Accro aux gaz et pétrole russes, la France finance Poutine

Des activistes de Greenpeace approchent un bateau transportant 95 000 tonnes de pétrole russe vers la Norvège. - © Ole Berg-Rusten / NTB / AFP
Des activistes de Greenpeace approchent un bateau transportant 95 000 tonnes de pétrole russe vers la Norvège. - © Ole Berg-Rusten / NTB / AFP
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L’Union européenne débourse 700 millions d’euros par jour pour se fournir en énergies fossiles russes, selon un rapport. « Chaque goutte de pétrole achetée est une goutte de sang ukrainien versée », réagit une ONG.
Charbon, pétrole et gaz... En plus d’aggraver la crise climatique, la production d’énergies fossiles est le carburant des conflits mondiaux. Elle alimente, en grande partie, la guerre en Ukraine : malgré les sanctions financières qu’elle subit, la Russie bénéficie toujours de la vente de ses combustibles. Les revenus de l’État russe provenant des exportations de combustibles fossiles ont même grimpé en flèche et atteint 63 milliards d’euros au cours des deux premiers mois de la guerre en Ukraine. C’est ce qu’indique un nouveau rapport du Centre for Research on Energy and Clean Air (Crea), qui suit les exportations de pétrole, de gaz et de charbon russes par gazoducs et par bateaux.
En identifiant quels ports ont reçu des cargaisons de combustibles fossiles et quand, les chercheurs du Crea mettent en évidence qu’au 24 avril, sur les 63 milliards d’euros de combustibles fossiles exportés par la Russie, l’Union européenne était de loin la plus grosse acheteuse. Elle en a importé 71 %, soit environ 44 milliards d’euros. En d’autres termes, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays de l’Union européenne (UE) ont déboursé près de 700 millions d’euros par jour pour se fournir en gaz, pétrole et charbon russes. Sur la période, un quart des expéditions de combustibles fossiles de la Russie ont été acheminées dans seulement six ports de l’UE : Rotterdam (Pays-Bas), Maasvlakte (Pays-Bas), Trieste (Italie), Gdansk (Pologne) et Zeebrugge (Belgique).
« En achetant du gaz russe, on finance la guerre de Vladimir Poutine »
« À titre de comparaison, les importations de combustibles fossiles de l’UE en provenance de Russie ont représenté 18 milliards d’euros en février-mars 2021, de sorte que les 44 milliards d’euros estimés — en deux mois — représentent une augmentation très importante », déclare à Reporterre Lauri Myllyvirta, analyste principal au Crea. Pour lui, cette augmentation s’explique avant tout par « les prix exceptionnellement élevés des combustibles fossiles qui ont entraîné une manne massive pour la Russie » : « Les prix du marché du gaz sont passés d’environ 10 euros par mégawattheure il y a un an à plus de 100 », assure-t-il.
Le 10 mars, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Clément Beaune, affirmait qu’« en achetant du gaz russe, on finance la guerre de Vladimir Poutine ». Au regard du rapport Crea, la France est effectivement lourdement impliquée dans le conflit : elle est identifiée comme l’une des principales importatrices mondiales d’énergies fossiles russes, avec 3,8 milliards d’euros dépensés en deux mois. Elle n’était devancée que par l’Allemagne (9,1 milliards d’euros), l’Italie (6,9 milliards d’euros), la Chine (6,7 milliards d’ euros), les Pays-Bas (5,6 milliards d’euros), et la Turquie (4,1 milliards d’euros).

En suivant les livraisons de combustibles fossiles, le Crea a aussi trouvé, sans surprise, que des cargaisons atteignaient des installations ou des navires liés à la compagnie pétrolière TotalÉnergies, décriée pour ses liens avec la Russie, ou encore Exxon Mobil, Shell, Repsol et BP, entre autres. Des services publics d’électricité comme RWE, KEPCO, Taipower, et Tohoku, ou encore des entreprises industrielles comme Nippon Steel, Posco, Formosa Petrochemical Corporation, ou la Mitsubishi Petrochemical Corporation, sont également concernées.
On voit « clairement qui continue à soutenir cette guerre »
Du côté de l’ONG ukrainienne Ecoaction, associée à la parution du rapport, ces données désignent les complices de la guerre en Ukraine. « Chaque goutte de pétrole achetée et expédiée depuis la Russie est une nouvelle goutte de sang ukrainien versée, et chaque morceau de charbon russe est une nouvelle balle tirée sur les Ukrainiens, a réagi Kostiantyn Krynytskyi, chef du département Énergie de l’organisation. Cette analyse montre clairement qui continue à soutenir cette guerre et je refuse, comme de nombreux Ukrainiens, de voir les choses autrement. »
Lauri Myllyvirta, du Crea, encourage « tous les gouvernements et les entreprises qui achètent des combustibles fossiles russes à mettre fin à leurs achats ». Il incite à les remplacer par « des mesures d’efficacité énergétique » et « des énergies propres et non fossiles ».
Les décisions de l’Union européenne sont particulièrement scrutées. « À court terme, la Russie ne peut pas remplacer l’Europe en tant que source de demande, précise l’analyste. La majorité des exportations de combustibles fossiles du pays sont acheminées vers l’Europe par des pipelines, ainsi que par les ports de la mer Baltique et de la mer Noire. Les terminaux GNL ou les connexions alternatives de gazoducs pour détourner les exportations de gaz par gazoduc ailleurs n’existent tout simplement pas. »
Embargo sur le charbon russe cet été
Pour couper les vivres à la Russie, l’UE pourrait-elle s’empresser de s’affranchir des combustibles du régime de Poutine ? Pas évident, puisque le pétrole russe représente environ un quart des importations de brut de l’UE, et qu’un tel choix pourrait encore faire grimper les prix de l’énergie. Pourtant, un horizon se dessine : début avril, à la suite des exécutions présumées de civils ukrainiens près de Kiev, les Vingt-Sept ont adopté un embargo sur le charbon russe, qui entrera en vigueur à partir du mois d’août. Celui-ci comprend également l’interdiction de quatre banques russes et l’accès des navires russes aux ports de l’UE.

« Tôt ou tard, des mesures sur le pétrole et même le gaz seront également nécessaires », déclarait alors le président du Conseil de l’Union européenne, lors d’un débat au Parlement européen. Cette idée anime déjà les discussions entre exécutifs : la Commission européenne devrait suggérer une interdiction des importations de pétrole dans les prochains jours. De nombreux ministres se sont montrés favorables, mais une telle décision constituerait un « choc asymétrique », selon Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne. La Hongrie a déjà prévenu : elle tentera de saper tout effort de l’Union européenne allant dans ce sens. L’Allemagne, première économie de l’UE, pourrait être le pivot d’une telle action. Mais elle ne soutient pas, pour l’heure, un embargo immédiat.