Écologie et quartiers populaires
A Marseille, l’Hôtel du Nord fait vivre l’atmosphère des quartiers populaires

Durée de lecture : 6 minutes
Accueil chez l’habitant, balades patrimoniales, marchés de produits locaux, projet d’agriculture urbaine… En valorisant le patrimoine et les habitants des quartiers nord de Marseille, la coopérative Hôtel du Nord tisse un « récit collectif » de ces lieux ignorés.
- Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage
Non loin du lycée Nord, dans le 15e arrondissement de Marseille, Virginie Lombard guide un groupe d’une vingtaine de personnes à la découverte du patrimoine urbain, industriel et naturel. Cette balade est organisée en partenariat avec les Archives départementales, par Hôtel du Nord, une coopérative d’habitants qui valorise les quartiers nord bien loin des clichés liés au trafic de drogue et aux règlements de comptes. « Les médias font un boulot salissant. Ils rapportent des nouvelles qui ne vont que dans le sens du pire », s’insurge Dominique Poulain, rencontrée sur le marché que propose la coopérative sur le parvis de l’Hôpital Nord. La sexagénaire a élu domicile depuis 25 ans dans le quartier de Verduron, en contrebas du noyau villageois de Saint-Antoine, « au milieu d’un triangle Plan d’Aou, la Bricarde, la Castellane ». Trois cités qui défraient régulièrement la chronique des faits divers. Elle y anime Höfn (« port » en islandais) un lieu d’accueil et de résidence d’écriture, au sein d’Hôtel du Nord. « C’est dur, les quartiers nord, mais c’est aussi formidable. Il y a de la cruauté, de la violence. Mais aussi une myriade de gens et d’associations qui font des choses extraordinaires. On y trouve un réseau d’amitié, de complicité, d’entraide énorme », s’enthousiasme-t-elle.

« Il n’y a que durant les journées du patrimoine que ces quartiers existent aux yeux des institutions », dit Julie De Muer, force vive d’Hôtel du Nord et auteure de promenades sonores avec Radio Grenouille. La coopérative est née de l’engagement de Christine Breton, conservatrice du patrimoine, pour que soit mis en valeur le patrimoine dévalorisé de ces quartiers tel qu’il est vécu par les habitants. Pour Julie De Muer, il s’agit de « faire émerger un récit collectif », en osant aller à « la rencontre du voisinage, de celui qui te ressemble et de celui qui ne te ressemble pas, pour avoir la capacité de se projeter ensemble ». La coopérative s’est agrégée en 2013 lorsque Marseille était « capitale européenne de la culture ». « Trois ans de structuration ont été nécessaires avant 2013. On voulait 50 balades, 50 chambres, 50 produits », précise Julie De Muer.

« Dans les moments de rencontre, il n’est plus question de fric »
En proposant leurs chambres à louer, les habitants sociétaires d’Hôtel du Nord « donnent aux visiteurs des clés de compréhension de là où ils sont, dit Dominique Poulain. C’est une activité qui permet d’arrondir les fins de mois, mais l’essentiel est de faire découvrir le quartier. Dans les moments de rencontre, il n’est plus question de fric ». L’accueil s’organise aussi en collaboration avec les hôpitaux de Marseille (AP-HM) pour les proches des malades de l’Hôpital Nord. Pour répondre au manque de structures hôtelières à proximité de cet hôpital coincé entre l’autoroute et le massif de l’Étoile, la coopérative propose ses chambres. « C’est aussi un moyen de soutenir les accompagnants de patients en leur apportant de la chaleur humaine », ajoute Dominique Poulain.

Mardi 26 septembre, comme tous les quinze jours avant l’hiver, les commerçants ont posé leur étal sur le parvis de l’Hôpital Nord. « Je vous offre un café ? » propose chaleureusement Fathi Rahmouni derrière son stand B.E.L assiette, qui présente des produits bios et locaux, confectionnés chez elle, non loin de là, au vallon des Mayans. Agnès Maillard et Louis Duffet habitent dans ce même coin de l’Étoile où ils sont apiculteurs. Sur le marché, en plus de leur miel, ils proposent du savon de Marseille, des cartes postales d’une artiste locale, un couteau fabriqué par ici et des boites de thé et d’infusion 1336, de Scop Ti, la coopérative de Gémenos (Bouches-du-Rhône) dont les ouvriers ont occupé leur usine pour éviter la délocalisation. Au stand d’en face, Moncef Selaoti, le reste de la semaine primeur à Saint-Antoine, vend ses fruits. « L’aspect économique, ce n’est pas le premier critère pour venir ici. Vendre des fruits pour les malades, ça fait plaisir », dit-il. Hélène Martin, cadre administrative à l’hôpital, a fait le lien avec l’AP-HM pour l’installation du marché. Elle parle d’une « expérience très enrichissante. On offre un service de proximité au personnel, tout comme un lieu de vie et de convivialité. Ça enrichit les relations entre soignants, patients et accompagnants ».

Hôtel du Nord s’enracine dans les 2e, 3e, 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements, qui concentrent près du tiers des 850.000 Marseillais sur une superficie égale aux trois quarts de la surface de Paris. À côté du lycée Nord, la vue se fait plongeante sur un territoire mosaïque, du port aux collines. Enserrés par l’autoroute, les villages de Saint-André et Saint-Henri arborent fièrement leurs clochers. Au-dessus, on observe un entrelacs de cités, habitats divers, friches, parcs plus ou moins aménagés. Dans ce paysage, Virginie Lombard montre ce qui fût « la plus grande carrière d’argile d’Europe », à l’origine d’une activité de tuilerie florissante : « Marseille exportait ses tuiles dans le monde entier. » Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une fabrique. Concurrencées par les usines de détergents, les savonneries se sont aussi arrêtées. Sauf celles du Midi et du Fer-à-Cheval, adhérentes à Hôtel du Nord. « Ces anciens quartiers ouvriers se sont paupérisés », explique notre guide. Le taux de chômage s’est envolé : de 20 à 25 % selon les arrondissements et au-delà des 40 % dans certains grands ensembles.

« Le premier objectif, c’est la rencontre et pas tellement le jardinage »
Combiné à l’urbanisme sauvage, le contexte ne facilite pas le croisement des différentes catégories de populations. En toute fin de balade, on découvre le jardin du Belvédère, coincé depuis cinq ans entre les lotissements et les tours du quartier de la Viste. Walid Arfaoui y fait jardiner des enfants de l’école maternelle venus pendant leur temps d’activités périscolaires. « Le premier objectif, c’est la rencontre et pas tellement le jardinage. Pas à pas, le jardin permet une mixité sociale entre cité et villas, entre des gens qui ne se disaient même pas bonjour », témoigne le médiateur-animateur du lieu qui se situe à l’entrée du parc Foresta.

Sur cette friche d’un peu plus de 20 hectares, d’abord carrière d’argile puis dépôt des remblais du centre commercial Grand Littoral, Yes We Camp envisage d’installer un parc qui ferait le lien entre les quartiers environnants. Pour l’instant, la colline accueille un terrain de motocross illégal et des jardiniers qui « squattent depuis 30 ans. Ils ont même quelques chèvres », dit Virginie Lombard. À terme, le parc devrait accueillir une ferme urbaine, d’autres jardins partagés et des espaces verts à usages collectifs. Dans cette histoire, Hôtel du Nord se charge du lien avec les habitants et comme à chaque fois, précise Julie De Muer, « on commence par se rencontrer et marcher ensemble ».

- Cette tribune prolonge celle publiée ici.