À Paris, des habitants se battent pour protéger leur « oasis verte »

Les habitants de cet immeuble se battent pour sauvegarder leur « oasis verte ». - © Laury-Anne Cholez/Reporterre
Les habitants de cet immeuble se battent pour sauvegarder leur « oasis verte ». - © Laury-Anne Cholez/Reporterre
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Luttes Habitat et urbanismeMoineaux domestiques, chauves-souris pipistrelles... Dans un immeuble parisien, cette « oasis verte » est menacée par un projet immobilier. Opposés au chantier, des habitants luttent pour conserver ces deux espèces protégées.
Actualisation le 24 juin 2022 : Le tribunal administratif de Paris a annulé jeudi 23 juin le permis de construire qui devait détruire « l’oasis verte ». Les habitants qui s’opposaient à la destruction de cet écosystème se félicitent de cette décision et assurent vouloir continuer à travailler au projet d’école d’agriculture urbaine verticale, et des potagers pédagogiques.
Paris (12e), reportage
C’est un bruit que les oreilles parisiennes n’ont plus vraiment l’habitude d’entendre. Un joyeux pépiement de printemps qui s’échappe d’un immense lierre grimpant, où une petite colonie de moineaux domestiques a élu domicile. Une cinquantaine d’individus qui s’ébattent dans la cour de cet immeuble parisien du 12e arrondissement. Entre ces quatre murs, des camélias, rhododendrons et fougères jaillissent de pots en terre émaillés de bleu. De la glycine s’accroche aux fenêtres et un palmier grimpe jusqu’au troisième étage à la recherche de la lumière. Un lieu rare, aujourd’hui menacé par un projet immobilier.
Il y a trente ans, cet endroit n’était pourtant qu’une dalle de béton, ressemblant à bon nombre d’autres cours de la capitale. Elle a été végétalisée avec patience par une habitante pour devenir aujourd’hui un petit écrin de verdure, que ses habitants ont baptisé « oasis verte ».

Moineaux et pipistrelles menacés
L’histoire commence en août 2017, lorsqu’une voisine découvre un permis de construire pour détruire le bâtiment sur lequel est accroché l’immense lierre. Intriguée, elle découvre que le promoteur immobilier, Cogedim, souhaite y construire un immeuble de sept étages pour 36 appartements, dont 10 logements sociaux. Pour les habitants, ce projet signerait la disparition des moineaux domestiques, une espèce pourtant protégée. « Ce massif [de lierre] sert non seulement d’abri et de source de nourriture, mais également de protection des cavités de nidification qui se trouvent en dessous », explique un rapport de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), venue expertiser la colonie. L’association a recensé entre 40 et 50 individus et émet « un avis extrêmement défavorable » sur le projet, au regard de l’état désastreux de l’espèce à Paris : la population de moineaux domestiques a chuté de 72 % entre 2003 et 2016.
Un autre animal est menacé par ce futur chantier. Un volatile beaucoup plus discret que les moineaux, et surtout plus nocturne : la chauve-souris pipistrelle. Une espèce protégée « quasiment menacée », classée sur la liste rouge des mammifères continentaux de France métropolitaine, dont il est interdit de détruire l’habitat, sauf en cas de dérogation accordée par le préfet pour un motif d’intérêt général.

L’association Renard, qui a confirmé leur présence grâce à un capteur d’ultrasons, insiste sur l’importance de cette colonie située entre le Bois de Vincennes et la petite ceinture. Un corridor écologique à préserver. « Le maintien de milieux végétalisés est nécessaire pour préserver la liaison écologique urbaine et la renforcer », explique l’association dans un rapport d’expertise. Elle rappelle aussi « que la destruction des habitats est l’une des causes premières de la disparition des espèces ».
Face à cela, le promoteur Cogedim promet de tout mettre en œuvre pour préserver cette faune en travaillant avec un cabinet d’écologues. Il assure qu’il évitera de démolir l’immeuble pendant certaines périodes sensibles, mettra en place des refuges temporaires pendant le chantier puis des refuges pérennes au sein des nouveaux bâtiments. Il sélectionnera des plantes qui favorisent l’abondance d’insectes, etc. Des mesures qui n’ont pas convaincu les habitants, qui gardent en travers de la gorge une lettre leur réclamant une indemnité de 1 million d’euros pour procédure abusive.

Pour sauver les moineaux, les pipistrelles, mais aussi les mésanges, les pigeons ramiers, les merles noirs, les rouges-gorges familiers, les corneilles noires ou encore les pies bavardes qui profitent parfois de cet îlot de verdure au cœur de la ville, les habitants ont décidé de s’unir afin d’empêcher la destruction du mur.
Anne Lenfant en fait partie. Cheveux courts et petites lunettes, elle vit ici depuis dix ans et a réalisé sa chance pendant le confinement en passant beaucoup de temps à admirer le ballet des oiseaux sur les toits végétalisés du bâtiment qui sera détruit. Face à la fenêtre de sa chambre, des centaines d’iris bleus se balancent au gré d’une légère brise. « On raconte qu’une voisine aurait un jour jeté un bulbe de cette fleur et qu’il se serait multiplié, explique Anne Lenfant. Il y a deux mois, le propriétaire est venu arracher des petits arbustes qui poussaient là, notamment un merisier où se nourrissaient les moineaux. J’en ai pleuré. C’est dur de se dire que tout ce qu’on a sous les yeux depuis des années peut disparaître du jour au lendemain. »

Recours juridiques
Le collectif d’habitants a lancé des recours juridiques contre le projet de Cogedim. Ils ont déposé un recours gracieux devant le tribunal administratif en 2017 qu’ils ont perdu, puis se sont pourvus devant le Conseil d’État, qui a confirmé le bien-fondé de leur recours et cassé la décision du tribunal administratif. Un nouveau jugement doit avoir lieu durant lequel les habitants pourront présenter de nouveaux arguments, notamment sur les questions environnementales. Des sujets pas du tout abordés en 2017, époque où ces considérations étaient moins prises en compte qu’aujourd’hui.
Le collectif a également cherché des soutiens politiques. La maire du 12e arrondissement où se trouve l’immeuble, Emmanuelle Pierre-Marie (EELV), a notamment demandé le classement du lieu en espace vert protégé (EVP), d’après Le Parisien. « Bien sûr, il n’y a pas 1 000 hectares de terres menacés. Mais c’est une destruction en plus parmi les plans d’urbanisme où seule la rentabilité financière triomphe, raconte Clément Kopp, l’un des habitants. La mécanique administrative est dominée par cette rentabilité, et pas par la protection de l’environnement. »
En attendant l’aboutissement des recours juridiques, les opposants ne baissent pas les bras et rêvent d’un projet alternatif. Ils ont contacté Cycloponics, une start-up qui cultive des champignons dans des parkings souterrains désaffectés et visité une ferme de safran sur le toit de l’opéra Bastille. Ils se sont rapprochés d’une école d’architectes pour réfléchir à l’architecture bioclimatique. Reste à trouver un riche mécène : le bâtiment a été cédé au promoteur pour la somme de 7 millions d’euros.