Climat et quartiers populaires
« Et nous, est-ce qu’on donne l’exemple ? » La boîte noire de l’atelier média du XXe

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Climat et quartiers populairesAu mois de juillet, dans le cadre de notre projet « climat et quartiers populaires », j’ai aidé Abdoul, Ameni, Amine, Anna, Clément, Couraïcha, David, Dhekra, Élise, Halima, Kimberley, Mamadou, Mariamou, Marie, Mohamed, Nathan et Sandrine, animateurs à l’Association d’éducation populaire Charonne - Réunion (AEPCR), dans le XXe arrondissement de Paris, à réaliser un article sur la sensibilisation des enfants à l’environnement. Voici comment on a travaillé.
Le 9 juillet : première rencontre avec la quinzaine d’animateurs et animateurs stagiaires de l’Association d’éducation populaire Charonne-Réunion (AEPCR), dans le XXe arrondissement de Paris. Il est 17 h 30, la chaleur est harassante et la journée en compagnie des enfants a été longue pour Halima, Amine, Abdoul, Nathan, Dhekra et leurs amis. Mais ils m’écoutent volontiers quand je leur présente notre proposition : réaliser, ensemble, en quatre ou cinq séances, un article sur un sujet de leur choix en lien avec le changement climatique dans le cadre du projet « climat et quartiers populaires » de Reporterre.
Très vite, les idées fusent, que je note au fur et à mesure sur le tableau blanc. Le changement climatique leur fait penser à la canicule – « 15.000 morts », se souvient un participant, aux « glaciers qui fondent », aux océans qui montent, à la désertification dans le Maghreb et à l’extinction d’espèces comme les ours blancs.
Voitures, usines et... éruptions volcaniques
Difficile pour les jeunes d’identifier les causes de ces catastrophes. Ils me parlent bien de l’effet de serre : agréablement surprise, j’en profite pour leur faire un point sur les trois principaux gaz qui en sont responsables : le CO2, le méthane et le protoxyde d’azote. Réceptifs, ils enchaînent sur la responsabilité des voitures, des usines et des avions. Plus étonnant, l’un d’eux croit y voir un effet délétère des... éruptions volcaniques ! Lumières allumées, sacs plastiques et papiers jetés par terre et trafics de bois en Colombie et au Brésil sont également évoqués.
On passe ensuite aux solutions : la circulation alternée et les voitures électriques, « mais ça pose la question du nucléaire », souligne très justement une participante. Mais aussi, les vélos et les transports doux, les énergies renouvelables, le jardin solidaire et le traitement des déchets. « Et Haarp ! s’exclame Mamadou. C’est un programme américain pour jouer avec le climat. » « Il est obsédé par Haarp », rigolent les autres, alors que je fais la moue.
« Nous sommes en contact avec des enfants, comment les éduquer à tout ça ? »
Reste à trouver un sujet. La question des transports est examinée et rapidement rejetée – trop difficile de trouver un angle et des reportages faisables. Sandrine, une animatrice, et Yahia, le directeur de l’AEPCR, lancent l’idée de travailler sur la sensibilisation des enfants au changement climatique. « C’est vrai ça. Nous sommes en contact avec des enfants, comment les éduquer à tout ça ? Et nous, est-ce qu’on donne l’exemple ? » lance une participante. Nous convenons d’aller à la rencontre de parents, dans les parcs et squares alentours, dès la prochaine séance.
Quelques jours plus tard, munis d’un micro et d’un appareil photo, les jeunes abordent les parents qui surveillent leurs enfants dans le square de la Réunion et au jardin du Casque d’or. Amine, avec son bagout habituel, explique le projet aux parents un peu étonnés. L’appareil photo tourne de mains en mains. La pêche est bonne : quatre parents et grands-parents prennent le temps de nous répondre, et insistent sur l’importance de sensibiliser les petits à l’environnement et de les initier très tôt aux éco-gestes.
Les Fourmis vertes à la rescousse
De retour à l’AEPCR, on se creuse la tête : comment compléter notre reportage avec un point de vue « d’expert » ? David, un animateur, est en contact avec les Petits Débrouillards, mais l’idée tourne court. Je leur propose de rencontrer Sophie Accaoui et Marie-Noëlle Botte, des Fourmis vertes, une association spécialisée dans l’organisation d’ateliers de sensibilisation au pied des tours, dans les quartiers populaires.
Ils acceptent, et le rendez-vous est pris quelques jours plus tard avec les Fourmis vertes. Les jeunes se montrent curieux des supports utilisés pour les animatrices, qui doivent parfois s’adresser à des publics qui parlent peu français. Mais très vite, les jeunes oublient un peu leur rôle de journalistes citoyens et la discussion s’enclenche. Sophie Accaoui tente de faire comprendre à Amine que les baskets Nike en plastique, ce n’est pas terrible ni pour l’environnement ni pour les enfants qui les fabriquent. « C’est vrai. On n’y peut rien, c’est comme ça, c’est le système qui est comme ça », botte-t-il en touche.
« Pourquoi Eva Joly n’a pas plus pesé sur les autres politiques ? »
Ameni, elle, se demande s’il existe du maquillage écolo. « Et vous, vous êtes vraiment 100 % écolo ? » interroge un participant. « Et vous ? » renvoie Sophie Accaoui. « Moi, non », admet Ameni. « Moi oui, je prends les transports en commun ! » s’exclame un autre. « C’est parce que tu n’as pas le choix », se moquent ses copains. « C’est une question un peu hors-sujet mais... quand Eva Joly était candidate à l’élection présidentielle, pourquoi elle n’a pas essayé de peser sur les autres politiques ? Parce que quand vous parlez, on vous écoute, mais les hommes politiques sont encore plus écoutés », interroge soudain l’un des participants.
L’écriture de l’article est un moment particulièrement éprouvant pour les jeunes. Ils se creusent la tête sur le plan : les témoignages des parents, avant ou après ceux des Fourmis vertes ? Je leur donne un coup de main, mais je suis intransigeante : c’est à eux de rédiger le chapô, le titre, l’introduction et la conclusion de l’article, parties les plus importantes.
« C’était intéressant, mais comme on a de longues journées, on a eu un peu de mal à se concentrer, avoue Sandrine. En plus, on n’avait jamais fait ça avant. » Pour Nathan, l’expérience était « enrichissante. J’ai appris beaucoup, sur l’eau de Javel, par exemple ! » « Chez moi, on n’utilise déjà que du vinaigre blanc, sourit Couraïcha. « C’était pas mal, apprécie David. Ce qui est bien, c’est qu’on aura la possibilité de mettre le même atelier en place avec nos jeunes, pour les sensibiliser à notre tour. »