Reportage — Climat et quartiers populaires
À Saint-Denis, les habitants résignés face au changement climatique

Durée de lecture : 6 minutes
Climat et quartiers populairesLa canicule est passée, le temps est plus frais, mais les vagues de chaud reviendront. Au cœur de la chaleur, notre reporter était allée voir à Saint-Denis, près de Paris, comment les habitants des quartiers populaires, particulièrement touchés par le phénomène d’îlot de chaleur, réagissaient. Réponse : avec fatalisme...
- Saint-Denis (93), reportage
C’est désormais connu : les quartiers fortement minéralisés sont les plus frappés par le phénomène d’îlots de chaleur en cas de canicule – et ce sont, trop souvent, les quartiers populaires. Je décide de faire un tour jeudi en Seine-Saint-Denis, pour évaluer la gravité de la situation. Ce département a été le deuxième plus touché par la surmortalité pendant la canicule de 2003 : + 160 % de décès liés à la chaleur au mois d’août.
Avant le départ, j’appelle Damien Dussut, chargé de mission climat à Plaine Commune, dont le service a mené en 2014 une étude sur l’adaptation au changement climatique dans l’agglomération. Lors d’une visite de terrain, il a identifié Saint-Denis – Porte de Paris comme un quartier particulièrement vulnérable à la canicule : « Le quartier est jeune, avec des espaces publics très minéralisés. J’ai été frappé par la sensation de chaleur. »
La carte interactive des quartiers « chauds » établie par Erwan Cordeau, chargé de mission à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, le confirme : plusieurs indicateurs sont au rouge, comme l’imperméabilisation des sols, les propriétés thermiques des matériaux, qui retiennent la chaleur, et l’absence d’eau et de végétation.

« Peut-être mettre plus d’arbres et de fontaines »
De fait, à la sortie du métro à 13 h 30, l’atmosphère est étouffante. La vaste étendue de dalles de pierre reflète violemment le soleil. Tania, 33 ans, employée dans le secteur hospitalier, s’est réfugiée à l’ombre sous l’auvent du kiosque à journaux. « Tous les véhicules, les entreprises et les petits commerces produisent de la chaleur, soupire-t-elle. Ils auraient peut-être pu mettre plus d’arbres et des fontaines. Limiter la circulation, c’est difficile. Mais pourquoi ne pas rendre certains moyens de transport gratuits, comme les vélos ? »

« La chaleur, c’est normal », tranche Ahmed, 17 ans, assis sur le rebord d’une fenêtre. « Je n’en souffre pas », renchérit Sara, 12 ans. Pour Cédric, 18 ans, c’est une autre paire de manches. « Dès 11 h, ça commence à taper. On a besoin de beaucoup s’hydrater, on est moins concentré, on se fatigue plus vite, remarque le plombier, en tirant sur sa cigarette. C’est la faute à la pollution. Il faudrait remettre les plaques paires et impaires, encourager le covoiturage. »
Comme source de fraîcheur... le rayon surgelés du supermarché
Il fait décidément trop chaud. Je me réfugie à la boulangerie, où la vendeuse, Radia, 38 ans, m’accueille avec un large sourire. « C’est dur, surtout en plein Ramadan, souffle-t-elle. Hier soir, avec mon mari, on est allés se rafraîchir au rayons surgelés du supermarché ! » Ce réchauffement est pour elle la conséquence d’un trop-plein de technologie, « qui est en train de tout détruire » : « Aujourd’hui tout se branche, le téléphone, la télé, l’ordinateur... Tout ces appareils sont bien pratiques mais dégagent de la chaleur ! »
A L’Escargot, le bistrot d’en face, Yves, 58 ans, me sert une limonade bien fraîche. Ce garçon de café fidèle au poste depuis vingt-cinq ans rouspète en s’allumant un cigarillo : « La chaleur, ici, c’est mortel. J’ai fait l’Afrique équatoriale, je peux vous dire qu’il y faisait moins chaud. »

« Il faut enlever le soleil ! »
Monique, 73 ans, vient le saluer. « Même à la campagne il fait chaud, relativise l’ancienne pharmacienne, en regardant Yves lui verser de l’eau gazeuse dans un verre rempli de glaçons. Mais en ville, c’est pire. Tout est resserré, il y a plus de monde. L’hiver, la neige ne tient pas à cause de la chaleur dégagée par le métro. Enfin, qu’est-ce qu’on peut faire ? » « Enlever le soleil ! », réplique son mari en lui lançant un clin d’œil.
Accoudé au comptoir, Éric, 30 ans, employé dans la restauration, remplit une grille de loto. C’est la première personne qui m’évoque, spontanément, le changement climatique pour expliquer la canicule. « Oui, le climat évolue, on en parle aux infos. Mais que voulez-vous. On doit vivre avec notre temps, où tout le monde veut toujours plus. Les pays en développement doivent se développer. On peut essayer de se calmer, mais on ne va pas changer. On est dans l’impasse », hausse-t-il les épaules avant de rejoindre ses amis en terrasse.

A la pharmacie, on vend plus de brumisateurs
Monique et son mari s’engouffrent dans la pharmacie d’en face, où ils saluent Delphine, 34 ans, postée derrière sa caisse. « Les gens achètent davantage de brumisateurs, mais ils ne posent pas vraiment de questions, remarque la pharmacienne. Il faut dire qu’ici, ils sont habitués à la chaleur. Ils viennent de pays où il fait beaucoup plus chaud. » Elle-même s’inquiète de cette hausse des températures. « Au Canada, il fait plus de 30°C, c’est du jamais vu. Les médias parlent tout le temps du changement climatique, mais est-ce que des choses sont mises en place ? »
Retour sur la place. A 16 h30, la lumière du soleil est toujours aussi implacable. Deux jeunes qui passent en scooter me balancent une bombe à eau. « Ça va ? », s’enquiert Lionel, 27 ans, chauffeur de bus RATP. Posté à l’ombre du kiosque, il attend de prendre son service. « 44°C dans la cabine, sans clim’, soupire-t-il. Ça rend les gens fous. Surtout hier, où tout le trafic a été perturbé à cause d’une rupture de caténaire, due à la chaleur. »
« En Arabie saoudite, c’est pire, mais il y a la clim’ »
Pour Hassan, 49 ans, en recherche d’emploi, la canicule est particulièrement accablante. « Je suis diabétique, et en plus, c’est le Ramadan, explique-t-il doucement. Mais c’est normal, c’est la vie. En Arabie Saoudite, c’est pire, il fait 50°C. Seulement, là-bas, dès qu’on rentre, il y a la clim’, c’est merveilleux. Même si c’est mauvais pour la santé et que ça donne le rhume. »

Dur dur aussi pour les enfants. Nesrine, 31 ans, maman de Imilya, 7 ans, Mélina, 6 ans, et Mikaïl, 2 ans, en sait quelque chose : « Demain, je vais leur acheter une piscine gonflable pour qu’ils puissent se rafraîchir dans la cour, prévoit la jeune femme, salariée dans une association d’aide aux orphelins. Je leur donne de l’eau 24 h/24 et je leur mets de l’eau de fleur d’oranger dans les cheveux pour les rafraîchir. Imilya et Mikaïl pensent bien à réclamer de l’eau, mais Mélina, pas du tout ! »
A 18 h, je reprends le métro. Parmi toutes les personnes rencontrées, seules deux m’ont parlé de changement climatique. Et très peu ont pointé du doigt un urbanisme inadapté pour expliquer une telle sensation de chaleur. Pourtant, l’injustice climatique se manifeste aussi de cette manière : ici, point de climatisation, peu de parcs, une dépendance très forte aux transports en commun et un habitat souvent mal isolé. Sans compter la difficulté d’accès à l’information, et des problèmes de santé parfois plus importants qu’ailleurs...
L’agglomération de Plaine Commune en a conscience : « Pour rendre le territoire plus robuste, il s’agit de prendre en compte le paramètre climatique dans tous nos projets de construction et d’aménagement : réaliser des bâtiments plus sobres où le confort d’été est travaillé sans augmenter les consommations énergétiques, végétaliser l’espace public et les bâtiments pour lutter contre l’effet îlot de chaleur urbain, utiliser les eaux brutes pour rafraîchir les espaces verts et les zones minéralisées », peut-on lire en conclusion du résumé de l’étude de vulnérabilité. Une nécessité, car les phénomènes de canicule risquent bien de s’accentuer.