À La Réunion, mobilisation pour sauver le « Ti coin charmant », un riche jardin côtier

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Nature Biens communsLe « Ti coin charmant » de Manapany, c’est à la fois un riche jardin et un lieu de rendez-vous des Réunionnais. Depuis le 15 mai, le maire de Saint-Joseph interdit au public d’y accéder. Sans en donner la raison. Pour soutenir la protestation de la population, et prévenir la privatisation potentielle du site, une centaine de personnalités ont lancé le 11 octobre « l’Appel des cent ».
Alexis Chaussalet, militant associatif, et Hippolyte, grand reporter, sont les auteurs du texte qui suit « l’Appel des cent ».
L’Appel des cent
Nous, artistes, sportifs, responsables associatifs et syndicaux à La Réunion, dénonçons la fermeture des jardins de Manapany.
L’enjeu de la fermeture des jardins de Manapany et de leur avenir est immense et va bien au-delà des considérations locales ou politiques.
Elle nous concerne tous.
C’est un symbole et un choix d’avenir.
Nous connaissions Manapany pour son petit paradis balnéaire, son écrin de verdure au-dessus de l’océan, son amphithéâtre naturel bordé de vacoas et ses immenses banians, connu de tous sous le nom de « Ti coin charmant ».
Après avoir condamné l’accès au lieu depuis plusieurs mois, le mercredi 7 octobre, la mairie de Saint-Joseph a ordonné la construction d’un mur de béton pour définitivement fermer l’accès au site. Le temps où le musicien Luc Donat chantait le sourire et l’hospitalité qui habitait ce lieu semble désormais révolu.
Gardes et barbelés
Depuis maintenant dix semaines, des riverains réclament à la mairie le droit d’être informés sur le devenir de ce lieu. Face à leurs interrogations légitimes, la mairie n’a jamais daigné présenter officiellement et publiquement les projets envisagés sur ce site.
Pour seule réponse, nous assistons au déploiement d’engins de chantiers, à la présence de gardes privés, et à l’installation de clôtures et barbelés.

Nous demandons solennellement à Patrick Lebreton, maire de Saint-Joseph, de rouvrir l’accès à ce lieu préservé, à la beauté sauvage, où les familles, les enfants, les musiciens viennent se retrouver paisiblement au-dessus du bassin, ce lieu où vit une espèce unique au monde et protégée, le gecko vert de Manapany.
Nous invitons la population réunionnaise à signer massivement la pétition lancée par le Collectif des usagers des jardins de Manapany pour demander la réouverture du site.
Un choix de société
Nous sommes là face à un choix de société : continuer la bétonisation et la privatisation du littoral en accroissant le développement d’infrastructures destinées à une clientèle fortunée. Ou stopper l’hémorragie, instaurer le dialogue avec les habitants et permettre à ce site de redevenir ce qu’il était : un lieu de rencontre, de brassage populaire et culturel, ou tout simplement de pique-nique dominical.
Soyons solidaires, et engageons-nous pour défendre le Ti coin charmant, un symbole du vivre-ensemble à La Réunion, de la richesse de la nature et de la beauté du Sud sauvage.
Seules réponses de la mairie à la population : insultes et répression
L’« Appel pour sauver le Ti coin charmant de Manapany », dit « Appel des cent », a été diffusé dimanche 11 octobre sur Manapany.org et en Une du Quotidien, journal de la Réunion et de l’Océan indien. Il a été lancé par de nombreuses personnalités publiques, qui dénoncent, en même temps que la fermeture de ce jardin public, l’un des joyaux d’une île comptant parmi les 34 hotspots de la biodiversité mondiale, la bétonisation de l’île. Parmi elles, le footballeur international Guillaume Hoarau, le trailer Pascal Blanc, les artistes Gilbert Pounia, Danyèl Waro, Maya Kamaty, Carlo De Sacco (Grèn Sémé), et des représentants de collectifs associatifs, notamment Attac, Alternatiba et 5000 Pié D’bwa. Il compte aujourd’hui plus de 5.000 signataires.
Cet appel public arrive en soutien de citoyens mobilisés, qui, dès le 2 août, se sont constitués en Collectif des usagers des jardins de Manapany, et ont lancé une pétition (qui compte plus de 5.000 signatures) pour exiger la réouverture des jardins et la transparence de la part de la mairie. Chaque dimanche depuis le 2 août, certains de ces usagers se retrouvent aussi aux abords des jardins pour protester publiquement.

Mais ces citoyens n’ont pas obtenu d’autres réponses des pouvoirs publics que des insultes et des mesures répressives. Cinq militants, dont certains sont membres du QG Zazalé, collectif qui a contribué à médiatiser cette lutte, ont en effet été placés sous contrôle judiciaire pour participation à un rassemblement non-déclaré de plus de dix personnes, non-port du masque et dégradation de biens publics, et, pour deux d’entre eux, outrage à agent. Ils sont sous le coup d’une interdiction de se rendre sur le territoire de la commune de Saint-Joseph et de se rencontrer avant la tenue de leur procès, au tribunal de Saint-Pierre, aujourd’hui même, mardi 27 octobre.
La mairie refuse en effet tout dialogue public (seule une réunion en comité restreint, vaine, le 21 septembre, a eu lieu), au prétexte que le site « fait partie du domaine communal privé et non du domaine public ». Pourtant, l’aménagement des jardins, notamment les pieds de scène disposés en pointe au sud des jardins ainsi que les poteaux en béton qui barrent l’accès aux véhicules pour protéger la circulation des piétons, prouve l’usage public direct du site, selon le Conseil d’État dans son arrêt d’assemblée du 11 mai 1959. Et si ce droit d’usage public était reconnu par la justice, il serait impossible à la mairie de procéder à de quelconques aménagements et modifications du lieu, en vertu de l’article L. 121-47 du Code de l’urbanisme.
Le flou le plus complet
Pour l’instant, on ne connaît pas les intentions du maire quant aux jardins de Manapany. Mais l’annonce de la construction d’un hôtel quatre étoiles avec spa, en face de ce joyau naturel, par le propriétaire du Casino de Saint-Pierre, en mai 2020, fait craindre une transformation profonde de cette zone. Des modifications irréversibles et illégales (sans aucun permis de construire) ont déjà été lancées par la mairie, telle la construction d’un gigantesque mur en béton pour condamner l’accès au jardin, à moins de dix mètres de l’océan. Diverses rumeurs agitent le lieu, concernant une potentielle extension du bassin ou encore une privatisation d’une partie du littoral. Plutôt que de communiquer de façon transparente, la mairie entretient le flou le plus complet.
Une politique irresponsable et d’un autre temps, quand il est plus que jamais important de ressouder la société réunionnaise autour, notamment, de la préservation des écosystèmes et du vivre-ensemble.