Climat et quartiers populaires
Jardin partagé, ressourcerie et insertion : quand l’écologie aide aussi à mieux vivre

Durée de lecture : 7 minutes
Climat et quartiers populairesComment concilier lutte contre le changement climatique et faibles revenus ? Sept journalistes citoyens de la Maison de l’emploi du Vermandois, dans l’Aisne, ont mené l’enquête, dans le cadre du projet Climat et quartiers populaires.
Cet article a été réalisé par Christelle, Évelyne, Francis, Laurent, Marie-France, Marina et Nathalie, habitants de Bohain (Aisne), dans le cadre d’un atelier média Climat et quartiers populaires organisé avec le Plan local pluriannuel pour l’insertion et l’emploi (Plie) du Vermandois.
- À Bohain (Aisne) et à Péronne (Somme), reportage
Acheter bio ? Pas possible quand on arrive tout juste à survivre. Et pourtant… Écologie et social peuvent se confondre. La lutte contre le changement climatique n’est pas réservée à une élite. Chacun est concerné, quelles que soient ses ressources. Certaines associations agissent pour l’environnement tout en favorisant le bien-être et l’insertion des habitants des quartiers populaires.
La Maison bleue est une association créée en 2010 dans le quartier défavorisé de la Barburesse, à Bohain-en-Vermandois (Aisne). Son but est d’aider les habitants à vivre mieux tout en faisant des économies. « On s’est rendus compte que certaines mamans du quartier regardaient manger leurs enfants et restaient le ventre vide, faute de pouvoir acheter suffisamment de nourriture », raconte Joëlle Dupont, coordinatrice de l’association.

Pour résoudre ces difficultés, un jardin solidaire a été planté en 2011. Des légumes de saison y sont semés, cultivés et récoltés sans produits chimiques. Ils sont arrosés de l’eau de pluie récupérée dans un « arbre de pluie », fabriqué avec des bouteilles en plastique. La décoration du jardin est faite à base d’objets de récupération, transformés en hérissons et autres animaux. De jolies fleurs embaument le quartier.

Des paniers de légumes du jardin sont vendus à petits prix en favorisant les personnes en difficulté, bénéficiaires du RSA et personnes âgées. L’association a écrit un livre de recettes économiques des quatre saisons. « Les légumes de saison sont moins chers, souligne Mme Dupont. On a des rythmes, la nature aussi. Il n’y a pas de logique à faire pousser des courgettes en hiver. À la Maison bleue, on est attentifs à être bien avec soi, avec les autres et avec la nature. » La coordinatrice de l’association fait la chasse au gaspillage : « On a appris à cuisiner les restes. On ne jette rien. » Les déchets sont compostés et servent d’engrais aux cultures.

La Maison bleue propose aussi des ateliers de fabrication de produits ménagers économiques et écologiques avec du savon noir, du savon de Marseille, du vinaigre blanc et du bicarbonate de soude, qui ne polluent pas la planète ni les nappes phréatiques. L’association travaille à la création d’un éphéméride perpétuel, avec, chaque jour, des gestes simples pour faire des économies d’eau et d’électricité : couvrir la casserole pour faire bouillir l’eau plus vite, utiliser des réducteurs d’eau ou encore éteindre les lumières inutiles. « Tout cela, parce que les habitants nous ont confié que leur principal problème était les factures difficiles à régler », rapporte Mme Dupont.
Pour les habitants rencontrés, la Maison bleue a vraiment son utilité. « Nous sommes tous impliqués dans l’association, confie Jessica, croisée en bas des HLM. Mes enfants sont au Centre et mon mari est au jardin. Cette maison pas comme les autres a fait renaître le quartier, tout en invitant les habitants à adopter des gestes écologiques dans leur vie quotidienne. D’autres associations se servent de la protection de l’environnement comme tremplin vers l’emploi.
« Rendre leur dignité aux gens »
Au milieu de nulle part, dans la campagne picarde, se trouve un hangar renfermant de nombreuses richesses : jouets, tondeuses à gazon, livres, écrans plats, ordinateurs, meubles réparés et vendus dans le magasin. Cette caverne d’Ali Baba, c’est la Ressourcerie de Péronne (Somme). Elle est gérée par l’association Artois insertion ressourcerie (AIR) qui a deux autres magasins, à Bapaume et à Ervillers (Pas-de-Calais).

Créée en 1992, cette association a pour but le recyclage de nombreux objets récoltés soit en porte-à-porte, soit en apport volontaire grâce à des partenariats avec les collectivités territoriales et des entreprises locales. Le tri, les réparations et la revalorisation sont effectués par une cinquantaine de salariés en parcours d’insertion. « L’objectif est de rendre leur dignité aux gens qui travaillent en insertion, de permettre aux gens de s’équiper à moindre coût, tout en ayant un réel impact sur l’environnement en favorisant le recyclage plutôt que l’enfouissement », explique Vincent Baralle, directeur de l’association. En 2014, l’association a valorisé 93 % des 594 tonnes de déchets récoltés en Picardie .

Chose surprenante, ni Mme Dupont ni M. Baralle ne mettent en avant les bienfaits de leurs activités sur le climat et l’environnement. Pour eux, c’est l’humain qui prime. Parce que les publics auxquels ils s’adressent polluent peu : peu d’entre eux ont un véhicule, ils surveillent de près leurs dépenses énergétiques et n’ont pas les moyens de gaspiller. Ces rencontres témoignent de l’injustice climatique que subissent les habitants des quartiers populaires : ils sont les premières victimes du changement climatique, sans en être les principaux responsables.
« AVANT, QUAND J’ENTENDAIS PARLER DE CLIMAT, JE ZAPPAIS. MAINTENANT, JE TENDS L’OREILLE »
- Emilie Massemin, journaliste à Reporterre, raconte comment s’est réalisé ce reportage.
Cet article a été réalisé par Christelle Beaurain, Nathalie Biloé, Marina Buvris, Évelyne Darras, Laurent Coez, Marie-France Lebay et Francis Rousseau, habitants de Bohain (Aisne) en recherche d’emploi suivis par le Plan local pluriannuel pour l’insertion et l’emploi (Plie) du Vermandois. Quand je leur ai proposé de travailler sur le thème du changement climatique, à l’aide de leur accompagnatrice, Delphine Preuvot, ils ont tout d’abord réagi avec méfiance. M. Rousseau doutait de l’origine humaine du changement climatique, et pensait qu’il était causé par un changement de l’axe de rotation de la Terre autour du Soleil. La plupart des participants ont immédiatement affirmé qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’acheter bio ou français, parce que c’était trop cher. Et puis, difficile de concilier problèmes quotidiens et souci de l’environnement. Dans ce territoire rural mal desservi par les transports en commun, comment ne pas prendre la voiture si l’on travaille à 50 kilomètres de chez soi ? Comment ne pas se décourager quand on entend ses voisins dire qu’ils ne vont pas s’embêter à faire le tri alors qu’ils paient déjà la taxe sur les ordures ménagères ?
Puis, à force de discussions, les participants ont fini par trouver un lien entre écologie et social. Mme Buvris a parlé du supermarché Aldi, qui organise chaque semaine une distribution de ses invendus proche de la date de péremption. Tous ont salué cette initiative, qui permet de lutter contre le gaspillage alimentaire tout en permettant aux personnes les plus pauvres de se nourrir à moindre coût. Mme Biloé, proche de la Maison bleue, a parlé des ateliers de fabrication de produits ménagers économiques et écologiques organisés par cette association, ainsi que du jardin solidaire. Les participants ont décidé d’y effectuer leur premier reportage. Catherine Gaveriaux, directrice de la Maison de l’emploi, a ensuite suggéré un reportage à la Ressourcerie de Péronne (Somme) pour la partie « recyclage » de l’article.

« Avant, quand j’entendais parler de climat et de COP 21 à la télé, je zappais. Maintenant, je tends l’oreille », sourit Mme Beaurain – qui s’est mis à guetter les articles consacrés aux négociations climat dans la presse gratuite. Quant à Mme Biloé, elle a apprécié cet atelier, qui lui a permis de se changer les idées au cours d’une recherche d’emploi pas toujours facile. Mme Darras, passionnée de brocante, a bombardé de questions le directeur de la Ressourcerie et se verrait bien en ouvrir une à son tour dans le Vermandois. Quant à Mme Lebay, elle a rédigé un poème sur le climat et une lettre ouverte aux négociateurs de la COP 21 : « Vos conférences sont basées sur les chiffres, l’argent et le profit. Vous vous sentiez forts, et vous n’avez pas écouté les cris d’alarme de nos scientifiques (…). Toutes les catastrophes climatiques vont finir par vous coûter cher. (…) Stoppez donc toute votre pollution, mettez plus d’argent dans les énergies renouvelables. (…) Ne recommencez pas vos blablablas à la conférence de Paris (COP 21). Mettez-vous tous d’accord. Nous pouvons faire de grandes et belles choses. »