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À Lützerath, la bataille épique contre le charbon

Alors qu’une grande manifestation longeait le village de Lützerath, des milliers d’écologistes ont tenté de franchir les lignes de police pour accéder à la zad, encerclée et en cours de démolition.

Lützerath (Allemagne), reportage

Des milliers d’activistes et de policiers se sont affrontés aux abords de Lützerath samedi 14 janvier dans une immense bataille de boue. Cette ultime tentative de reprendre la zad avant sa destruction totale au profit de l’agrandissement d’une mine de charbon découlait d’une manifestation en soutien, qui s’était élancée à midi avec à sa tête notamment Greta Thunberg.

Réunissant entre 15 000 personnes (selon la police) et 35 000 personnes (selon les organisateurs), le cortège arrivait aux abords du hameau, encerclé par des barrières, canons à eau et 8 000 policiers, quand des milliers de manifestants ont convergé vers les forces de police.

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté près de Lützerath le 14 janvier. © Philippe Pernot / Reporterre

Enfonçant leurs lignes, ils et elles ont réussi à s’approcher des barrières de chantier au prix d’affrontements épiques. Feux d’artifices, fumigènes, jets de boue contre matraques, gaz poivré et canons à eau : les deux côtés ont sorti tous les moyens à leur disposition pour gagner du terrain.

Dans un no man’s land de boue d’un kilomètre de longueur, les corps s’entrechoquaient avec rage, entre les cris de la police et les chants des activistes.

Une partie du cortège a bifurqué pour tenter de traverser la zone gardée par la police. © Philippe Pernot / Reporterre

« La police fait preuve d’une grande brutalité : ils ont frappé ma mère d’un coup de poing dans le nez, avant d’attaquer les ambulanciers qui la soignaient », témoigne Clara [*], une activiste venue avec sa famille.

Couverte de boue, elle raconte avoir été poussée par la police, « tout ça pour protéger les profits de RWE », l’entreprise minière qui veut détruire Lützerath pour agrandir la mine de charbon de Garzweiler 2.

Les « street medics » ont annoncé avoir répertorié des dizaines de blessés par la police, dont certains graves. © Philippe Pernot / Reporterre

À l’issue de plusieurs heures de flux et reflux aux abords du gouffre noir de 48 km², les activistes ont été refoulés par la police. Dans un communiqué de presse publié dimanche, celle-ci annonçait 70 blessés dans ses rangs (dont une partie due à des chutes dans la boue) ainsi que 150 interpellations depuis le début des opérations.

Les « street-medics » ont annoncé plusieurs dizaines, voire plus d’une centaine de blessés du côté des manifestants, dont certains gravement.

Environ 8 000 policiers étaient présents pour défendre la propriété de la compagnie RWE. © Philippe Pernot / Reporterre

Annoncée depuis longtemps, l’éviction a commencé dès le 2 janvier aux abords du village. Des centaines d’activistes y vivaient depuis deux ans et demi dans des bâtiments de ferme squattés, des cabanes dans les arbres, et des huttes bâties avec soin.

Mercredi 11 janvier, tout s’est accéléré quand des milliers de policiers ont donné l’assaut et pris la zad en quelques heures grâce à leur supériorité numérique.

En parallèle de la reprise de Lützerath, les activistes tentent d’envahir à nouveau la mine. © Philippe Pernot / Reporterre

Les chaînes humaines, barricades et tranchées des zadistes exerçant la désobéissance civile ont été démantelées au cours de la journée.

En même temps, les forces d’escalade de la police commençaient à expulser les activistes perchés en hauteur dans les cabanes, « tripods » et « monopods » (des poteaux dressés en hauteur afin d’observer et de ralentir la progression de la police).

La police a démantelé les nombreuses chaînes humaines. © Philippe Pernot / Reporterre

La plupart des bâtiments ont maintenant été vidés et sont en cours de démolition, mais plusieurs « barrios » (quartiers de la zad) tenaient toujours bon. Certaines structures ont même été réoccupées par des activistes malgré la forte surveillance policière — profitant notamment des traverses tissés dans les cimes entre les cabanes en hauteur pour se déplacer.

C’est maintenant un travail de longue haleine qui s’annonce pour la police et RWE, car les activistes veulent tenir jusqu’au 1ᵉʳ mars. Au-delà, une période d’interdiction de coupe d’arbres entre en vigueur en Allemagne et les travaux devront être mis en pause ou abandonnés. « Il faut qu’on tienne aussi longtemps que possible, et j’ai bon espoir : les activistes font preuve d’une responsabilité et d’une détermination totale », dit Zora, porte-parole de Lützi Bleibt, un collectif de zadistes.

La boue a été l’alliée inattendue des manifestants. © Philippe Pernot / Reporterre

Dans cette course contre la montre, les écologistes se battent sur plusieurs fronts. Peu après la prise de Lützerath, ils ont annoncé avoir creusé un tunnel sous la zad, dans lequel deux zadistes auraient enfoui un bras chacun dans le sol, rendant toute expulsion extrêmement dangereuse et menaçant les fondations mêmes du tunnel d’effondrement.

Cette surprise a forcé l’arrêt des travaux dans cette zone pour plusieurs jours voire semaines. En parallèle, des manifestations spontanées ont lieu régulièrement aux abords de la zad encerclée, tout comme des actions pour envahir la mine de charbon.

« Les activistes font preuve d’une responsabilité et d’une détermination totale », dit Zora, porte-parole de Lützi Bleibt, un collectif de zadistes. © Philippe Pernot / Reporterre

En même temps, des recours juridiques sont toujours en cours, alors que des propriétaires de terrains avoisinants refusent de vendre à RWE. Et l’affrontement est aussi politique : les bureaux du ministre Vert de l’Écologie et de l’Industrie, Robert Habeck, ont été envahis par des militants jeudi 12 janvier — tout comme le bureau des Verts à Düsseldorf.

C’est un accord passé par le gouvernement (Vert-social-démocrate-libéral) avec RWE qui permet la destruction de Lützerath en échange de l’avancement de la sortie de l’Allemagne du charbon en 2030 au lieu de 2038.

Le face-à-face s’est poursuivi jusque dans la nuit. © Philippe Pernot / Reporterre

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