Reportage — Climat et quartiers populaires
Pourquoi certains quartiers sont plus propres que d’autres

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Climat et quartiers populaires DéchetsComment se fait-il que certaines personnes jettent leurs poubelles par la fenêtre ou laissent les encombrants dans la rue ? Les élèves de la terminale ES 2 du lycée Suger de Saint-Denis ont mené l’enquête pour comprendre pourquoi les rues où ils vivent sont plus sales que dans les quartiers des affaires.
- Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), reportage
Saint-Denis, quartier La Plaine – Stade de France : le quartier d’affaires est tout propre, il y a des poubelles à chaque coin de rue. Idem au pied des immeubles d’habitation neufs et chics. La ville semble très bien entretenue, sans doute pour donner une bonne impression aux touristes qui viennent régulièrement au stade.
De l’autre côté du canal se dressent les immeubles d’un quartier plus populaire. La ville paraît moins entretenue. Les déchets sont au sol plutôt que dans les poubelles. Dans une petite rue non loin de la cité des Francs-Moisins, des déchets et un matelas sont éparpillés au pied des poubelles et un panneau proteste : « Saint-Denis n’est pas une décharge ! » Pourquoi une telle différence entre ces deux quartiers pourtant si proches ?

Dans le centre de Saint-Denis, les habitants confirment ce sentiment. « Saint-Denis n’est pas une ville propre. J’en ai honte, je n’invite pas les gens parce que c’est sale et qu’ils sont choqués. Mais les habitants, eux, ne sont plus choqués, témoigne Siham Belatch, habitante de Saint-Denis depuis quatre ans. Surtout, il y a un contraste entre les différents quartiers. » Un avis partagé par Hassan, qui vit ici depuis deux mois : « Ici [à Saint-Denis], on ne trie pas. Alors que à Lille, c’est carré : si on met du verre dans le plastique, les éboueurs ne prennent pas la poubelle. » Michel n’est pas tout à fait d’accord : « D’habitude, c’est propre, les éboueurs font très bien leur travail. Mais c’est vrai que les gens ne trient pas beaucoup leurs déchets. »
« Ça pourrait être beaucoup mieux »
« C’est vrai qu’il y a beaucoup de boulot à Saint-Denis », confirme Juliette Leroux, responsable de la communication de l’association Organe de sauvetage écologique. Elle a ramassé quinze tonnes de déchets sur les berges de la Seine à Saint-Denis en décembre et janvier derniers. « Et en plus, c’est un cercle vicieux, le déchet apporte le déchet », ajoute-t-elle. Pour elle, cela est dû au « je-m’en-foutisme des habitants : ils se moquent de l’écologie ». Son association tente d’agir par l’éducation des enfants : « On intervient beaucoup dans les écoles, on aimerait une prise de conscience. »

Même à la mairie, on admet que Saint-Denis n’est pas un modèle de propreté. « Ça pourrait être beaucoup mieux », estime Robert Figueras, directeur de la propreté et du cadre de vie à Plaine Commune — la communauté de communes dont fait partie Saint-Denis. Le problème, pour lui, est dû à un manque « de respect de l’espace public par les usagers de la ville : les habitants, les commerçants, les gens qui y passent ou qui y travaillent ». Mais il estime que les services de la mairie ne sont pas responsables. Si certains quartiers sont plus souvent nettoyés que d’autres, c’est que c’est nécessaire : « Il n’y a pas de priorité. Le nettoiement se fait en fonction des usages. Le centre-ville est plus souvent nettoyé parce que 60.000 personnes y passent chaque jour. Quant au quartier du Stade de France, il n’est pas plus nettoyé qu’un autre. La seule différence, c’est quand il y a un événement, on concentre en un soir tous les moyens pour le remettre en état. » Et les différences entre quartier d’affaires et quartiers populaires ? « Je me refuse à penser et à dire que la propreté de la ville dépendrait du seuil de richesse ou de pauvreté », assure-t-il.
Mais, pour la sociologue Maëlle Capello, chargée d’étude pour l’association Zero Waste France, l’affaire n’est pas si simple. Selon elle, « le déchet est révélateur d’énormément de choses dans la société : des différences de statut des personnes — les classes sociales —, différences d’intégration, culturelles, économiques, de consommation ». À la question « pourquoi certains quartiers sont-ils plus propres que d’autres ? », la sociologue estime donc qu’il est difficile de répondre clairement. Pourtant, parmi les réponses de la spécialiste, quelques explications semblent se dégager.
Une appréhension différente de la réalité
Cette dissemblance entre les comportements pourrait s’expliquer dans un premier temps par une appréhension différente de la réalité. « Souvent, le geste de jeter quelque chose et notamment dans un endroit considéré comme “inapproprié” ne relève pas d’un manque d’éducation à proprement parler mais plutôt il répond à une logique tout simplement différente. » À Saint-Denis, par exemple, certaines habitudes sont culturelles : « Les habitants de certains quartiers jettent du pain par la fenêtre. La raison de cet acte, qui peut paraître sale, est pourtant très rationnelle : dans la culture arabe, il est inconcevable de jeter du pain à la poubelle. Le jeter par la fenêtre ne revient pas à le jeter dans l’espace public mais à le “donner” aux pigeons pour qu’il soit consommé. »

Ce peut aussi être un problème de politique publique qui explique la différence de propreté entre les différents quartiers. « Les déchets sauvages ont la particularité de s’accumuler dans les endroits vierges et dans les endroits délaissés, explique la sociologue. Si les quartiers composés de logements sociaux sont ceux au sein desquels on retrouve le plus de déchets sauvages, c’est aussi peut-être parce qu’ils constituent des quartiers “délaissés” par les politiques publiques notamment. »
Les déchets pourraient donc être révélateurs d’un problème plus profond. Si on ne prend pas soin de l’endroit où l’on vit, c’est qu’on ne s’y sent pas chez soi. Donc, « on ne s’approprie pas l’espace public parce qu’on ne s’y sent pas intégré », résume la chercheuse.