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Écologie et quartiers populaires

À Perpignan, une cantine antigaspi au service des plus démunis

Le collectif Miam a lancé une cantine populaire bio au cœur de Perpignan. En période de crise sanitaire, ce lieu de brassage social et culturel autour de la gastronomie permet aux personnes les plus isolées de rester à flot.

  • Perpignan (Pyrénées-Orientales), reportage

Impossible de rester les bras croisés en attendant que le temps passe. Fin octobre, à l’annonce du second confinement, l’équipe de la cantine solidaire Miam, au cœur de Perpignan (Pyrénées-Orientales), a décidé de rester ouverte pour accueillir les plus précaires. « J’ai bien regardé les décrets d’application et constaté qu’on pouvait continuer d’accueillir les personnes vulnérables pour distribuer des produits de première nécessité. Alors, on a envoyé un courriel à la préfecture afin de les prévenir, mais on n’a jamais reçu de réponse. On a ouvert et personne ne nous a rien dit », raconte Wilfried, l’un des cofondateurs de Miam.

Manger. Inventer. Accueillir. Mélanger. Le Miam est une cantine associative, solidaire et écologique qui tente d’apporter un peu de mixité sociale grâce à la gastronomie. Lancée en janvier 2020, elle sert des déjeuners à prix libre cuisinés avec des produits bio de récupération. Un concept qui a fait mouche : la cantine compte aujourd’hui un millier d’adhérents qui viennent goûter une cuisine maison et de saison pour un tarif conseillé de sept euros.

Wilfried renseigne le menu jour : que du frais et bio du préparé sur place.

Dans le temps d’avant le Covid, trente à quarante couverts étaient servis chaque midi, dont deux tiers de payants servant à financer les déjeuners solidaires des plus précaires. Voisins, passants, salariés et même touristes se retrouvaient autour des tables aux jolies toiles cirées. Un beau brassage social et culturel. Mais depuis le confinement, tout a changé. « On est passés de cinq à plus de quinze repas gratuits par jour », raconte Camille, la cofondatrice. « C’est un peu stigmatisant, car seules peuvent s’attabler les personnes les plus précaires. Ce n’est pas ce que nous avions voulu faire au début. » Les habitués viennent encore récupérer leur déjeuner à emporter par solidarité, mais les ventes ont drastiquement baissé. « Les gens restent chez eux, ou ne travaillent plus forcément dans le quartier. Beaucoup attendent avec impatience notre totale réouverture », poursuit Camille.

Au-delà d’un repas, de la chaleur humaine

Au menu ce jour : une soupe d’avocat, des légumes rôtis, des pommes rôties et des biscuits. Les produits ont été récupérés auprès de la Biocoop et d’un producteur local pour rassasier une petite vingtaine de personnes venues déjeuner. Des habitués en grande difficulté financière qui trouvent ici bien plus qu’un simple repas : du réconfort ainsi qu’un peu de chaleur humaine au milieu de la terrible épreuve du confinement et surtout de la crise économique qui fait rage : à Perpignan, le taux de pauvreté atteint 30 %, soit deux fois plus que la moyenne nationale. « Il y a une forte misère de laquelle les gens peinent à s’en sortir », constate Camille.

Le programme de la semaine directement inscrit sur le carrelage de la cuisine.

La cantine est installée place Rigaud, au cœur de la ville, entre le quartier commercial Saint-Jean, le quartier populaire Saint-Mathieu et le quartier gitan Saint-Jacques. Colette, une vieille dame au regard triste, vient en voisine presque tous les jours faute de pouvoir remplir son réfrigérateur. Elle est attablée avec Sandra, une grande brune qui, sans quitter ses lunettes de soleil, évoque avec émotion le souvenir de Coluche, le fondateur des Restos du cœur. Un peu plus loin, Thierry, ancien sans domicile fixe parisien, vit aujourd’hui du RSA (revenu de solidarité active) et cherche du travail. « Je suis ici pour les légumes, car ça coûte cher d’en acheter. » Il a terminé il y a peu un boulot dans les vendanges. « Mais c’était un sacrifice, car après, on m’a coupé presque tout mon RSA. Malgré tout, cela m’a fait du bien, j’en avais marre de ne pas travailler. »

Brigitte, Robert et Thierry, trois habitués de la cantine Miam.

À sa table, Brigitte, longs cheveux d’argent et grands yeux bleus mélancoliques, attend une place en chantier de réinsertion. Elle se fait taquiner par Robert, qui ne manque aucun déjeuner de la cantine. « C’est le seul endroit qui nous reste pour nous asseoir un peu et voir du monde. Avant, on pouvait aller au café et bouquiner ou aller à la bibliothèque. Maintenant, ce n’est plus possible. » Tous confessent une situation financière désastreuse, accentuée par la crise du Covid. Un virus qui les effraie sans toutefois les empêcher de sortir. « Avec tout ce qu’on entend à la télé, si je reste seule chez moi, je suis deux fois plus stressée. J’ai peur mais j’ai aussi envie de vivre », dit Brigitte.

Une cantine pour rebondir

Certains ont commencé par venir déjeuner avant de devenir bénévoles, comme Charles, dont c’est le premier jour au service, ou encore Matthieu, qui vient d’emménager à Perpignan après avoir perdu son appartement dans le Nord. « Quitte à galérer, autant le faire au soleil », sourit-il. Il vit au foyer de la Croix-Rouge et doit être dehors de 8 h à 17 h. Cette cantine est non seulement un moyen de manger sainement mais surtout de s’occuper l’esprit. « C’est très difficile de trouver du boulot en ce moment. J’étais dans une période où j’avais les idées noires. Venir ici m’a permis de rebondir », raconte-t-il.

Camille, la cofondatrice de Miam à l’œuvre dans la cuisine pour préparer la soupe d’avocat.

« On reçoit très souvent des gens isolés, avec des problèmes de cœur, des problèmes professionnels ou psychologiques. Ils arrivent ici et cela leur permet de socialiser », explique Camille. « Ceux qui viennent sont en rupture de quelque chose et ont du temps libre. Et ils repartent souvent réconfortés », poursuit Wilfried. « C’est exactement ce qui s’est passé pour moi », enchérit Lia. La jeune fille, formée à l’école hôtelière de Ferrandi, a travaillé dans de prestigieux restaurants étoilés à Paris. Lassée d’être broyée par soixante-dix heures de travail hebdomadaires, elle a rejoint l’équipe de Miam pour changer de vie. Camille, Lia et Wilfried, les trois salariés, sont épaulés par une quarantaine de bénévoles qui se relaient, comme Matthieu et Charles. Un collège de huit personnes gère l’association, qui a reçu une subvention de la région Occitanie de 17.000 euros. De quoi acheter du matériel et payer les salaires en attendant le retour à la vie normale.

Lia, l’une des salariées, fait l’accueil des commandes à emporter le midi.

La cantine ouvrait l’an passé du mardi au samedi, mais l’équipe va prendre un jour par semaine afin de réfléchir à la suite. « Au départ, on voulait aider à avoir de la mixité dans le quartier. Aujourd’hui, on se sent confinés dans une action d’aide sociale », analyse Camille. Pas mal de projets sont dans les cartons : des vide-dressing, des discos-soupes, des événements plus culturels qui permettraient de retrouver ce brassage de population qui a fait les succès du lieu à ses débuts.

Wilfried à l’ouvrage pour préparer le déjeuner du jour.

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