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ReportagePollutions

À Marseille, des habitants fabriquent leurs capteurs de pollution de l’air

Les capteurs de pollution sont faciles à monter et à réparer, pour réduire les risques d’obsolescence programmée.

L’association AirCarto apprend aux Marseillais à fabriquer des capteurs pour mesurer la pollution atmosphérique. Une manière de rendre visible l’invisible, dans une des villes les plus polluées de France.

Marseille, reportage

Processeur, sonde, antenne – le tout raccordé à l’aide de quelques câbles – et voilà les chasseurs de pollution prêts à écumer la ville. Dans le laboratoire d’AirCarto, une association de sensibilisation à la qualité de l’air située en plein centre-ville de Marseille, des participants s’activent pour assembler un capteur de pollution atmosphérique. Une fois connecté au réseau wifi, le petit boîtier mesure en temps réel les niveaux de particules fines et les composés organiques volatiles (COV) en circulation dans l’air, en plus de la température et de l’humidité. Les données alimentent ensuite une carte interactive et collaborative, et dressent un panorama de la météo de l’air marseillaise.

« C’est un outil qui nous permet de connaître instantanément la qualité de l’air et de produire des données facilement récupérables, qui pourront ensuite nourrir des actions citoyennes », résume Nevenick Calec, ingénieur et cofondateur d’AirCarto. Depuis la création de l’association en 2020, près de 400 capteurs ont été mis en circulation.

L’atelier se déroule au sein du Quartier général des éco-acteurs de Marseille, qui regroupe différentes structures publiques et privées œuvrant dans les domaines de l’écologie et de l’économie circulaire. © Hildegard Leloué

« Ça requiert une certaine minutie, mais c’est plutôt facile à assembler », dit Gabriel Donadio d’une voix concentrée. Focalisé sur son boîtier en construction, le jeune tatoueur manie le fer à souder avec dextérité, pour élaborer son tout premier capteur. « La pollution de l’air, c’est une problématique superficiellement couverte par le gouvernement, estime-t-il. Les capteurs permettent de mettre en relief cette pollution que l’on ne voit pas, en la rendant concrète et objective. » Romain Derain, un autre participant de l’atelier, est du même avis. En tant que chargé d’étude en modélisation de la qualité de l’air, il est particulièrement concerné par le sujet. « Ce boîtier va me servir à mesurer la pollution du quartier résidentiel où j’habite, car je suspecte les émissions de bois de chauffage d’y stagner », explicite le trentenaire en plaçant délicatement une vis dans un insert. À ses côtés, Jean-Pierre Bonnissel, retraité, a prévu d’installer son futur boîtier dans sa loggia. Son intention : surveiller de près les émissions traversant son domicile, situé à proximité de l’autoroute L2.

Devenir lanceur d’alerte sur la qualité de l’air

Les capteurs sont ainsi utilisés comme des outils militants, afin d’analyser la qualité de son environnement direct et, le cas échéant, de donner l’alerte. « L’objectif, c’est d’utiliser les mesures citoyennes pour mettre en relief des problématiques de pollution sur le territoire, et déclencher des réactions officielles », indique Richard Hardouin, président de France Nature Environnement Bouches-du-Rhône et du Collectif antinuisances (CAN) ; l’association qui a créé AirCarto afin d’accompagner le déploiement de capteurs citoyens à l’échelle régionale.

« Créer soi-même un objet, c’est mieux comprendre son fonctionnement, en plus de devenir maître de la façon dont les données sont collectées et utilisées. » © Hildegard Leloué

Si les données récoltées par les capteurs citoyens ne peuvent être considérées comme suffisamment fiables pour servir de base juridique à une plainte, elles donnent néanmoins une idée relativement précise de la situation atmosphérique. Ils ont, par exemple, déjà prouvé leur utilité lors du gigantesque incendie de la déchetterie Saint-Chamas, fin 2021. Grâce à leurs capteurs, des citoyens ont donné l’alerte sur les émanations de fumées toxiques qui ont duré sept semaines consécutives. Les données ont alors été condensées dans un rapport par AtmoSud, l’observatoire régional de surveillance de la qualité de l’air, qui a lui-même averti la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) afin de mieux protéger les populations.

AtmoSud dispose déjà de plusieurs stations de mesure dans la cité phocéenne. Les capteurs citoyens ne visent pas à leur faire concurrence mais à compléter les connaissances disponibles sur la qualité de l’air. « Ils nous permettent d’être très flexibles, par exemple si on veut effectuer un relevé près d’une source de pollution, comme une usine », dit Nevenick Calec. Une agilité qui leur permet de rendre la pollution visible à l’échelle d’un balcon, d’une rue ou d’un quartier, alors que la surveillance officielle de la qualité de l’air repose généralement sur des installations fixes, coûteuses et disséminées sur le territoire. Un enjeu d’autant plus important que le nombre de stations d’AtmoSud a diminué ces dernières années, en raison de leur prix conséquent (200 000 euros environ), passant de 70-80 au début des années 2000 à une cinquantaine aujourd’hui en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Partager et s’approprier la connaissance

« La qualité de l’air est un enjeu beaucoup trop important pour ne pas communiquer dessus », dit Paul Vuarambon, cofondateur d’AirCarto. Le partage du savoir est en effet au cœur du dispositif, puisque le processus de fabrication des capteurs et les outils d’analyse de l’air sont collaboratifs et ouverts à tous, selon le principe de l’open source. Une transparence qui se décline aussi au sens littéral du terme, le boîtier étant couvert d’une vitre en plexiglas permettant d’en observer les composantes. « Créer soi-même un objet, c’est mieux comprendre son fonctionnement, en plus de devenir maître de la façon dont les données sont collectées et utilisées », soutient le géographe.

Paul Vuarambon et Nevenick Calec, co-fondateurs d’AirCarto. © Hildegard Leloué

À l’origine de ce projet de mesure citoyenne, Paul Vuarambon était animé d’une idée simple : cartographier la pollution atmosphérique à laquelle il était confronté pendant ses trajets quotidiens à vélo. Peu convaincu par les capteurs disponibles sur le marché, majoritairement produits en Chine dans des conditions peu éthiques, l’ingénieur a souhaité créer son propre dispositif. S’ensuivit le désir de créer ce projet de sciences participatives pour améliorer les données existantes sur la pollution de l’air. Certes, certains éléments de ce capteur do it yourself — fabriqué soi-même — sont importés de l’étranger, mais les membres d’AirCarto conçoivent et assemblent un maximum d’éléments dans un atelier de fabrication numérique (fablab), grâce à une imprimante 3D.

Pour le moment, les cofondateurs de l’association animent surtout des ateliers de fabrication de capteurs et de sensibilisation auprès des scolaires. Ils souhaitent étendre leur cœur de cible, et multiplier leurs actions de sensibilisation avec les publics adultes, à raison d’une intervention par mois environ. En parallèle de l’association, ils ont également constitué une entreprise pour vendre des capteurs aux collectivités désireuses de documenter la qualité de l’air. Différents modèles sont disponibles, en fonction de l’utilisation souhaitée (en intérieur ou extérieur, en position fixe ou mobile). De quoi participer à une prise de conscience générale sur les dangers de la pollution atmosphérique et inciter à agir, car « la qualité de l’air est le premier des biens communs », dit Nevenick Calec, un outil de résistance collective clignotant entre ses paumes.


Ce reportage a été réalisé par une étudiante de l’École supérieure de journalisme professionnelle de Montpellier et initialement publié sur le blog des élèves : Marseille l’irrespirable.

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