Blé, huile, viande… Les prix explosent et la famine menace

Pain, illustration. - Flickr / CC BY-ND 2.0 / Caroline Alexandre
Pain, illustration. - Flickr / CC BY-ND 2.0 / Caroline Alexandre
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La guerre en Ukraine a aggravé une situation déjà tendue. Le prix de plusieurs produits alimentaires de base a atteint un record en mars. Une crise mondiale se profile tandis que le bétail et les biocarburants continuent de détourner une part importante de la production céréalière.
Le prix des produits alimentaires les plus courants n’a jamais été aussi haut depuis la création en 1990 de l’indice de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cet indice calcule chaque mois les prix d’un panier de produits alimentaires de base. En mars, il était de 159,3, soit une hausse de 12,6 % par rapport à février. Cette hausse est notamment due à l’augmentation considérable du prix des huiles végétales et de céréales depuis le mois dernier. La viande, le sucre et les produits laitiers coûtent, eux aussi, de plus en plus chers.
La situation est tendue depuis 2020, indique à Reporterre Christophe Gouel, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae). « Les stocks de denrées alimentaires étaient déjà très faibles en raison d’une succession d’événements climatiques qui ont eu un impact sur les récoltes, d’importants stocks réalisés par la Chine en prévention d’une période de peste porcine et d’un contexte politique tendu avec Taiwan », résume le spécialiste du rôle des stocks dans la volatilité des prix.
Le conflit russo-ukrainien a empiré la situation. Au point que l’on peut craindre la remontée de la faim dans le monde, selon Michael Fakhri, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation. La Russie et l’Ukraine pèsent en effet 30 % des exportations mondiales de blé — exportations mises à mal par la guerre.
43 millions de personnes seront confrontées à une insécurité alimentaire aiguë au Sahel
Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 43 millions de personnes devraient de ce fait être confrontés à une insécurité alimentaire aiguë dans la région du Sahel d’ici juin. Ce constat fait écho au rapport « Sahel » publié en février par l’organisation Action contre la faim (ACF). Il calcule que près de « 35 millions de personnes au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad, pays qui constituent la région sahélienne de l’Afrique […] n’auront pratiquement rien à manger [et] seront en situation d’insécurité alimentaire et de sous-alimentation, […] entre juin et août ». Le Maghreb va aussi pâtir de la situation, dit à Reporterre Thomas Ribémont, président d’honneur de l’ONG Action contre la faim. Et notamment l’Égypte, « territoire composé d’environ 4 % de terres cultivables et complètement dépendant des importations », l’Algérie ou encore la Tunisie. « En plus d’un risque de crise alimentaire, il existe un risque politique, comme en 2011 avec le printemps arabe qui était parti d’une révolte liée à l’augmentation du prix du pain », ajoute-t-il.
« Le printemps arabe était parti d’une révolte liée au prix du pain »
Le PAM appelle à une aide internationale urgente de 951 millions de dollars (880 millions d’euros). Selon le directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest, Chris Nikoi, « cette aide d’urgence vitale doit être accompagnée d’interventions à plus long terme permettant de renforcer les systèmes nationaux et la résilience des communautés, afin de réduire les besoins humanitaires au fil du temps et d’ouvrir la voie à des solutions durables contre la faim et la malnutrition ».
Réduire les aliments pour le bétail et les agrocarburants
La faim, souvent vue comme un déterminisme naturel, est un « phénomène politique » explique Thomas Ribémont. Pour amortir la crise alimentaire mondiale qui se profile cette année, « il faudrait être capable de l’anticiper, afin de renforcer les aides sur les territoires concernés, continue-t-il. Les gouvernements et les organisations internationales doivent prendre leurs responsabilités pour sortir des conflits car six personnes sur dix souffrant de la faim dans le monde vivent dans une zone de conflit. Il faudrait également se mobiliser pour l’environnement, car en plus des catastrophes naturelles, le réchauffement climatique provoque famines, exodes massifs de populations ainsi que crises politiques. » En outre, sachant que 40 % des céréales produites dans le monde servent à nourrir le bétail, « en plus des solutions d’ordre politique, changer ses habitudes de consommation est nécessaire ».
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Autre solution, prônée par Christophe Gouel : réduire la production de biocarburants lorsque l’offre de denrées alimentaires de base est très basse, notamment concernant les céréales. « 14% de la production des huiles végétales dans le monde finissent en biodiesel. Le biocarburant n’est pas si bon pour l’environnement et sa production favorise le maintien de prix élevés des denrées utilisées », conclut le chercheur.