bâtiment, en plus d’un feu allumé en face. »

Vers 6 heures du matin, les combles ont brûlé, mobilisant 29 sapeurs-pompiers et 6 marins-pompiers de la ville bretonne. © DR

En plus de ce déchaînement de projectiles, un incendie s’est déclaré le lendemain dans ce bâtiment emblématique de Brest, qui est l’ancienne capitainerie du port datant de 1902 et fut le siège de feue l’Agence des aires marines protégées. Vers 6 heures du matin, les combles ont brûlé, mobilisant 29 sapeurs-pompiers et 6 marins-pompiers de la ville bretonne. La toiture étant entièrement détruite, l’eau utilisée pour enrayer les flammes a endommagé le deuxième étage du bâtiment. Le rez-de-chaussée, lui, où sont notamment situés les systèmes informatiques et les bases de données de l’administration, a vu son sol recouvert d’eau.

Si l’enquête judiciaire ouverte par le parquet de Brest devrait déterminer la cause de l’incendie, beaucoup de voix s’élèvent en interne sur un laisser-faire des forces de police face au mitraillage en règle lors de la manifestation du 30 mars. « Visiblement, la police n’a pas cherché à s’opposer et a même reçu l’ordre de laisser faire, fait savoir un autre agent de l’OFB, sous couvert d’anonymat. C’est clairement ce que le préfet a dit à l’un de mes collègues qui était sur place lundi matin [le 3 avril]. Une dizaine de policiers étaient présents lors de la manifestation et avaient ordre de ne pas intervenir tant qu’il n’y avait que des dégâts matériels. Heureusement, personne ne se trouvait à l’intérieur ! » Selon la même source, les dégâts liés à l’incendie sont pour l’instant estimés à environ 3 millions d’euros.

Au moins plusieurs dizaines de fusées ont été ramassées sur le site de l’incendie. © DR

« Le secrétaire d’État devrait nous soutenir »

L’incendie a fortement affecté les trente-huit personnes travaillant sur le site en partie détruit. Mais le soir même, une longue lettre du secrétaire d’État à la mer, à l’attention des professionnels de la filière pêche, n’a pas manqué de renforcer les tensions. « Hervé Berville a clairement attisé la colère des pêcheurs à notre égard, juge Sylvain Michel. On leur a fait croire que beaucoup de choses allaient être interdites l’année prochaine, alors que ce n’est absolument pas le cas. »

En plus de n’avoir aucun mot au sujet des violences à Brest, Hervé Berville a notamment assuré aux pêcheurs son opposition à une « interdiction générale et absolue des engins de fonds mobiles dans les zones Natura 2000 et les aires marines protégées » et au plan cétacés décidé par le Conseil d’État. « C’était violent pour les collègues, cela remet en cause tout leur travail depuis tant d’années, déplore Sylvain Michel. Il y a une grande incompréhension, car nous n’avons jamais travaillé contre les pêcheurs, mais plutôt avec eux dans le but de rendre leur activité plus durable. »

« Ne cherchez plus le coupable du chaos et de la misère des pêcheurs, on l’a trouvé »

Bien que l’OFB ait diffusé un message de soutien à son personnel et que Denis Charissoux, le directeur général par intérim, soit allé à Brest, cela ne semble pas suffire sur place, selon plusieurs témoignages recueillis. « Nous attendons un peu plus de notre direction, notamment une réaction de protestation envers le ministère de la Mer, confirme Sylvain Michel. Le secrétaire d’État devrait nous soutenir et être solidaire des missions qui nous sont confiées. Même si nous ne sommes pas sous sa tutelle, il ne devrait pas s’opposer à notre action comme il l’a fait ces dernières semaines. Plusieurs collègues ont exprimé lors d’une réunion sa grosse part de responsabilité dans ce qui s’est passé ici. »

Sur Twitter, la présidente de l’ONG Bloom pour la conservation des écosystèmes marins, Claire Nouvian, a réagi en désignant elle aussi les déclarations d’Hervé Berville comme étant la source de la colère des pêcheurs — et donc l’incendie de Brest —, en fustigeant « les mensonges pyromanes » du secrétaire général de la mer et sa « responsabilité énorme ». Et de conclure : « Citoyennes, citoyens, ne cherchez plus le coupable du chaos et de la misère des pêcheurs, on l’a trouvé. »

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