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ReportageClimat et quartiers populaires

« On voit bien que ça part à la dérive, mais on ne peut rien faire. » Paroles d’un café marseillais sur le changement climatique

Façades noircies par la pollution, défilé incessant de voitures, le Cours Lieutaud, principale artère du centre ville de Marseille, est un lieu approprié pour parler des gaz à effet de serre. Situé au bord du quartier populaire de Noailles, il abrite l’un des anciens bistrots les plus chaleureux de la cité phocéenne : le bar du Peuple. C’est là que nous avons posé notre besace, un après-midi de fort cagnard, pour discuter réchauffement climatique avec les clients.


- Marseille, correspondance

« Ah moi, ça m’intéresse, parce que comme je crains la chaleur, ça me contrarie ces histoires de climat ! Si ça continue, je vais être obligé d’aller vivre au Pôle Nord », lance Yves, 60 ans, sur le ton de la boutade. « Mais pour la montée des eaux, j’ai tout prévu. J’habite au 8e étage ! », poursuit-il en riant de bon coeur. Attablé à l’ombre avec son collègue Roger, qui sirote un demi bien frais, Yves ajoute plus sérieusement que « si c’est vraiment nécessaire, il faut agir maintenant, et que tous les Etats s’y mettent ».

"On voit bien que ça part à la dérive, mais on ne peut rien faire"

Interpellé par les images de la fonte des glaces, Roger, 73 ans, ne sait pas quoi penser du discours que répandent certains intellectuels climato-sceptiques dans les médias : « C’est bizarre que les scientifiques ne soient pas tous d’accord sur un sujet aussi grave. Certains disent que tout cela est faux. Forcément, on se pose des questions après. (…) Moi, j’arrive au bout de ma vie, mais pour les générations futures, je suis tout de même inquiet. »

Loin des projets d’actions volontaristes qu’on peut rencontrer dans les milieux militants, on entend davantage ici un sentiment partagé d’impuissance face aux informations délivrées par la petite lucarne. « Le changement climatique, on ne voit que ça à la télé. Il y a des gens qui décident à notre place, on se sent impuissants. On voit bien que ça part à la dérive, mais on ne peut rien faire », observe avec dépit Salim, 33 ans, mécanicien dans les quartiers nord de Marseille. De passage dans le centre, il partage un café avec son ami Mohamed, 49 ans, ouvrier du bâtiment, qui opte à peu près pour le même constat : « Oui c’est sûr, on va dans le mur, mais que pouvons-nous faire ? Ce sont les lobbys qui décident. L’événement international COP 21, c’est que du pipeau, des beaux discours. » Père de deux minots, Mohamed est soucieux pour eux. « C’est dans cinquante ans, les gros problèmes, moi je ne serai plus là », conclut-il, un poil fataliste.

Le Cours Lieutaud

A quelques tables rondes de là s’installe Sala, grand sourire aux lèvres. D’origine tunisienne, ce maçon de 53 ans observe les conséquences du réchauffement dans son pays, où il vit la moitié de l’année. « Je suis agriculteur à Tunis avec mon épouse. On cultive la terre, on élève des brebis et des vaches. On voit un changement radical, ça ne marche plus comme avant. On récolte le blé et l’orge à la fin du mois de mai, au lieu du mois de juin ! Tu te rends compte ? Un mois d’écart ! Comme nos parents et nos grands-parents, on constate qu’il n’y a plus d’hiver, plus de saisons. C’est pas normal tout ça. »

Face à ceux qui parlent d’un phénomène simplement « cyclique », Sala rétorque avec assurance que « la vérité est ailleurs ». Pense-t-il qu’on peut agir à notre échelle pour lutter contre le réchauffement ? « Nous, on peut faire attention à nos gestes quotidiens, mais c’est très faible. Les Etats peuvent intervenir, ils le doivent, mais ils ne songent qu’à faire la guerre », regrette-t-il en guise de conclusion.

Personne ne parle d’écologie d’habitude

Depuis son comptoir, Sadia, la patronne du bar, m’offre un « Pac à l’eau », une citronnade typiquement marseillaise. Cette grande dame brune a la tchatche. « On tient ce bar depuis 22 ans, mais regarde cette photo, là, elle date de 1908. Je ne sais pas quand le café a été fondé exactement. Il faudrait que j’aille au cadastre. En tout cas, on reçoit toutes sortes de clients ici, c’est un lieu de passage. Mais on a aussi nos habitués. » D’après la tenancière des lieux, personne ne parle d’écologie d’habitude au bar du peuple. C’est exceptionnel aujourd’hui.

Sadia

Abonnée au pénible trajet centre ville-quartiers nord, Sadia aborde la lutte contre le réchauffement climatique par l’angle des transports. « Si les pouvoirs publics décidaient de mettre en place des transports fiables, les gens prendraient moins leur voiture et par conséquent, il y aurait moins de gaz à effet de serre. A Marseille, tous les jours c’est bouché. J’ai arrêté de prendre le bus parce que je n’étais jamais sûre d’arriver à bon port. Quand tu rentres à huit heures du soir et que tu es coincé à Bougainville, t’es content… Du coup, j’utilise ma voiture, comme beaucoup de gens », déplore-t-elle.

Au bout du zinc, Bertrand, serveur intérimaire, me raconte sa récente expérience à la villa Méditerranée, les 4 et 5 juin derniers, lors de la venue de François Hollande pour la conférence « MedCOP 21 », un forum sur les enjeux du changement climatique dans le bassin méditerranéen. « Il y avait 800 personnes, toutes là pour parler d’écologie. Et nous, on leur distribuait les boissons dans des gobelets en plastique ! C’est aberrant, non ? La taille des poubelles, t’imagine même pas. »

Critique, Sadia ne croit pas en ces grands rassemblements. « Quand ils se réunissent, ils blablatent, ils mangent bien et ils repartent. Mais dans le fond, rien ne change. » Elle est en revanche convaincue par le pouvoir de l’éducation des plus jeunes. « Mon fils me fait des remarques si je laisse la lumière allumée ou si je laisse couler l’eau, il est très sensible au gaspillage, beaucoup plus que les gens de ma génération. »

Au marché des Noailles, voisin du café

Histoire de ne pas me laisser repartir sur une note pessimiste, Sadia tient à me parler d’un homme qu’elle trouve tout à fait pertinent sur ces questions : « Je crois qu’il s’appelle Pierre… Ah je ne me souviens plus de son nom. Il est d’origine algérienne, comme moi. » « Ah, vous pensez peut-être à Pierre Rabhi ? » « Oui, c’est ça ! J’adore sa façon de présenter les choses, il est génial. J’aime beaucoup son exemple du colibri qui prend quelques gouttes d’eau pour aller les déverser sur l’incendie de la forêt. C’est vrai que si chacun de nous faisait un geste, ce serait déjà mieux. »

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