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Climat et quartiers populaires

Climat et quartiers populaires : l’écologie n’est pas un problème de riches

Le projet Climat et quartiers populaires mené par Reporterre a un an. Entre Île-de-France, Marseille et Picardie, le quotidien de l’écologie a enchaîné reportages, ateliers médias et rencontres. Parce que l’écologie n’est pas un problème de riches et pour cultiver le « vivre ensemble », Reporterre continue et lance Écologie et quartiers populaires.

En janvier 2015, nous avons été frappés par les attentats contre Charlie Hebdo. Au choc et à la tristesse ont succédé les questionnements : comment restaurer la joie d’être ensemble, l’engagement citoyen, la solidarité ? Dans la continuité de la rencontre Vivre ensemble de février et à l’approche de la COP21, l’idée est née de donner la parole aux habitants de quartiers populaires, pour qu’ils nous disent quel regard ils portent sur cet événement et sur le changement climatique en général. De les solliciter sur cet enjeu planétaire, à mille lieux des sujets auxquels les médias les associent habituellement — chômage, drogue, immigration. D’autant plus qu’ils sont souvent les premières victimes du dérèglement du climat : la Seine-Saint-Denis a été le deuxième département le plus touché par la surmortalité pendant la canicule de 2003. Le projet Climat et quartiers populaires de Reporterre était lancé.

Première étape, mettre un pied dans ces quartiers que nous connaissons si mal. Nous avons commencé par tendre notre micro aux habitants croisés lors d’un après-midi de jeux sur la place de la Réunion, dans le 20e arrondissement de Paris, à la terrasse d’un bistrot marseillais et un jour de marché dans la commune de Bohain-en-Vermandois, en Picardie. Nous avons aussi arpenté la dalle brûlante de Saint-Denis, un après-midi de canicule en juillet.

Nous avons rencontré des gens parfois très conscients du changement climatique. Comme Sala, maçon, qui vit la moitié de l’année en Tunisie. « On récolte le blé et l’orge à la fin du mois de mai, au lieu du mois de juin, nous a-t-il raconté. Un mois d’écart ! Comme nos parents et nos grands-parents, on constate qu’il n’y a plus d’hiver, plus de saisons. » Certains ont exprimé leur dégoût face à l’inaction de la classe politique et des grandes entreprises. « Des paroles, des paroles, des paroles, nous a répliqué Jean-Claude, croisé à Bohain, alors que nous lui demandions ce qu’il pensait de la COP21. On se réunit, on se concerte, jamais d’actes. Allez voir dans les champs, il n’y a plus d’alouette, plus de bleuet, que des cultures intensives et des gens qui meurent de faim. »

Ne pas abandonner le combat d’une écologie réellement populaire 

Au fur et à mesure de nos visites, nous avons découvert un tissu associatif riche d’habitants bien décidés à ne pas abandonner le combat d’une écologie réellement populaire. Comme Orge’Mômes, à Épinay-sur-Seine (Saint-Denis), une association d’assistantes maternelles qui nous a ouvert les portes de son jardin en permaculture destiné à nourrir les enfants et à les éveiller à la nature. Ou le collectif Toxic Tour, qui a organisé une rencontre entre les jeunes du quartier et Kali Akuno, militant pour la justice environnementale et les droits des noirs aux États-Unis. « En France, l’écologie est un problème de riches abordé par les riches, déconnecté de nos problèmes à nous, nous a confié Jules, un jeune de la cité, à l’issue de la rencontre. Mais Kali Akuno nous montre qu’avec l’auto-organisation, on peut prendre en main son quartier sans attendre les entreprises. »

Des enfants de la cité Joliot-Curie, à Saint-Denis, lors de la rencontre avec le Toxic Tour.

Nous avons décidé de contribuer à leur effort, à notre façon, par l’outil que nous maîtrisons le mieux : le journalisme. Au cours de cinq ateliers média, nous avons ainsi aidé des groupes d’habitants issus de quartiers populaires, d’âges et de profils variés, à choisir un sujet en lien avec l’écologie et à le traiter sous forme d’article, destiné à être publié sur Reporterre. Chaque atelier s’est achevé par une rencontre publique dans le quartier, au cours de laquelle les journalistes citoyens ont présenté leur travail à leurs voisins, familles et amis, et animé des débats autour d’un plateau d’invités.

Notre premier atelier s’est déroulé en mai 2015 dans le 20e arrondissement de Paris. Notre groupe de jeunes animateurs et de stagiaires de l’Association d’éducation populaire Charonne-Réunion (AEPCR) a choisi de travailler sur la sensibilisation des enfants au changement climatique. Les 17 apprentis-journalistes sont allés interroger des parents dans un jardin public et ont rencontré les Fourmis vertes, une association de sensibilisation à l’environnement qui œuvre dans les cités franciliennes. Après de longues journées d’animation auprès des enfants, la motivation n’était pas toujours au rendez-vous pour les séances de travail du soir... mais la rencontre finale a permis de réaliser que ces efforts n’avaient pas été tout à fait vains : « Avant je jetais plein de trucs par terre. Après avoir rencontré les Fourmis vertes, j’ai arrêté », a avoué Clément, un des participants à l’atelier.

Les Fourmis vertes en plein atelier de sensibilisation dans le 20e arrondissement parisien.

À Bohain, le commencement du deuxième atelier média, en juin 2015, n’a pas été facile : un des participants a commencé par douter de l’origine humaine du changement climatique ! Finalement, les sept adultes accompagnés par la Maison de l’emploi ont décidé d’enquêter sur la manière dont l’écologie pouvait permettre aux plus vulnérables de réaliser des économies tout en améliorant leur qualité de vie. Dans leur article, ils racontent leur visite à la Maison bleue, une association de quartier qui encourage ses bénéficiaires à l’autoproduction alimentaire, à la fabrication de produits ménagers écologiques et aux économie d’électricité, ainsi qu’à la ressourcerie de Péronne (Somme), qui emploie des salariés en insertion pour réparer de vieux objets et les remettre en vente à prix doux — une manière efficace de lutter contre le gaspillage en aidant les ménages modestes à s’équiper à bas coût.

Le jardin solidaire de la Maison bleue, dans l’Aisne.

Leur travail les a menés jusqu’à Paris, où ils ont rencontré Alix Mazounie, du Réseau action climat (RAC), à qui ils ont pu poser toutes leurs questions sur la COP21. Un point pour le climat : « Avant, quand j’entendais parler de climat et de COP21 à la télé, je zappais. Maintenant, je tends l’oreille », a confié Mme Beaurain, une des participantes.

Dimensions politiques et culturelles de la gestion des déchets 

De septembre 2014 à avril 2015, trois autres ateliers média se sont succédés. Dans les quartiers nord de Marseille, un groupe de jeunes rappeurs du centre social l’Agora a réalisé un clip sur le thème du changement climatique. « J’ai vu un aigle survoler la Terre / De continent en continent et de mer en mer / Il ne reconnaissait rien, comme après une guerre », a scandé Nasser, avant qu’Hatem enchaîne sur le refrain : « On tue la Terre et on entraîne nos vies avec / On déforeste et on brûle nos propres toits / Comme San Goku, j’veux m’envoler sur Namek / Qui peut me dire... Pourquoi on en est là ? » Pas sûr pour autant que le message écologique ait bien été intégré par les jeunes artistes, a-t-on découvert lors de la rencontre...

Nasser et Hatem, deux des jeunes rappeurs marseillais.

Les deux derniers ateliers se sont déroulés en Seine-Saint-Denis. À Pantin, micro à la main, un groupe d’enfants est allé à la rencontre de ces voitures « qui font du bruit et qui sentent mauvais ». Ils se sont révélés de redoutables interviewers : « Quand vous partez en vacances, vous mettez un peu de pollution dans votre voiture ? » Lors de la rencontre quelques semaines plus tard, les petits ont interrogé Lorelei Limousin, chargée de la question des transports au RAC, ainsi que Marielle et Marie, de la Cyclofficine de Pantin, sur la pollution, le train et les vélos. Avant d’inviter leurs parents à imaginer des solutions pour laisser l’auto au garage. Parmi les propositions évoquées... utiliser des chevaux et des ânes !

Lors de la rencontre de Reporterre à Pantin sur la place de la voiture en ville.

À Saint-Denis, les terminales du lycée Suger ont travaillé sur la saleté qui règne dans certaines cités populaires, alors que d’autres quartiers sont d’une propreté irréprochable. Dans leur article, ils font parler des habitants, des associatifs, les services de propreté de la ville... et même une sociologue, qui apporte un éclairage précieux sur les dimensions politiques et culturelles de la gestion des déchets : « Les habitants de certains quartiers jettent du pain par la fenêtre. La raison de cet acte, qui peut paraître sale, est pourtant très rationnelle : dans la culture arabe, il est inconcevable de jeter du pain à la poubelle. Le jeter par la fenêtre ne revient pas à le jeter dans l’espace public mais à le “donner” aux pigeons pour qu’il soit consommé. »

Extraordinairement riches, ces reportages, ces ateliers et ces rencontres nous ont donné envie de poursuivre l’aventure, en l’élargissant un peu. À bientôt pour de nouveaux épisodes du projet Écologie et quartiers populaires !

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