Reportage — Déchets nucléaires
A Bure, les opposants aux déchets nucléaires ont gagné leur pari et réoccupé la forêt

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Déchets nucléairesSous le soleil, près de 500 manifestants ont réussi à Bure à occuper samedi 16 juillet la forêt où l’Andra veut commencer des travaux. Lundi en fin d’après-midi, les occupants ont décidé de la quitter d’eux-mêmes.
- Actualisation - Mardi 19 juillet 2016, 11 h - Lundi en fin d’après-midi, après « un grand repas festif », les occupants de la forêt ont décidé de la quitter, opérant un « repli stratégique ». Enjeu : ne pas s’exposer à des violences stériles, réfléchir à la suite, lancer des actions ponctuelles, par exemple auprès des sous-traitants de l’Andra, tels que les entreprises Vichard Frères, à Suzannecourt, ou Cattanéo, à Bar-le-Duc.
- Actualisation - Lundi 18 juillet 2016, 18 h - A 16 h, la centaine d’opposants à Cigéo qui occupait le bois Lejuc n’avait toujours pas été expulsée par les forces de l’ordre. Elle n’a toutefois pas réussi à empêcher les travaux. Michel (prénom changé), un activiste présent sur place et joint au téléphone, décrit un "ballet incessant d’engins de chantier" dans la forêt. Les équipes de bûcherons déjà à l’oeuvre sont protégées par des gendarmes mobiles et des vigiles.
"Nous prenons acte de la reprise des travaux et nous sommes conscients que l’occupation, pour chouette qu’elle soit, ne suffit plus", admet Michel. En conséquence, les activistes ont légèrement changé de tactique. Ils lancent désormais plusieurs actions simultanées visant à bloquer les flux d’engins et à harceler les équipes pour les empêcher de travailler. "Un groupe est allé bloquer une usine de sous-traitance située à Joinville, à une vingtaine de kilomètres de Bure, qui fournit des engins de chantier à l’Andra", décrit Michel. Qui envisage cette soirée de lundi avec "sérénité" : "Nous restons préparés à une éventuelle intervention des forces de l’ordre mais pour le moment nous sommes là, nous avons réussi notre pari. Et nous pensons que notre résistance très ferme de ce week-end a pu avoir un effet dissuasif."
Pour preuve de cet optimisme, les opposants ne manquent pas d’idées pour la suite de la mobilisation. Un collectif de Naturalistes en lutte du Bois Lejuc, , à l’image de celui de Notre-Dame-des-Landes, va être lancé samedi 23 juillet. "Ils se chargeront de réaliser des inventaires de la faune et de la flore pour essayer de ralentir les travaux", explique Michel. Enfin, un nouveau temps fort de mobilisation est envisagé les 13 et 14 août.
- Bure (Meuse), reportage
La Maison de la résistance, à Bure, n’avait sans doute jamais vu autant de monde. Samedi matin 16 juillet, c’est près de 500 personnes qui s’y retrouvaient. Objectif : aller occuper le bois Lejuc, situé sur la commune voisine de Mandres-en-Barrois, où l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) veut commencer des travaux préparatoires au complexe Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires.
Sous un soleil radieux, la colonne de manifestants gravissait la colline à travers champs, parvenant au bois Chaufour d’où l’on surplombe le bois Lejuc. En bas du chemin, un barrage de policiers. La colonne descendait sereinement.

La confrontation avec les gendarmes - un escadron de la gendarmerie mobile de Strasbourg - s’engage, jets de projectiles par des manifestants cagoulés contre tirs de grenades lacrymogènes. Disposés à la lisière du bois, les gendarmes cherchaient à empêcher les manifestants de pénétrer le bois, où se trouve une plate-forme de chantier installée par l’Andra.

Mais le bois fait plusieurs centaines de mètres de long, et peu à peu, les manifestants s’égaillaient tout au long de la lisière. La ligne des gendarmes s’étirait, mais les 72 hommes ne pouvaient contenir l’entrée dans le bois.

La foule pénétrait dans le bois, les gendarmes se retiraient sur leur position initiale, contrôlant la petite route d’entrée conduisant à la plate-forme. A leur propre surprise, les occupants avaient atteint leur objectif : réoccuper la forêt ! Dans l’après-midi, leur centre d’information, vmc.camp envoyait un message : « A Bure, bois de Mandres partiellement reconquis !! Besoin de monde à nouveau, de matos, de bouffe, que les gens viennent construire et dormir cette nuit et toute la semaine. »
Mais entre les arbres, la bataille s’engageait, la vingtaine de vigiles engagés par l’Andra pour protéger sa plate-forme attaquant les occupants à coups de battes de base-ball ou de manches de pioche. Les gendarmes semblaient les laisser agir pour intervenir ensuite. Des tirs de grenades et de lanceurs de balle de défense s’échangeant avec des jets de pierre. Selon vmc.camp, six manifestants ont été blessés par les vigiles et trois autres par les flash-balls. Quatre personnes ont de surcroît été interpellées et gardées à vue.
La situation se stabilisait cependant, gendarmes et vigiles ne parvenant pas à reprendre le contrôle du bois. Les manifestants s’organisaient dans la forêt, aménageant une clairière, installant des postes en hauteur sur quelques arbres, édifiant des barricades de branchages et rassemblant des pierres.

La soirée se déroulait calmement, une cantine mobile vegan (et délicieuse !) venant ravitailler la centaine de personnes restées pour la nuit. Une nuit anxieuse, cependant, puisque l’on pouvait penser que les gendarmes interviendraient à l’aube du dimanche. Mais rien ne se passait alors, et la matinée s’écoulait dans une attente indécise.

En début d’après-midi, alors que l’assemblée générale se tenait, les gendarmes rentraient dans le bois. Leur but : faire entrer un engin de chantier pour dégager les barricades. Les affrontements reprenaient, dans le bois et en lisière de forêt, sous un soleil éblouissant.

Mais face à des opposants déterminés, comportant des « autonomes » ne reculant pas devant la confrontation, la situation semblait indécise, avant que les gendarmes ne finissent par reculer et revenir à l’entrée du bois, jugeant sans doute que leur nombre - un escadron compte 72 hommes - était insuffisant.
La forêt restait occupée dans la nuit de dimanche à lundi. Lundi matin 18 juillet, le bois Lejuc restait occupé. Les opposants au projet Cigéo d’enfouissement des déchets nucléaires ont gagné une bataille. Et elle n’est pas que symbolique.
- Compléments d’information : Videos sur la réoccupation de samedi par Le Journal de la Haute-Marne et par FR3 Lorraine