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Politique

À quoi Nicolas Hulot sert-il ?

Nicolas Hulot publie mercredi 7 octobre un manifeste et lance un appel, isolé mais médiatique. L’occasion de jauger le bilan de la proximité avec le pouvoir de celui qui a été nommé « envoyé spécial pour la protection de la planète » en décembre 2012.

Le manifeste brandi par Nicolas Hulot avant la COP21 se présente comme « un cri du cœur, un plaidoyer pour l’action, un ultime appel à la mobilisation et un coup de poing sur la table des négociations climat avant le grand rendez-vous de la COP21 ». En 96 pages, il déroule « douze propositions concrètes » comme une « feuille de route alternative pour les États » et « dix engagements individuels pour que chacun puisse également faire bouger les lignes à son niveau ».

« Ce n’est pas vraiment un livre ni une brochure, précise l’agence de communication Révolution 9, qui accompagne la sortie et la conférence de presse. C’est comme le livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous, vendu moins de cinq euros. » Éditée par Les Liens qui libèrent, cette publication s’appelle Osons. Plaidoyer d’un homme libre.

La couverture arbore une photo de Nicolas Hulot, debout face au vent, bras croisés, regardant l’horizon vers la droite, le tout sur fond bleu et ciel gris. On y verra les symboles qu’on veut. En tous cas, le secret du texte est bien gardé par l’agence de communication qui gère « l’évènement ». Impossible d’en connaître la teneur à l’avance pour préparer cet article. Contenu confidentiel. On retrouve là les techniques des grosses machines de communication, jouant sur l’annonce, l’attente, la révélation comme pour la promotion d’un produit.

Le livre sert aussi de prétexte à lancer un appel « que tous les citoyens pourront signer et relayer dès le 7 octobre sur notre site, pour mobiliser les chefs d’État à “oser” au moment de la COP21 ». L’appel sera « dévoilé » ce mercredi 7 octobre, jour de la sortie du livre, au cours d’une soirée de lancement au Grand Rex, à Paris. Mais pour cet appel, Nicolas Hulot fait cavalier seul. Pas d’alliance, pas de coalition, pas de manifeste commun, pas de décentralisation ni d’actions conjointes. Hulot en solo. Comme s’il manquait cruellement d’alliés. Il n’a à ses cotés ni EELV ni les grosses associations et ONG environnementalistes. Faute de soutiens, il doit se lancer en s’appuyant sur son seul nom et sur sa fondation, en misant sur son aura médiatique plus que sur un mouvement large.

Une agence de com’ très « corporate »

En choisissant une agence de relation presse dénommée Révolution 9, Hulot est-il devenu révolutionnaire ? Cette agence fait des « relations publics » (relations publiques, ça fait ringard) et du lobbying, du design, de l’édition d’entreprise, et a comme clients Engie (ex-GDF Suez, investie dans le charbon, « une entreprise parmi les plus polluantes de la planète », selon les Amis de la Terre), Carrefour, Citroën, Coca Cola, Nestlé, les services financiers de General Electric, Thalès, l’Armée de terre, la Bibliothèque nationale de France et l’industriel Pyrex, les consoles Sega et la mairie de Paris, BMW (concernée par le récent scandale, révélé par l’ONG Transport et environnement, sur les normes environnementales truquées), Colgate, Alstom, Le Crédit Lyonnais. Pas vraiment des entités qui respirent l’écologie.

On connaît les relations qu’entretient Nicolas Hulot, « homme libre », et sa fondation avec les grands groupes capitalistes. La Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme est financée par EDF, qu’on peut considérer comme un lobby pro-nucléaire, L’Oréal, TF1, les groupes Véolia, Vivendi, Vinci, Lesieur… Auxquels il faut ajouter, plus récemment, le groupe Avril, présidé par l’homme d’affaires et président de la FNSEA Xavier Beulin. Ou encore Vinci Autoroutes, dont le groupe veut construire l’aéroport de Notre Dame des Landes.

Le groupe Avril est un des partenaires de la Fondation Nicolas Hulot

Il ne faudra pas attendre de Hulot qu’il dénonce les déclarations hypocrites et les obstacles à la transition énergétique mis en place par les grands groupes industriels, dont Engie ou EDF, même s’il s’est rallié à une position de sortie du nucléaire.

En politique non plus, l’écolo ne semble pas toujours très regardant. Hulot a flirté plusieurs fois avec la velléité de se présenter comme candidat à la présidence de la République. Intention démentie en janvier 2007, puis déclaration très officielle en avril 2011, mais il échouera dans la primaire interne à EELV face à Eva Joly.

« Comment un animateur vedette qui n’a pas mené ces combats associatifs contre les puissants et compte dans sa fondation des entreprises contre lesquelles le combat écologiste est quotidien pourrait-il représenter les écologistes à l’élection présidentielle ? » commentait Corinne Lepage face aux premières rumeurs de candidature de Nicolas Hulot. S’il n’a pas été entarté, Hulot a subi un affront plus conforme à l’univers écolo : un seau d’épluchures de patates sur la tête à Notre-Dame-des-Landes en juillet 2011 pour dénoncer l’« écolo spectacle » à trois jours de la fin de la primaire EELV.

C’était injuste : ce seau d’épluchures a escamoté la contribution de Hulot au Grenelle de l’environnement, né en 2007 de la poussée exercée par son Pacte écologique. La Fondation Hulot est sortie du dispositif en mars 2010, pour finalement reprendre ses contributions en juin 2011.

Parallèlement, l’écologiste a semblé, au fil du temps, aborder les politiques avec un apolitisme délibéré. Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Ségolène Royal, les principaux candidats à la présidentielle en 2007, ont eu beau signer le pacte écologique proposé par Nicolas Hulot, l’effet est resté réduit, aucun ne colorant véritablement en vert sa campagne et ses engagements.

En mai 2015

Avant la COP21, Nicolas Hulot est-il un passant auprès des partis ? Conseiller de Fabius puis de Chirac, - auquel il inspirera le célèbre "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs", au Sommet de Johannesburg en 2002, proche de Borloo pendant le Grenelle de l’environnement -, tentant de se faire entendre de Sarkozy, - jusqu’à ce que celui-ci proclame en 2011 que « l’environnement, ça commence à bien faire », échouant à devenir le candidat d’Europe-Écologie-Les-Verts aux élections présidentielles de 2012, il a finalement accepté de jouer les envoyés spéciaux de François Hollande sur le climat. Sa ligne de conduite : rester au plus près des sphères du pouvoir pour tenter d’exercer son influence directement. Avec le risque évident de se faire instrumentaliser.

Si on ne considère que cette seule mission d’« envoyé spécial pour la protection de la planète » confiée par le président de la République le 6 décembre 2012, à quoi Nicolas Hulot a-t-il servi ?

« Je suis devenu écologiste à partir du moment où je suis arrivé aux responsabilités du pays », a déclaré François Hollande en novembre 2014 mais cette conversion avait été vite ponctuée par un mauvais signe : l’éviction au bout d’un mois de Nicole Bricq du ministère de l’Écologie a montré qu’on ne pouvait pas, dans ce gouvernement, remettre à plat les permis de forage pétroliers offshore attribués à Shell en Guyane française. Sa remplaçante, Delphine Batho, n’a pas eu plus de chance, limogée pour avoir critiqué publiquement la baisse du budget de son ministère. Mais sa démission forcée en juillet 2013 relevait aussi de la défaite de la ministre de l’Écologie face aux lobbies du gaz de schiste et du pétrole.

La sincérité des responsables politiques, son espérance

Nicolas Hulot a avalé la couleuvre de ce second limogeage qu’il a jugé « disproportionné », estimant juste, en juillet, auprès de l’AFP, qu’avec son départ, ça faisait « beaucoup en peu de temps », tout en tentant de garder inaltéré son optimisme : « Il y a chez le président (Hollande) comme chez d’autres responsables politiques une sincérité. Quand il m’a proposé ma mission, il savait que je garderais ma liberté de parole (...). Notre objectif est de diviser par deux notre consommation d’énergie en 2050. J’espère qu’on va prendre ce virage, la transition énergétique en est l’occasion. Il faut oser, il faut y aller. » L’ironie du sort, c’est que Delphine Batho, débarquée de son poste de ministre, a finalement offert ses services à la fondation Hulot. Maigre contrepartie. Aujourd’hui Delphine Batho relaie les pétitions en faveur des abeilles de la fondation Hulot.

Deux ans après les premiers conseils éclairés de l’éminent ambassadeur du climat, les ministres EELV (Cécile Duflot et Pascal Canfin) ont quitté le gouvernement, déchantant notamment devant le peu d’actes pour l’environnement de François Hollande et de Manuel Valls. L’abandon définitif, en octobre 2014, de l’écotaxe devant la fronde des Bonnets rouges aura marqué un recul vis-à-vis des promesses de tenter de modérer le tout camion.

Grosse déception des écolos. Nicolas Hulot a bien fustigé cette reculade, rien n’y a fait. L’homme qui parle à l’oreille des puissants n’a pas été écouté.

Le coup médiatique de Manille

En février 2015, Hollande et Hulot ont passé 48 heures aux Philippines, embarquant deux vedettes dans le périple, les actrices Mélanie Laurent et Marion Cotillard, porte-parole de Greenpeace depuis 2001, membre du WWF et de la fondation Nicolas Hulot : apparemment, Hulot a dépensé beaucoup d’énergie pour convaincre l’équipe de Hollande d’en faire un voyage à forte connotation « climatique » destiné à ancrer l’image du président français avant la COP21, en lançant la mobilisation de la communauté internationale autour de ce rendez-vous de décembre. Un voyage à enjeu essentiellement médiatique. Avec le solennel « Appel de Manille » à la clé, que tout le monde a parfaitement oublié.

Le vote de la loi sur la transition énergétique s’est frotté à l’opposition de François Hollande, notamment la fiscalité écologique. Quant à la réduction de la production nucléaire, ou même une sortie programmée du nucléaire, le texte de loi est loin du compte, prévoyant juste de plafonner la puissance du parc à son niveau actuel de 63,2 gigawatts. Réponse de Hulot, éternel optimiste : « Ça se fera par la force des choses, donc ce n’est pas la peine d’être crispé là-dessus, parce qu’à partir du moment où vous allez développer les énergies renouvelables et baisser notre consommation, mécaniquement, le nucléaire va baisser. »

En ce mois d’octobre 2015, un sondage Ifop pour le site Atlantico évalue le potentiel électoral de Nicolas Hulot, plébiscité par 34 % des sondés.
 Hollande le verrait bien comme ministre. Caution, alibi tardif et bien-pensant d’un président qui a été tout sauf préoccupé par l’écologie ?

Voir la vidéo de lancement de la campagne de Nicolas Hulot


LE PACTE A FAIT RECETTE

À quoi sert un livre manifeste ? Manifestement à financer la fondation.

Nicolas Hulot reverse ses droits d’auteur à la fondation. Avec des années grasses et d’autres très juteuses. 20 950 euros en 2005, et jusqu’à 301 009 euros en 2007. Le seul bouquin Pour un pacte écologique (désormais en Livre de poche) aura rapporté 280 000 euros à la fondation.

« Le détail par publication montre le poids prépondérant d’un titre. Sur 417 051 euros de droits d’auteurs touchés par la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme sur la période 2005-2010, Le Pacte écologique, chez Calmann-Lévy, en représente 287 878 € (40 000 € en 2006 et 247 878 € en 2007), soit 69 % », notent les magistrats de la Chambre des comptes en octobre 2012.

Mais il y a des années à gros coefficient de basse mer : en 2010, les droits d’auteur reversés à la fondation retombent à 973 euros, avec le détail sourcé : « Vidéos Temps des lagunes et Dans l’ombre du tiroir pour 76 euros ; ouvrages Terre en partage pour 206 euros et Combien de catastrophes avant d’agir ? pour 691 euros. » Avec cette fois un opuscule vendu 4,90 euros, les royalties seront forcément, et proportionnellement, moindres.

Source : comptes de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, cités par le rapport de la Chambre des comptes sur la période 2005-2010, publié en octobre 2012, page 32.

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