Reportage — Notre-Dame-des-Landes
À Notre-Dame-des-Landes, avec les marginaux de la Zad, ceux qu’on n’entend jamais

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Notre-Dame-des-LandesÀ quelques jours de la date butoir du 23 avril, les habitants de la Zad préparent les formulaires individuels. Certains, au mode de vie en marge de la société, s’inquiètent de leur devenir. Ils racontent leur vie et leur vision des choses.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
L’opération d’expulsion de la Zad de Notre-Dame-des-Landes est terminée. C’est tout du moins ce qu’avait annoncé la préfète de Loire-Atlantique, Nicole Klein, dès le vendredi 13 avril, soit quatre jours après le début des opérations de gendarmerie. « Tout ce qui était évacuable a été évacué », a-t-elle assuré. Pourtant, sur le terrain, la situation est loin d’être aussi limpide. Les occupants des 29 cabanes et autres lieux de vie détruits, que la préfecture appelle « squats », sont loin d’avoir quitté la Zad. Ils ont trouvé refuge dans d’autres maisons, comme à la ferme de la Grée. Ce lieu de vie collectif accueille celles et ceux qu’on pourrait définir comme les plus radicaux de Notre-Dame-des-Landes, qui sont souvent des écorchés de la vie. Parler à la presse n’est pas leur fort.

« Pourtant, il faut qu’on apprenne à communiquer, pour que notre parole soit entendue », annonce Carlo [*], un jeune homme qui se définit comme nomade et qui vient régulièrement ici depuis sept ans. Quand il n’est pas sur la Zad, il sillonne la France à bord de son camion, mais déplore les restrictions envers les habitats nomades. « Je me suis radicalisé après la loi Loppsi 2, qui interdisait de vivre dans un véhicule [la disposition a depuis été invalidée par le Conseil constitutionnel]. J’ai souvent le sentiment que tout ce que je fais est illégal. Vivre en camion, aller faire de la récupération dans les poubelles de supermarché, échanger des graines. J’ai du mal à comprendre ce fonctionnement absurde de notre société. »
Politiquement, leurs convictions sont bien éloignées d’autres composantes de la lutte, notamment de certaines associations comme l’Acipa (les riverains opposés au projet d’aéroport) ou le céDpa (Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport), qu’ils jugent trop « citoyennistes ». « Ils croient encore en la parole de l’État, veulent obéir à leurs règles alors qu’on voit bien que cela ne mène nulle part », poursuit Carlo. Les habitants de La Grée déplorent aussi l’hypocrisie de ces associations, qui les auraient trompés lors de la libération de la route D281, dite « route des chicanes ». En échange du démontage des cabanes, on leur avait promis qu’ils pourraient les reconstruire plus tard. « Mais au dernier moment, ils ont ajouté une condition : la reconstruction en hameau et pas en habitat éparpillé, pour éviter le “mitage” des campagnes. En réalité, ils nous ont instrumentalisés et ne respectent pas vraiment les six points du texte pour l’avenir de la Zad. »

Ce document, publié fin 2015, stipule que « les habitant e s, propriétaires ou locataires faisant l’objet d’une procédure d’expropriation ou d’expulsion puissent rester sur la zone et retrouver leurs droits » et que « ce qui s’est construit depuis 2007 dans le mouvement d’occupation en termes d’expérimentations agricoles hors cadre, d’habitat autoconstruit ou d’habitat léger (cabanes, caravanes, yourtes, etc.), de formes de vie et de lutte, puisse se maintenir et se poursuivre ».
« Nos modes de vie sont totalement incompatibles avec la loi telle qu’elle existe »
Pour eux, cette destruction des cabanes s’apparente à un processus d’exclusion sociale, comme l’explique Adama [*]. « On veut simplement faire disparaître toutes celles et ceux qui ne sont pas régulés par le salariat, qui ne paient pas de factures comme tout le monde. On les stigmatise pour les anéantir. Il y a une forte pression envers tous ceux qui veulent mener leur vie autrement. »

Cette « route des chicanes » représentait une frontière entre les habitants de l’ouest de la Zad, où se trouvent la plupart des bâtiments en dur, avec les habitants qu’ils estiment plus réformistes, surnommés les « citoyennistes » ou les « néoruraux », ceux qui acceptent de se livrer plus facilement aux médias. Une division sur laquelle n’a pas hésité à jouer le gouvernement. Mais nos interlocuteurs ne sont pas dupes et rappellent qu’à l’origine tous se sont réunis ici pour une chose : lutter contre l’aéroport et son monde. « C’est juste que ces dernières semaines, certains oublient un peu le côté “son monde” », déplore Carlo.

La Zad représente pour eux un espace de liberté et d’expérimentation, un interstice au sein d’une société dans laquelle ils ne trouvent pas leur place. Où iront-ils si jamais elle disparaît ? « Le gouvernement assure qu’il a écrasé les vilains radicaux et rétabli l’État de droit. Mais ce n’est pas fini, nous sommes toujours là et nous occuperons jusqu’au bout », poursuit Carlo. « On nous demande souvent pourquoi on ne veut pas se légaliser. Ce n’est pas qu’on veut pas, c’est qu’on ne peut pas. Nos modes de vie sont totalement incompatibles avec la loi telle qu’elle existe. Il faudrait que nous changions totalement notre façon de vivre. C’est impossible », enchérit Michelle. Pour illustrer son propos, elle désigne la cuisine collective qui nourrit les gens de la ferme, qui serait immédiatement fermée si un inspecteur d’hygiène venait y mettre son nez. Lorsqu’on lui rétorque que les normes ont été imposées pour éviter la propagation des germes et maladies, elle répond : « Toutes les normes n’ont jamais empêché d’avoir des épidémies de gastro dans les cantines qui les respectent. Dès que les gens vivent en grands collectifs, il y a toujours des risques. »
« On se réapproprie des questions essentielles de notre vie »
Carlo évoque l’autogestion, une philosophie partagée par beaucoup de zadistes et plus particulièrement à La Grée. « Dehors, c’est l’État qui s’occupe de tout, qui gère de nombreuses parties de ta vie. Ici, on est confronté aux mêmes questions mais on essaie d’y apporter une réponse différente. Par exemple, on règle nous-mêmes les conflits, sans flics, ou encore la santé par les plantes. On se réapproprie des questions essentielles de notre vie. »

Pendant ce temps, du coté ouest de la Zad, à la Rollandière, chez les « réformistes », l’ambiance est studieuse, presque fébrile en cette fin de journée ensoleillée. Certains s’échangent leurs adresses. D’autres comptent et recomptent les hectares. Beaucoup sont en train de remplir le très controversé formulaire individuel d’installation agricole nominatif. Un papier que la préfète et le gouvernement considèrent comme obligatoire pour toute reprise des négociations. « Ce n’était pas notre but de remplir ce genre de papier mais on a pas le choix, grommelle un habitant. J’ai bien peur que ce soit le début des emmerdes et qu’on nous impose des normes, des règles et un tas d’autres trucs. » Tous les habitants de la Zad ne s’accordent pas encore sur l’envoi de ces formulaires et les débats restent vifs. Pour certains, signer ce papier, c’est mettre un premier clou au cercueil de la Zad telle qu’elle a été pensée, libertaire et autogérée. Pour d’autres, il s’agit de gagner du temps face aux autorités, qui ont donné comme date butoir le lundi 23 avril. Mais, que vont devenir celles et ceux qui refuseront s’inscrire dans cet « État de droit » réclamé par les autorités ? Seront-ils expulsés ? Pourront-ils s’intégrer aux projets proposés ? L’avenir de la Zad se joue aujourd’hui sur un bout de papier.
